France -- Alors que la situation devient de plus en plus tendue sur le front du Covid, les soignants de l'hôpital public sont fatigués, et en colère. Eux qui avaient cru à un « après » nourri des enseignements de la vague printanière de Covid-19 se retrouvent une nouvelle fois frappés durement par la pandémie avec cette fois l'impression que le pouvoir politique ne les comprend pas. Près d'un an après les premières manifestations pour sauver l'hôpital public, et après les démissions en masse du début 2020, le C ollectif Inter-hôpitaux (CIH) tire une nouvelle fois la sonnette d'alarme car l'épidémie de coronavirus aggrave encore la situation [1]. Il appelle d'ailleurs à participer à la mobilisation intersyndicale de tous le jeudi 15 octobre.
« Les soignants sont anxieux, ils ont peur de revivre ce qu'ils ont déjà vu au printemps. Mais ils sont aussi en colère car le plan massif pour l'hôpital promis pendant la crise – le fameux « quoi qu'il en coûte » du Président de la République – n'est pas à la hauteur » résume le Dr Olivier Milleron (cardiologue, hôpital Bichat, Paris), porte-parole du CIH. « Nous avons un sentiment de trahison et la situation est aujourd'hui la même qu'en mars... mais en pire » lance-t-il, interrogé par Medscape édition française.
Pas de déprogrammation globale
A la différence du printemps, il n'est pas prévu de déprogrammation globale sur le plan national. Autrement dit, le système de santé va devoir supporter les hospitalisations de patients Covid +, des patients pour lesquels les soins sont lourds et longs, tout en assurant une activité hors-Covid.
« Pour l'instant, nous décidons de fermer ou non des lits lors d'une réunion hebdomadaire en fonction des besoins en réanimation. Par exemple, une dizaine de lits a été fermée une semaine début octobre et la suivante tous les lits étaient ouverts. Nous nous adaptons car nous voulons maintenir au maximum l'ensemble de l'activité » explique le Pr Richard Nicollas, directeur médical de crise à l'AP-HM, à Medscape édition française. Il souligne que les hôpitaux marseillais continuent aujourd'hui de prendre en charge des flux de patients qui auraient dû être opérés au printemps.
A Marseille, la non-déprogrammation est possible grâce aux renforts de la réserve sanitaire qui sont arrivés dans les services et aux élèves infirmières qui sont redéployées selon les besoins, certaines effectuant leur stage de réanimation avant celui de chirurgie.
« On ne peut plus se permettre de ne pas voir pendant trois mois des gens qui ont besoin de soin » insiste le Dr Milleron, qui rappelle qu' « avant le Covid, on était déjà obligé de reculer des interventions faute du nombre nécessaire d'infirmières et d'aides-soignantes ».
Absentéisme, fuite des personnels
Car si l’épidémie de Covid a été révélateur de la crise de l'hôpital pour le grand public, les problèmes de manque de personnel sont prégnants depuis quelques années. « La pandémie a mis en lumière ce que nous vivons depuis des années » a confirmé Noémie Banes, infirmière et Présidente du Collectif Inter-Urgences lors d'une conférence de presse du CIH. Elle interroge : « Comment conserver des soins de qualité quand des professionnels expérimentés quittent l'hôpital public par dégoût ? »
Car l'un des problèmes de l'hôpital est le départ des personnels, un phénomène difficile à chiffrer. « C'est impossible [à chiffrer], cela oblige à disposer du nombre de démission mais aussi des mutations vers d'autres services dans le même hôpital... » a expliqué la Dr Anne Gervais (hépatologue à l'AP-HP, vice-présidente de la Commission médicale d'établissement de l'AP-HP) lors de la conférence de presse du CIH.
« Cela dit, on a l'impression d'une augmentation des départs depuis la fin du premier épisode de la crise sanitaire, et de nouveau depuis les annonces qui ont suivi le Ségur de la santé ».
Reste un bon indicateur : le taux absentéisme qui est, lui, chiffrable. Au CHU de Lille, « le taux d’absentéisme est d’environ 12 %, avec près de 1 500 personnes prévues au planning absentes ; un signe d’épuisement des équipes » rapportait le quotidien Le Monde cette semaine.
A l'AP-HM, il est en moyenne de 11 %. Fabienne Eymard, cadre de santé à l'AP-HM, a déploré la situation lors de la visioconférence du CIH : comme les infirmières sont de plus en plus sollicitées à cause du manque de personnel, elles sont encore plus fatiguées. Ce qui logiquement conduit à plus d'arrêt de travail. Elle explique que sa mission consiste maintenant à « gérer l'absentéisme quitte à être maltraitante car pressante avec le personnel. ».
Manque de reconnaissance et gestion des ressources humaines catastrophique
« Nos infirmières, qui viennent de réanimation en post-chirurgie cardiaque, se sont portées volontaires pour aider en région parisienne » commence le Dr Philippe Bizouarn (anesthésiste-réanimateur, CHU de Nantes). Interrogé par Medscape édition française, il détaille : « on ne le sait pas mais il fallait que l'hôpital soit d'accord. Elles ont été obligées de convaincre la direction pour pouvoir partir. Puis elles ont passé plusieurs semaines à l'hôpital Henri Mondor (Créteil), un des plus gros centres Covid d'Ile de France. » Si elles ont bien reçu la prime, Philippe Bizouarn a l'impression que les infirmières de son service ne repartiraient pas. Le manque de reconnaissance global, croit-il deviner.
Olivier Milleron rappelle que la non-reconnaissance du Covid comme maladie professionnelle si la personne n'a pas été oxygéno-requérante nourrit aussi le sentiment de trahison.
Enfin, l'annonce que les personnels de l'AP-HP puissent se voir interdits de prendre des congés lors des vacances de la Toussaint a choqué sur le terrain. « Les gens sacrifient leur vie personnelle depuis des années. C'est humiliant de penser comme ça » s'agace Olivier Milleron qui constate une gestion des ressources humaines catastrophique.
Pour faire face à la recrudescence de l'épidémie sur le territoire et poursuivre l'activité hospitalière usuelle, le CIH considère qu' « il faut un plan de recrutement massif pour atteindre des ratios vivables, associer aux prises de décision les professionnels comme les usagers dans les établissements, abandonner les mutualisations déraisonnables, respecter les personnels dans le fonctionnement quotidien. C’est avec ces mesures que l’hôpital attirera les jeunes professionnel.les et retiendra les plus expérimenté.es. »
Quant à faire revenir les soignants qui sont partis, le CIH insiste sur la nécessité que la charge en soins des personnels soit reconnue, que les équipements de protection soient fournis, que les effectifs de personnels soient augmentés, que leurs horaires de travail soient respectés, que leurs temps de formations soient honorés, que leurs avis sur leur métier et leurs organisations soient écoutés et que la stabilité́ des équipes soit garantie.
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Citer cet article: COVID : alors que la pression monte, le moral des troupes est au plus bas - Medscape - 14 oct 2020.
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