Décubitus ventral et patients intubés/ventilés pour COVID: que sait-on?

Isabelle Catala , Marcia Frellick

Auteurs et déclarations

9 octobre 2020

Colombes, France -- Parmi les images marquantes de l’épidémie de Covid-19, les alignements de patients en décubitus ventral ont particulièrement marqué les esprits. Dix mois après le début de l’épidémie, qu’en est-il de cette pratique connue dans le traitement du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SRDA) depuis 2013, date de publication de référence par l’équipe du Dr Claude Guérin (Hôpital de la Croix Rousse, Lyon)?

Comme l’a expliqué le Pr Bruno Levy (Hôpitaux de Strasbourg) à l’occasion de l’e-congrès de la Société de Réanimation de Langue Française 2020 , «chez les patients en SDRA ayant un ratio PO2/FiO2 bas l’utilisation du décubitus ventral (DV) permet de diminuer la compression pulmonaire, de favoriser les échanges gazeux et le transport en oxygène du sang, d’améliorer la fonction cardiaque (en permettant un meilleur retour sanguin vers le cœur droit) et de drainer les sécrétions pulmonaires. Dans le cas de la Covid-19, cette technique est adaptée à deux des trois phénotypes de patients individualisés : ceux qui présentent des atélectasies et ceux qui souffrent de SDRA typique avec une compliance pulmonaire effondrée. Chez les patients présentant une atteinte focale avec des zones surperfusées (et parfois des signes d’embolie pulmonaire), cette technique n’a pas fait ses preuves».

 
Dans le cas de la Covid-19, cette technique est adaptée à deux des trois phénotypes de patients individualisés
 

Des « teams DV »

Les séances de décubitus ventral doivent être prolongées sur au moins 16 h et elles nécessitent entre 3 et 6 personnes à chaque changement de position (afin d’éviter les risques d’extubation ou de déperfusion). « Dès le début de l’épidémie, des « teams DV » ont été mis en place dans les hôpitaux du grand-Est et de la région parisienne avec des personnels de services de chirurgie (bien moins occupés en raison des déprogrammations d’interventions) et des étudiants en médecine ou en soins paramédicaux. Après formation spécifique, ces équipes ont été déployées dans les services de réanimation et de soins intensifs permettant aux soignants de ces services de se concentrer uniquement sur leurs soins, laissant les changements de positions aux « teams DV » », continue le Pr Levy. « A Strasbourg, par exemple, 367 passages en DV ont été réalisés entre mars et mai 2020, dont 34 % pour des patients qui bénéficiaient d’une ECMO pour aider à la ventilation (technique utilisée plutôt en fin d’épidémie). »

Des possibles complications

Si le rationnel d’utilisation des DV semble favorable chez les patients Covid-19 intubés, des questions se posent désormais sur les possibles complications liées à cette technique. Du fait de la pression sur le cou, les coudes et les genoux, il semblerait que le DV puisse être à l’origine de compressions et de lésions nerveuses chez 12 à 15 % des patients, selon une étude publiée dans le British Journal of Anaesthesia .

Le DV pour les patients en ventilation spontanée ?

Depuis le mois de juin, on sait aussi que le DV peut être proposé à des patients en ventilation spontanée présentant un rapport PO2/FiO2 bas et/ou une saturation artérielle en oxygène basse. L’étude préliminaire PRON-COVID a montré que sur 56 patients 9 ne supportaient pas la position ventrale et que 50 % des patients qui restaient en DV pendant 3 à 5 h étaient améliorés. Chez les patients nécessitant une oxygénation à haut débit ou une respiration avec pression positive (CPAP), cette technique peu couteuse - mis à part en personnel - peut être désormais proposée, même si aucune étude n’a encore permis de préciser le phénotype des patients à qui la proposer.

Mais à ce jour, le DV des patients en ventilation spontané n’est pas recommandé, comme l’a souligné le Dr Nicholas Bosch (Boston, Etats-Unis) à l’occasion du congrès virtuel de la Society of Critical Care Medicine intitulé COVID-19 : What’s next ? Ce médecin est l’investigateur principal de l’étude APPEX-19 (Awake Prone Position for Early Hypoxemia in COVID-19).

« En position allongée, le cœur n’exerce plus de force sur les poumons : les zones postérieures bénéficient ainsi d'une meilleure ventilation. L’oxygénation est améliorée. Cela a été démontré depuis plus de 20 ans », a souligné M. Bosch. « Cependant, des recherches ont montré que le fait de placer les patients sur ventre peut entraîner des escarres, des arythmies et être mal toléré par manque de confort. Les passages en DV des patients en ventilation spontanée peuvent aussi induire des retards délétères à l’intubation pour les patients Covid-19 qui pourraient avoir besoin d'un accès rapide à la ventilation mécanique. Les rares études menées sur le sujet étaient fondées sur des durées de DV de 3 à 5 h, nettement moins que celles utilisées en cas de SDRA (au moins 16 h) » a déclaré M. Bosch. « Ce sont des patients gravement malades ; est-ce que nous ne faisons que retarder l’intubation ? »

 
Le DV des patients en ventilation spontanée comporte des risques qu’il convient de qualifier et de quantifier
 

« Le DV des patients en ventilation spontanée comporte des risques qu’il convient de qualifier et de quantifier »,  a déclaré le Dr Meghan Lane-Fall, (Philadelphie, Etats-Unis). « En attendant cependant, le DV en ventilation spontanée devrait être "un autre outil dans la boîte à outils" », a-t-elle déclaré à Medscape Medical News . De son expérience elle a constaté que cette position était inconfortable pour les patients, mais qu’ils avaient néanmoins préféré tenter cette approche pour éviter une intubation.

Elle souligne aussi que pratiquer le DV sur des patients éveillés permet le recours à un personnel moins nombreux puisque les patients peuvent aider activement au retournement. « Si cette technique permet d’éviter l’intubation et ses complications, alors il est licite de la proposer », a estimé le Dr Lane-Fall. Mais des études sont nécessaires pour en préciser les indications. «La décision pourrait finalement dépendre de la rapidité du déclin d'un patient. Si les besoins en oxygène d’un patient augmentent rapidement, alors il est logique de l’intuber ».

Les Drs Bosch et Lane-Fall n’ont pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.
 

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