EASD : I-SGLT2, risque rénal, mesures hygiéno-diététiques

Pr Éric Renard, Pr Ronan Roussel, Pr Boris Hansel

Auteurs et déclarations

8 octobre 2020

Spécial EASD (partie 2) : focus sur les i-SGLT2 et la protection rénale avec l’étude DAPA-CKD, et du nouveau sur les mesures hygiéno-diététiques dans le prédiabète avec le complément alimentaire Totum-63 et l'utilisation du jacuzzi. Avec Éric Renard, Ronan Roussel et Boris Hansel 

Voir la 1ère partie ― EASD : focus sur l’insulinothérapie

TRANSCRIPTION

Boris Hansel — Bonjour et bienvenue sur Medscape dans cette vidéo consacrée aux nouveautés à l’EASD 2020, le plus grand congrès mondial de diabétologie. Si vous avez raté la première partie, je vous encourage à la regarder, nous avons discuté des nouveautés dans le domaine de l’insulinothérapie.

Nous allons parler maintenant d’autres sujets, tels que les vertus incroyables de certaines gliflozines, et de méthodes non médicamenteuses pour traiter le diabète et le prédiabète. On parlera du jacuzzi et également d’un complément alimentaire qui pourrait être utile pour traiter le prédiabète.

Mais revenons aux gliflozines avec nos invités, le Pr Éric Renard, chef des services de diabétologie au CHU de Montpellier, le Pr Ronan Roussel, chef de service de diabétologie à Paris, à l’hôpital Bichat.

Gliflozines et protection rénale

Boris Hansel — Ronan Roussel, vous connaissez particulièrement bien le sujet "rein et diabète", c’est l’un de vos sujets favoris de recherche. Est-ce que je m’avance un peu trop quand je dis qu’on a, maintenant, des données incroyables avec certaines gliflozines pour le patient diabétique ? Les cardiologues ont vendu la mèche il y a quelques semaines dans leur congrès ESC, mais ce sont les diabétologues qui en parlent le mieux. Alors, j’exagère ou pas ?

Ronan Roussel — Je crois qu’on vit une situation assez révolutionnaire dans le soin des patients avec diabète et atteinte rénale, puisque maintenant on dispose de médicaments en plus des bloqueurs du système rénine-angiotensine. On pensait que chaque progrès thérapeutique se ferait par petits pas, parce qu’on a déjà fait beaucoup et le risque résiduel est plus faible. Le pas fait à la fin des années 90 et au début des années 2000 avec les IEC et les ARA2, était une réduction, chez les patients protéinuriques, d'environ 20 % du risque de mort rénale. Là, le pas suivant, avec les i-SGLT2 est quasiment un grand écart, quelque chose comme 30 % - 40 % dans les études. L'étude publiée dans le New England Journal of Medicine [1] à l’occasion de l’EASD, c’est DAPA-CKD [NCT03036150], et elle a un ordre de grandeur d’un tiers — suivant les critères…

 
On vit une situation assez révolutionnaire dans le soin des patients avec diabète et atteinte rénale. Pr Ronan Roussel
 

Boris Hansel — On précise : "DAPA" est pour dapagliflozine, un médicament qui est commercialisé en France depuis avril — et je ne vais pas donner son nom parce que je sais que je vais me planter [ndlr : FORXIGA ] – et CKD pour chronic kidney disease, donc pour l’insuffisance rénale...

Ronan Roussel — C’est un essai mené chez plus de 4000 personnes avec une atteinte rénale, mais qui ne sont pas tous diabétiques ; c’est une caractéristique supplémentaire de cet essai : il a également étudié des sujets sans diabète — c’est moins notre quotidien dans le soin, mais c’est évidemment intéressant puisque les résultats sont absolument superposables, avec ou sans diabète.

Donc dans cette population, qui avait une filtration glomérulaire diminuée entre 25 et 75 ml/min et une atteinte rénale caractérisée avec bien souvent une albuminurie importante, on a une réduction de ce critère composite sévère — mort rénale ou doublement de la créatinine ou mort cardiovasculaire. Et si on s’intéresse plus spécifiquement à l’insuffisance rénale terminale, là aussi, on a une réduction du même ordre de grandeur qui est entre 30 % et 40 % — un tiers, grosso modo, du risque sur la durée de l’étude en moins, c’est absolument considérable en comparaison avec ce que je mentionnais tout à l’heure sur les IEC, où c’était une petite vingtaine de %. Donc c'est d'une pertinence très importante pour nos patients, avec un médicament qui est globalement très bien toléré, puisque chez ces patients qui sont à risque cardiovasculaire et à risque rénal par construction, qui ont une insuffisance cardiaque importante, l’intervention thérapeutique se traduit là aussi par un bénéfice.

Juste une mention de sécurité : le risque est aussi le risque cardiovasculaire périphérique, c’est-à-dire le risque d’artériopathie et éventuellement de complications podologiques. On se rappelle du signal qu’il y avait eu avec un autre inhibiteur de SGLT2, donc de la même classe thérapeutique, avec un risque d’amputation supérieur — on peut extrapoler les raisons qui étaient derrière cela —  ces patients insuffisants rénaux diabétiques sont à haut risque de lésions du pied. Et bien il n'y a absolument aucun signal de sécurité sur les amputations dans DAPA-CKD, donc on est bien rassuré par cet aspect-là.

Boris Hansel — Si on reprend notre question en deux mots : la dapagliflozine est d’abord un antidiabétique, après on voit que c’est un médicament qui est bon pour le cœur, d’ailleurs les cardiologues vont en faire un médicament de l’insuffisance cardiaque, et maintenant on nous dit que c’est un médicament de l’insuffisance rénale. Qui va le prescrire ? Les cardiologues, les diabétologues ou les néphrologues ?

Ronan Roussel — Alors demain les diabétologues, puisque pour l’instant la prescription est limitée aux diabétologues... On ne doute pas qu’avec ce niveau de preuve, autant dans l’insuffisance cardiaque que dans l’insuffisance rénale, cela va être — et c’est complètement légitime — étendu à nos collègues spécialistes, et à vrai dire, avec ce profil de sécurité, on ne voit pas très bien quelle serait la raison qui limiterait à quelques happy few la prescription de médicaments qui sont visiblement très utiles. Et ce serait bien dommage que dans des déserts médicaux où il n’y a pas beaucoup de spécialistes disponibles, les patients subissent une perte de chance par ne pas avoir accès à ce médicament.

Boris Hansel — Aujourd’hui, le remboursement en France n’est que chez des diabétiques qui sont insuffisamment équilibrés avec une mono-, voire une bi-thérapie metformine/sulfamide, donc on est bien loin, encore, de ce que vous nous annoncez pour demain, à savoir une prescription pour prévenir les événements cardiaques ou rénaux, mais on pense que cela arrivera, c’est votre message.

Quid des i-SGLT2 dans le diabète de type 1 ?

Boris Hansel — On sait que les diabétiques de type 1 développent aussi des maladies rénales ; en même temps, on sait qu’avec cette classe thérapeutique, un des problèmes principaux — parce qu'il faut le dire, il y en a un —  c’est le risque d’acidocétose. Un patient diabétique de type 1 insuffisant rénal, aura-t-il droit, demain, à cette classe thérapeutique ? Sachant que pour ce qui est de l’équilibre glycémique, il me semble avoir lu qu’il n’y avait pas de bénéfice. Donc si on le prescrivait chez le diabétique de type 1, cela serait purement pour le rein, mais en même temps, avec un risque d’acidocétose. Donc vous allez le prescrire ou pas ?

Ronan Roussel — Dans le diabète de type 1, la dapagliflozine a l’indication retenue par l’EMA, l’agence européenne du médicament — mais pas la FDA, comme quoi il y a bien un débat, mais en Europe cela a été tranché dans le sens favorable à l’indication. Pour autant, ce n’est pas remboursé en France dans cette indication, donc on est clairement hors des clous si on le prescrit aujourd’hui. En tout cas, il faut que cela soit discuté avec le patient. Mais par exemple, au Royaume-Uni, c’est déjà prescrit assez largement, plusieurs des dizaines de milliers de patients diabétiques de type 1 le reçoivent. Il y a, de fait, un bénéfice glycémique. On économise, on épargne de l’insuline en utilisant ce type de traitement — il y a d’autres bénéfices, comme des bénéfices sur le poids, etc. — on réduit le risque d’hypoglycémie, mais le repoussoir est le risque d’acidocétose qui est augmenté de façon substantielle et qui justifie la vigilance. Cela ne peut pas être prescrit larga manu à tout le monde, il faut en comprendre les conséquences et les conséquences sur la surveillance et l’attitude à avoir. La question que vous posez, spécifiquement : OK, il y a cette balance avantages-inconvénients que l’on connaît dans le diabète de type 1 en général, et chacun a tranché, et pour l’instant ce n’est pas remboursé en France, mais lorsqu’on augmente les bénéfices attendus, en extrapolant que les bénéfices qui viennent d’être démontrés dans diabète de type 2 le sont aussi dans le diabète de type 1 – et on ne voit pas trop pourquoi ils ne le seraient pas, parce que même quand il n’y a pas de diabète, les bénéfices sont là — mais il faudrait le démontrer parce que l’étude, pour l’instant, n’a pas été conduite chez les patients diabétiques de type 1 avec une souffrance rénale qui est mal contrôlée avec les bloqueurs du système rénine-angiotensine ; mais l’hypothèse est très alléchante, effectivement, pour nos patients chez qui le compte à rebours est lancé, malheureusement, sur le déclin de la fonction rénale.

Boris Hansel — Éric Renard, partagez-vous cette analyse ? La dapagliflozine chez le diabétique de type 1 insuffisant rénal, vous attendez de la prescrire ou pas ?

Éric Renard — Je dirais qu’on a franchi le pas. C’est-à-dire qu’effectivement tout ce que vient de dire Ronan est complètement logique. À partir du moment où cela apporte du bénéfice rénal et cardiovasculaire chez des non-diabétiques, on ne voit pas pourquoi les patients type 1, qui sont quand même à fort risque rénal et cardiovasculaire, n’auraient pas, aussi, la chance de ce bénéfice.

Boris Hansel — Avec une surveillance accrue pour l’acidocétose.

Éric Renard — Le signal que je leur ferais, c’est l’observance. C’est-à-dire que le risque d’acidocétose est majoré chez les inobservants. Il y a des inobservants chez les diabétiques de type 1, notamment les adolescents, donc je serais très prudent chez ceux qui ont des HbA1c élevés et qui ne font pas toutes les injections d’insuline — on sait que c’est courant chez les jeunes adultes et même chez les plus vieux adultes, parce que là, on va amplifier le risque d’acidocétose. Mais chez un type 1 chez qui, vraiment, on recherche un bénéfice cardiovasculaire, rénal, de perte du poids, de baisser les doses d’insuline etc. je dois dire que dans notre pratique quotidienne, en en discutant avec les patients et en faisant l’essai, il n’y en a pas beaucoup qui arrêtent, c’est vraiment un vrai bénéfice.

Totum-63 : complément alimentaire dans le pré-diabète ?

Boris Hansel — Parlons maintenant de sujets un peu plus légers autour de l’hygiène de vie. Vous avez entendu parler de TOTUM-63, un complément alimentaire à base de cinq extraits végétaux et qui montre un effet assez significatif dans un essai randomisé — et ce n’était pas la première étude du genre — chez des patients prédiabétiques.[2,3]  En avez-vous entendu parler ? Cela veut-il dire qu’on a un traitement non médicamenteux et qui n’est pas uniquement la perte de poids chez le prédiabétique ?

Ronan Roussel — Je ne le connais pas bien, donc je ne vais pas me prononcer sur cet extrait dont j'ignore la composition. Concerant les extraits végétaux, on sait qu’il y a des extraits de plantes divers et variés qui ont des effets sur la glycémie. On connaît l’effet de la cannelle

Boris Hansel — La cannelle, mais il faut des grandes quantités !

Ronan Roussel — Là je ne connais pas la composition. Récemment, un patient me parlait encore de liane de serpent qui était formidable — je ne sais pas si vous connaissez, cela vient des Antilles mais il y a quelques Antillais qui sont diabétiques quand même, donc cela ne doit pas être tout à fait si formidable. En tout cas, moi je trouve qu’on ne peut que louer les investigateurs de s’être lancés dans l’évaluation rigoureuse, parce que beaucoup de produits se vendent sur des allégations, et là ils ont démontré un bénéfice [essai TOTUM-63 TWO NCT02868177]. [2] Le prédiabète est une indication particulière, parce que pour l’instant, on ne donne pas de médicaments. Il y a un peu la metformine qui est prescrite dans ces conditions, mais c’est quand même anecdotique, et donc si ce type d’intervention est évalué, notamment pour des aspects de sécurité, et apporte un bénéfice, je ne vois pas pourquoi on ne s’y pencherait pas.

Boris Hansel — Oui. Je voulais en parler justement parce que je pense que ce n’est pas tous les jours qu’on a des essais cliniques avec ce type de produit. Éric Renard, pour vous, le prédiabète ? On sait qu’il y a des médicaments qui marchent, la metformine, les inhibiteurs de DPP-4, mais aujourd’hui on ne va pas les prescrire dans cette population. Pour vous, le traitement du prédiabète est purement nutritionnel et avec activité physique, ou est-ce qu’il y a de la place pour ce genre de complément alimentaire ?

Éric Renard — Disons qu’il ne faut pas que ces médicaments masquent le message essentiel, c’est-à-dire que le prédiabète n’est pas tout "seul". Ce sont des gens qui sont souvent un peu hypertendus, qui sont obèses, qui ont des dyslipidémies. Donc le message écologique de la diététique et de l’activité physique reste quand même crucial. Si ces molécules d’origine végétale peuvent aider pour le contrôle glycémique, pourquoi pas ? Mais je pense que le message clé est que ces gens sont souvent trop sédentaires, en surpoids, et ils ne mangent pas bien. Et il ne faut pas relâcher les efforts dans ce domaine, même si c’est souvent frustrant parce que c’est difficile à appliquer au long cours. Mais en termes de santé publique, le message est quand même là : bouger, manger mieux, manger différemment.

Boris Hansel — D’accord, et de ne pas essayer de dire que c’est une question de molécules et de médicaments, à ce stade.

Éric Renard — Oui, parce que sinon les gens vont rester dans leur fauteuil à regarder la télévision ou leur ordinateur en se disant « je prends les pilules, donc il n’y a pas de problème. » Il ne faudrait pas que le message soit là.

Les bienfaits du jacuzzi dans le prédiabète ?

Boris Hansel — Et on a encore mieux que les pilules... C’est une étude japonaise transversale, présentée à l’EASD sous forme d’un poster [4], qui nous parle des bienfaits du jacuzzi. Tenez-vous bien : après certains ajustements statistiques, le fait de faire quatre jacuzzis par semaine est associé à une réduction de l’hémoglobine glyquée, et d’un peu plus de 0,3 % chez les gens qui sont autour de 7,5 % de base. Les auteurs mentionnent une petite lettre du New England Journal of Medicine en 1999, une étude avant-après des bains chauds, ils mentionnent également des essais, des études chez l’animal, montrant que le bain chaud pourrait améliorer l’insulinosensibilité. Pour vous, ce sont des pistes à prendre au sérieux ? Est-ce que vous êtes prêts à dire qu’on peut élargir les mesures hygiénodiététiques à ce genre de comportement ? Ou c’est de la rigolade et il ne faut pas en parler ?

Ronan Roussel — Cela dépend un peu de la nature de cette étude. Je crois qu’il faut plus qu’une étude transversale pour trouver sa place dans les recommandations. Si ce temps consacré au jacuzzi, puisque vous n’avez pas dit combien de temps vous devez passer dans le jacuzzi, était consacré à de l’activité physique… il faudrait un bras comparateur.

Boris Hansel — Ce que disent les auteurs, c’est que c’est peut-être par le biais de la relaxation et par le biais d’une augmentation de l’activité physique que cela fonctionnerait…

Ronan Roussel — Quand je vois des individus dans le jacuzzi, je n’ai pas le sentiment d’activité physique intense qui me vient tout de suite à l’esprit. Mais peut-être…

Éric Renard — Je pense que le fait de faire du jacuzzi régulièrement dans la semaine traduit en fait un comportement. Et cela a été beaucoup discuté dans les traitements de la ménopause, c’est-à-dire que le fait de s’appliquer une certaine discipline et un certain mode de vie traduit un caractère particulier qui, effectivement, souvent est bénéfique contre le risque. Donc le jacuzzi, pourquoi pas ? Peut-être, même en prenant les pilules végétales dans le jacuzzi, ce serait encore mieux ! Pourquoi pas ? Cela ne fait de mal à personne et fait vendre des jacuzzis en plus…

Boris Hansel — Bon, ce ne sera pas la base de votre prescription, mais vous ne le contre-indiquerez pas, en attendant l’essai randomisé… Mais ce ne sera pas possible de faire des effets en aveugle pour le jacuzzi…

Merci à toutes et à tous d’avoir suivi ce programme et à bientôt sur Medscape.

Voir la 1ère partie ― EASD : focus sur l’insulinothérapie

Discussion enregistrée le 25 septembre 2020

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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