EASD : focus sur l’insulinothérapie 

Pr Éric Renard, Pr Ronan Roussel, Pr Boris Hansel

Auteurs et déclarations

8 octobre 2020

Spécial EASD (1ère partie) avec Eric Renard, Ronan Roussel et Boris Hansel : nouveaux résultats dans l'insulinothérapie en boucle fermée chez l’enfant atteint de diabète de type 1, l'insuline hebdomadaire dans le diabète de type 2, et un point sur l'observance thérapeutique.

Voir la 2e partie ― EASD 2020 : I-SGLT2, risque rénal, mesures hygiéno-diététiques

TRANSCRIPTION

Boris Hansel — Bonjour et bienvenue sur Medscape dans cette vidéo consacrée à un retour sur l’EASD 2020, le plus grand congrès de diabétologie au niveau mondial. Pour cela, nous sommes en compagnie de deux diabétologues de renom, le Pr Éric Renard, chef de service de diabétologie au CHU Lapeyronie de Montpellier, et le Pr Ronan Roussel, chef de service de diabétologie à l’hôpital Bichat, à Paris.

Nous allons parler d’insuline et de nouvelles technologies, en particulier chez les enfants. Dans une 2e partie, Nous discuterons également — car on ne peut pas faire autrement — des gliflozines et de leur effet incroyable sur le rein, et nous commenterons également des sujets un peu plus légers, mais peut-être efficaces, comme le jacuzzi et les compléments alimentaires qui pourraient être très intéressants dans le prédiabète.

La boucle fermée et traitements d’avenir en pédiatrie

Boris Hansel — Commençons avec le Pr Renard au sujet de l’insulinothérapie chez l’enfant, avec une étude que vous avez présentée à l’EASD 2020. [1] [Une autre étude, de Beton M. et al. a récemment été publiée dans New England Journal of Medicine [2]].

Vous avez parlé de l’intérêt de la boucle fermée chez l’enfant par rapport aux injections d’insuline. Rappelons que c’est une sorte de « pancréas artificiel » avec des capteurs, avec une pompe à insuline et il semble que c’est peut-être un traitement d’avenir. Comment est-ce que ça marche et en quoi est-ce mieux que les injections ?

Éric Renard — Il s’agit en fait d’insulinothérapie automatisée, c’est-à-dire qu’on a une pompe à insuline (en l’occurrence dans cette étude la pompe TANDEM t:slim, qui est disponible en France depuis le mois de mars dernier) qui est connectée à un capteur Dexcom G6, qu’il ne faut pas calibrer et qui marche pendant dix jours. Donc le Dexcom envoie à la pompe TANDEM les informations sur la glycémie en continu. Dans la pompe, il y a un algorithme qui va viser à maintenir la glycémie dans une zone proche de la norme, entre 70 et 180, et si possible entre 70 et 140. Donc à chaque fois qu’il y a une information qui vient du capteur — donc toutes les cinq minutes — il va y avoir un recalcul de l’algorithme pour savoir combien la pompe doit délivrer pour que la glycémie reste la plus normale possible.

Boris Hansel — Cette pompe joue-t-elle un rôle d’injection continue d’insuline basale ou s’occupe-t-elle aussi de manière automatisée à injecter des bolus lors des repas ?

Éric Renard — Non, cela ne règle pas les repas. En fait, cela renvoie un basal et cherche le meilleur basal possible, mais l’intérêt de cet algorithme est qu’il fait des bolus de correction automatisés. C’est-à-dire que quand manifestement l’augmentation du basal ne suffirait pas, l’algorithme demande des microbolus à la pompe pour ramener la glycémie à la norme.

Boris Hansel — Donc si l’enfant a oublié de faire son injection, son bolus va être corrigé par l’algorithme ?

Éric Renard — C’est ça. Il sera normoglycémique au repas suivant. C’est-à-dire que l’algorithme va ramener la glycémie à la norme pour le repas suivant.

Boris Hansel — Et pourquoi cette technique est-elle supérieure aux injections ? C’est ce que vous avez montré dans votre étude.

Éric Renard — Dans notre étude nous avons comparé l’utilisation la nuit versus l’utilisation 24 heures sur 24. Ce sont des enfants qui étaient déjà traités par pompe avant. Donc au départ ils étaient sous pompe, mais avec des contrôles glycémiques qui n’étaient pas excellents, et ils avaient à peu près 50 % de temps dans la cible, alors qu’on vise 70 %.

Boris Hansel — C’est-à-dire qu’ils étaient la moitié du temps en hyperglycémie ou en hypoglycémie, et l’autre moitié à une glycémie jugée satisfaisante.

Éric Renard — Voilà. Surtout en hyperglycémie. Les hypoglycémies, le temps passé était rarement au-delà de 6 %-7 %, mais par contre il y avait beaucoup d’hyperglycémies. Les enfants mangent souvent et souvent ils se mettent en hyperglycémie. Donc effectivement, on gagne 15 % quand on utilise ce système 24 heures sur 24. Et ce qui est intéressant, c’est que cela marche chez tous les enfants. C’est-à-dire que ceux qui ne sont vraiment pas bien, en dessous de 45 % dans la cible, gagnent quasiment 30 % de temps dans la cible. Ceux qui sont déjà proches de 70 %, gagnent 5 %, ils ne gagnent pas énormément de choses. Mais quel que soit le niveau de temps dans la cible au départ et quelle que soit l’hémoglobine glyquée de départ, il y a toujours une amélioration. Il n’y a pas des gens qui gagnent et d’autres qui ne gagnent rien.

Boris Hansel — Donc une amélioration de l’équilibre glycémique et moins d’hypoglycémies, je suppose ?

Éric Renard — Divisé par 2. Deux fois moins de temps en hypoglycémie, et ce qu’il y a de particulier dans l’algorithme qu’on a testé, c’est qu’en plus il y a une agressivité accrue de l’algorithme sur la fin de nuit, ce qui fait que tous les enfants se lèvent avec une glycémie entre 1,10 g et 1,20 g.

Boris Hansel — C’est assez rassurant et encourageant pour les enfants et pour les parents.

Éric Renard — Exactement. C’est ce que disent les parents. Pour la première fois, ils dorment sur leurs deux oreilles, ils n’ont pas le stress de savoir si les enfants vont faire une hypo la nuit et s’ils vont se retrouver soit en hypo, soit à 4 g, le matin au réveil.

Boris Hansel — On voit les progrès qui ont été faits ces dernières années et encore avec cette étude concernant le traitement par insuline, mais chez l’enfant, c’est particulièrement important. J’aimerais vous interroger tous les deux sur l’avenir, le traitement de demain de l’enfant. Souvent, on parle des adultes, mais peu des enfants — est-ce que ce système est le traitement d’avenir ? Est-ce qu’il y a mieux ? Quid des greffes d’îlots ? Où on en est aujourd’hui ?

Éric Renard — Les greffes d’îlots ne sont pas possibles en pédiatrie parce que les traitements immunosuppresseurs entraînent des risques qui sont inacceptables chez l’enfant. Il y a des risques d’immunité, des risques de néoplasie à plus ou moins long terme, donc actuellement, la greffe d’îlots n’est pas validée chez l’enfant, on ne la fait pas de greffe d’îlots. Il faudrait vraiment des îlots protégés qui permettraient de s’abstenir de l’immunosuppression. Ce n’est pas la science-fiction, mais c’est quand même un peu loin.

Là, la technologie a fait ses preuves. C’est-à-dire qu’aujourd’hui il n’y a pas de raison de mettre une pompe sans mettre un capteur et un algorithme, puisque cela fait mieux que les pompes existantes, qui font déjà mieux que les injections. Donc l’ambition, évidemment, est que tous les enfants puissent bénéficier de ce type de systèmes, et si possible dès le diagnostic puisqu’on travaille pour l’avenir, donc s’ils sont bien dès le début, cela laisse penser qu’ils ne feront pas de rétinopathie, pas de néphropathie, pas de problème, plus tard.

Boris Hansel — On comprend votre enthousiasme, qui est tout à fait normal — vous êtes auteur de cette étude et vous travaillez là-dessus — on va demander l’avis de Ronan Roussel, qui est moins impliqué dans ce travail. Pour vous, c’est le traitement de demain ?

Ronan Roussel — Absolument. On voit les différences : la nuit, c’est absolument extraordinaire. Le jour, c’est moins net parce qu’il y a plus de fluctuations diurnes avec les repas, et éventuellement les snackings hors des repas.

Je poserais peut-être une question :  quasiment dès le début, cela va être le traitement par défaut à un moment ou à un autre, même sur un petit temps d’adoption, donc comment va-t-on gérer la sécurité de ces enfants qui n’auront pas la pratique des injections au stylo ? Et c’est vrai aussi pour les adultes. Mais ces enfants seront ultra-dépendants d’une technologie qui est, quand même, essentiellement fragile.

Éric Renard — En fait c’est la même chose pour les patients sous pompe. C’est-à-dire que maintenant, il n’est pas rare qu’il y ait des patients diabétiques de type 1 qui passent d’emblée sous pompe, notamment des enfants, mais ils ont une éducation pour faire des injections, puisque c’est la roue de secours. Donc il faut qu’ils soient toujours capables de prendre le relais en injection si la pompe est défaillante — et qui plus est, quand il y a une technologie un peu plus sophistiquée.

Boris Hansel — Est-ce qu’aujourd’hui, en France, ce type de dispositif va pouvoir être déployé dans tous les centres ou cela reste-t-il encore quelque chose qui va être réservé à quelques centres particuliers ? Parce que vous nous parlez d’une technologie qui change la vie des parents, des enfants, de l’équilibre glycémique. Pourquoi ne pas l’avoir chez tout le monde ? Comment cela va se déployer demain ?

Éric Renard — La Société Francophone du Diabète (SFD) vient justement de publier des recommandations sur comment mettre en place la boucle fermée en pratique. L’idée est qu’il y ait deux types de centres selon l’équipement. Il y aura des initiateurs qui auront suffisamment de personnel pour l’éducation thérapeutique qui pourront initier les traitements, mais ce sera en partenariat avec tous les diabétologues qui assureront le suivi. Parce qu’il est hors de question que cette technique soit suivie uniquement par quelques centres en France. Donc ce sera ouvert à tous. Mais c’est vrai que pour rester dans la sécurité, dans l’initiation, il y a quand même un processus éducatif qui nécessite du temps, du personnel, et c’est vrai qu’un diabétologue libéral ou un hôpital périphérique n’aura sûrement pas tout ce qu’il faut pour assurer cette sécurité.

L’insuline hebdomadaire dans le DT2

Boris Hansel — On a donc parlé beaucoup de ce système d’insulinothérapie automatisée (et non pas de « pancréas artificiel »). Avez-vous vu, l’un ou l’autre, à l’EASD, d’autres innovations particulières à relever dans le domaine de l’insulinothérapie ? On peut parler aussi de l’adulte…

Ronan Roussel — On a évoqué à l’EASD [3] l’insuline hebdomadaire, qui a fait l’objet de communication et d’un article dans le New England Journal of Medicine [4] dans le diabète de type 2, dans un petit groupe de patients. Ce sont aussi des résultats qui sont très intéressants — c’est une innovation, un peu une prouesse de bio-ingénierie. Est-ce que cela sera une révolution comme le sera l’insuline automatisée ? Je pense qu’on n’est pas dans le même ordre de grandeur de révolutionnaire.

Boris Hansel — Donc rassurez-nous : c’est une injection d’insuline pour la basale, mais les insulines rapides, il faut les faire à chaque repas ?

Ronan Roussel — En l’occurrence, il s’agissait d’initiation dans le type 2 de l’insuline, donc c’était que de l’insuline basale.

Boris Hansel — Ah ! Avec des patients qui avaient des antidiabétiques oraux ou des injections, mais pas chez des patients qui avaient un basal bolus, donc cela pourrait être éventuellement intéressant pour démarrer une insulinothérapie chez des patients réticents.

Ronan Roussel — Oui. Et on sait bien que ce sont des situations où le risque hypoglycémique est aussi beaucoup plus faible. Or c’est le repoussoir de cette insuline hebdomadaire, c’est l’accumulation, que faire s’il y a une hypo… ?

Boris Hansel — Il ne faut pas se tromper de dose le dimanche, en se disant « je mange bien, donc je m’en injecte beaucoup. »

Ronan Roussel — Oui, l’éducation sera importante, je crois.

Éric Renard — Pour des patients pour lesquels on connaît la dose journalière, c’est vrai que de switcher pour éviter l’inobservance, qui est un problème majeur dans le type 2, on peut imaginer prendre le relais, ensuite, à une injection hebdomadaire.

L’initiation est peut-être un peu dangereuse, mais le relais, ensuite, une fois qu’on connaît la dose, est sûrement pratique.

Ronan Roussel — La proportion d’hypos était faible…

Éric Renard — Oui.

Ronan Roussel — Et après, on peut imaginer — là, c’est moi qui spécule — coupler à des agonistes hebdomadaires du GLP-1, où là aussi cela smoothe encore plus et le risque d’hypo est encore plus faible.

Observance thérapeutique

Boris Hansel — Vous avez annoncé le mot observance et c’est l’occasion d’en reparler — on a vu aussi dans des études avec des stylos connectés que l’observance est bien inférieure à ce qu’on peut imaginer. Je ne sais pas quelle est votre expérience, mais de nombreux patients oublient, ou ne font pas leur injection d’insuline basale. Donc je retiens l’intérêt pour ce sujet-là.

Éric Renard — Oui, c’est vrai que l’observance est un problème dont on ne parle pas suffisamment et plutôt que d’empiler les médicaments, une petite enquête discrète pour savoir combien de traitements sont vraiment pris, cela rend humble.

Boris Hansel — Merci Pr Renard et Pr Roussel, pour cette première partie du retour sur l’EASD. On va se retrouver dans une 2e partie où on parlera des incroyables vertus de certains inhibiteurs SGLT2 et de traitements plus légers, mais peut-être efficaces, que ce soit le jacuzzi pour traiter le diabète, ou encore de compléments alimentaires pour traiter le prédiabète.

Voir la 2e partie ― EASD : I-SGLT2, risque rénal, mesures hygiéno-diététiques

Discussion enregistrée le 25 septembre 2020

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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