Alors que dans le cancer rénal, les traitements de première ligne vont probablement évoluer suite aux résultats de l’essai CheckMate 9ER, plusieurs études négatives déçoivent dans le cancer urothéliaux. De nouvelles molécules sont cependant en développement, notamment les anticorps conjugués comme le sacituzumab govitecan, rpésenté dans l’étude française TROPHY.
Voir partie 2 - Cancer de la prostate : 4 études à retenir de l’ESMO 2020
TRANSCRIPTION
Constance Thibault — Bonjour et bienvenue sur Medscape. Je suis le Dr Constance Thibault, oncologue médical à l’hôpital européen Georges Pompidou, à Paris, et je suis aujourd’hui en présence du Dr Laurence Albigès qui travaille à l’institut Gustave Roussy, à Villejuif. Nous allons essayer de vous retracer les principales actualités dans les tumeurs génito-urinaires qui ont été présentées cette année à l’ESMO.
Cancer du rein : évolution des traitements de première ligne
Constance Thibault — Quelles sont tout d’abord les principales nouveautés de ce congrès dans le cancer du rein ? Y-a-t il eu des gros scoops cette année ?
Laurence Albigès — Effectivement, c’est encore une année particulière pour le cancer du rein puisqu’il y a eu une session présidentielle qui nous a apporté les résultats d’une nouvelle combinaison en première ligne, qui est un doublet d’un anti-angiogénique, le cabozantinib, avec une immunothérapie, le nivolumab, dans l’étude CheckMate 9ER [NCT03141177] [1]. Donc c’est une stratégie VEGFR TKI + un anti PD-1. C’est un essai d’enregistrement qui s’est comparé au sunitinib.
L’étude CheckMate 9ER est tout à fait positive, elle montre un bénéfice en survie avec un hazard ratio à 0,6 ainsi qu’un bénéfice en taux de réponse et une PFS deux fois plus longue avec l’association. Au-delà des 15 mois, on est à 16 mois de PFS, donc très clairement un bénéfice franc de cette approche. C’est une étude qui nous montre que les associations anti-angiogénique + immuno sont associées à des toxicités, qu’on connaît maintenant puisqu’on a accès en France à l’association axitinib + pembrolizumab, mais c’est un nouveau doublet qui va venir enrichir notre arsenal thérapeutique en première ligne. Très clairement, cet essai vient offrir, probablement, un autre standard en première ligne. Bien sûr, on va attendre les autorisations des autorités de santé.
Constance Thibault — D’accord. C’est vrai que cela fait une nouvelle combinaison en première ligne. Est-ce qu’il y a eu des actualisations ou des nouveautés sur les autres combinaisons de traitement ?
Laurence Albigès — Des actualisations, oui : le nivolumab + ipilimumab avec un suivi de plus de quatre ans maintenant, et qui montre les mêmes bénéfices en survie, en taux de réponse et en PFS dans la population des pronostics intermédiaires et mauvais, avec un hazard ratio qui se maintient tout à fait à 0,65.
Il y a aussi l’association cabozantinib + atézolizumab, dans l’étude COSMIC-021[2]: ce sont des données de phase 1 avec à peu près 70 cancers du rein, mais qui montrent aussi un taux de réponse de l’ordre de 55 % à 60 %. Donc le cabozantinib est probablement une molécule qui a un intérêt en association — pour l’instant, ces données sont des données de première ligne.
Et puis on attend encore une phase 3 qui est l’étude CLEAR [NCT02811861] avec l’association lenvatinib + pembrolizumab — celle-là n’a pas encore été présentée.
Constance Thibault — D’accord. Et est-ce qu’il y a des biomarqueurs qui semblent potentiellement intéressants, justement, pour nous aider à choisir dans ce panel de combinaisons, que ce soit en première ligne ou dans les lignes ultérieures ?
Laurence Albigès — En routine nous n’utilisons pas de biomarqueurs et notamment pas PD-L1. Par contre, la session cancer du rein, à l’oral, avait une bonne tonalité française puisqu’il y a eu plusieurs oraux dans le cancer du rein présentés par des Français. Il y avait des analyses de l’étude NIVOREN [NCT03013335] [3] qui a été conduite en France, et surtout, il y avait la première présentation de l’étude BIONIKK [NCT02960906] [4] qui a été soulignée par l’ensemble des médias, puisque c’est une étude basée sur l’utilisation de biomarqueurs avant randomisation – et c’est une étude de stratégie qui teste, chez les patients, en fonction d’un biomarqueur, une randomisation soit TKI, soit immuno, avec soit simple immuno, soit double immuno, en fonction des profils d’expression. L’étude BIONIKK nous permet surtout de montrer que c’est faisable, applicable en routine… Là, on était sur du matériel congelé — la prochaine étape sera de travailler sur de la paraffine. Et elle nous montre que ce sont des patients qui ont vraisemblablement un infiltrat immunitaire important. Peut-être qu’une monothérapie peut faire aussi bien qu’une double immunothérapie. Bien sûr, ce n’est pas un essai à visée comparative, mais par contre une étude biomarqueurs très bien menée et de laquelle nous sommes très fiers.
Cancer de la vesssie : échec des combinaisons en première ligne, nouvelles molécules
Laurence Albigès — Constance, peux-tu nous en dire plus sur les tumeurs de vessie présentées à l’ESMO ?
Constance Thibault — Dans les tumeurs urothéliales, il y a eu pas mal d’actualités, mais malheureusement des études négatives, qui étaient quand même des études qu’on attendait, notamment les combinaisons en première ligne de traitement dans les cancers urothéliaux métastatiques.
Je commencerais par les données de KEYNOTE 361 [NCT02853305] [5], qui était une étude de phase 3 incluant un peu plus de 1000 patients et qui comparait trois bras de traitement : le bras chimiothérapie par platine-gemcitabine, le bras chimiothérapie + pembrolizumab (donc un anti-PD-1) et le bras pembrolizumab seul. C’était une étude qui avait comme critère de jugement principal un critère composite : la survie globale et la survie sans progression pour comparer le bras chimiothérapie seule versus chimiothérapie + immunothérapie. Malheureusement, cette étude est négative sur ce critère de jugement principal, et quand on compare le bras pembrolizumab versus chimiothérapie dans la population PD-L1 positive, l’étude est aussi négative avec, finalement, des taux de réponse objective qui sont meilleurs quand la chimiothérapie est donnée que quand il n’y en a pas, et qui sont un tout petit peu mieux — de l’ordre de 55 % — dans le bras chimiothérapie + pembrolizumab versus 45 % dans le bras chimiothérapie seule. Finalement, c’est deux fois plus que ce qu’on a pu observer dans le bras pembrolizumab seul.
La deuxième étude négative est DANUBE [6] avec un design relativement similaire : là encore un peu plus de 1000 malades inclus, sauf que cette fois-ci on évaluait le durvalumab, un anti PD-L1, en association au trémélimumab, un anti-CTLA4. Et on comparait cette combinaison à une chimiothérapie par platine-gemcitabine versus le durvalumab seul. C’est une étude qui, là encore, avait comme critère de jugement principal la survie globale et qui voulait comparer, le durvalumab + le trémélimumab versus la chimiothérapie dans la population générale, et le durvalumab versus la chimio dans la population PD-L1+. C’est donc une étude négative avec des taux de réponse objective qui restent, là encore, meilleurs sous chimiothérapie, avec une tolérance par contre meilleure dans le bras immunothérapie. Il y a peut-être une tendance, mais qui n’est pas significative, d'un bénéfice au durvalumab + le trémélimumab dans la population PD-L1+.
Voilà donc finalement deux grosses études négatives et je citerais une troisième étude, espagnole, de phase 2, [7] qui associait l’avélumab (anti PD-L1), au carboplatine-gemcitabine avec une séquence de traitement importante : c’était avélumab deux injections, puis chimio + avélumab. Et elle comparait ce traitement à la chimiothérapie seule. Un peu plus de 80 patients étaient inclus, et là encore, l’étude est négative ; on a l’impression que le bras avec avélumab + chimiothérapie était même peut-être délétère, possiblement à cause de la survenue de progression relativement précoce avant même la première évaluation. Donc globalement, la chimiothérapie en première ligne reste le standard de traitement.
Heureusement, on a quand même eu les très belles données de l’étude JAVELIN 100 Bladder [NCT02603432] qui avaient été présentées à l’ASCO cette année et qui avaient montré un bénéfice à l’avélumab en maintenance après la chimiothérapie pour les malades qui avaient une maladie contrôlée. À l’occasion de l’ESMO, on a eu une actualisation [8] avec les données en sous-groupes, que ce soit en fonction de la chimiothérapie reçue – cisplatine ou carboplatine – que ce soit les patients qui étaient en réponse complète, partielle ou en stabilité, que ce soit selon le statut PD-L1, et globalement, cela a l’air de marcher dans tous les sous-groupes de patients. On a l’impression que cela marcherait peut-être un peu moins chez les patients en réponse complète après chimiothérapie et aussi peut-être un peu moins bien chez les patients avec tumeurs PD-L1 négatives. Mais ces résultats sont des analyses en sous-groupes et il n’y a pas de différence statistiquement significative.
Laurence Albigès — Merci pour ce paysage de la première ligne. Est-ce qu’on a des nouveautés chez les patients qui ont évolué après une première ligne, ou bien des nouveaux médicaments en développement ?
Constance Thibault — Cela fait quelque temps qu’on entend parler d’une nouvelle classe thérapeutique que sont les anticorps conjugués, et parmi ceux-là, il y a le sacituzumab govitecan, qui a un nom un peu compliqué. C’est un anticorps qui va cibler Trop-2, qui est une protéine surexprimée dans 80 % à 90 % des carcinomes urothéliaux (donc de manière vraiment très fréquente) et qui conjugue le SN-38, qui est le métabolite actif de l’irinotécan (une molécule qu’on connaît). Cette année on a eu les résultats de l’étude de phase 2 TROPHY-U-01 [NCT03547973] qui a été présentée par le Dr Loriot en session orale. [9] Cette étude avait trois cohortes qui incluaient des malades à différents stades de leur maladie. Là on a eu les résultats de la cohorte 1 qui incluait des malades après chimiothérapie et après immunothérapie. Au total, c’est une étude qui a inclus un peu plus de 100 patients, la moitié avait quand même reçu déjà trois lignes de traitement (donc ce sont des malades lourdement prétraités), avec des résultats intéressants en termes de taux de réponse objective, qui était le critère de jugement principal. Il était, dans cette étude, à 27 %. Donc il y a actuellement une étude de phase 3, qui est l’étude TROPICS 03 [NCT03964727], qui est en cours, et on attend d’avoir les résultats avec impatience.
Laurence Albigès — Super, donc cela bouge encore en première ligne dans le cancer du rein, et pour la tumeur de vessie, on a probablement des nouveautés qui arrivent avec des nouvelles approches et des nouvelles molécules en développement.
Voir partie 2 - Cancer de la prostate : 4 études à retenir de l’ESMO 2020
Discussion enregistrée le 25 septembre 2020
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Citer cet article: L’actualité des cancers du rein et de la vessie à l’ESMO 2020 - Medscape - 2 oct 2020.
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