Virtuel--Six mois après le début de l’épidémie de COVID-19, les oncologues accusent le coup : leur charge mentale a augmenté (stress et épuisement) et leur qualité de vie a baissé. Seuls les hommes de plus de 40 ans qui ont participé activement à la mise en place de protocoles d’hospitalisation dans ce contexte particulier, se sont sentis valorisés. C’est le résultat de l’enquête ESMO Resilience Task Force présentée par le Dr Susana Barnejee (Londres, Grande-Bretagne) qui a été réalisée en deux vagues (avril/mai et juillet/aout) avec la participation respective de 1 520 et 942 oncologues de 101 pays dont la France. Les résultats ont été présentés en ligne lors du congrès de l’ESMO 2020[1].
Interrogé sur ces résultats par Medscape édition française, le Pr Jean-Yves Blay, Président d’Unicancer indique : « cette étude doit attirer notre attention ». Il précise que dans les centres Unicancer, il n’a pas été observé d’augmentation significative des burnout pendant la première vague de COVID-19 mais il insiste sur la nécessité de prendre en compte les facteurs de risque de burnout déjà présents avant la crise COVID. Il alerte aussi sur « la fatigue actuellement observée chez les soignants et les médecins à un moment où la charge de travail actuelle ne s’éteint pas ». « Nous sommes 6 mois après le début de la crise, ce qui signifie un travail continu et une certaine forme de fatigue des soignants et des médecins qui est globale et qu’il faut entendre et écouter », renchérit-il.
Des chiffres inquiétants
Pour la première des études de l’ESMO, 67 % des participants exerçaient en Europe, 17 % en Asie, 5 % en Amérique du Nord et 5 % en Amérique du Sud. 45 % d’entre eux étaient âgés de moins de 45 ans, 51 % de femmes ont participé et 71 % des répondants étaient d’origine caucasienne. Les oncologues médicaux ont été très majoritaires (70 %), les médecins en formation représentaient 22 % du panel.
Du fait de l’épidémie, 67 % des répondants ont dû adapter leurs horaires et leur façon de travailler et 78 % ont déclaré avoir eu peur par moment pour leur propre sécurité.
L’analyse des données de la phase 1 montre que l’épidémie a impacté la qualité du travail et la qualité de vie : 25 % rapportaient des signes de détresse psychologique, 38 % un burnout et 66 % estimaient qu’ils ne pouvaient pas travailler aussi efficacement qu’avant l’épidémie. Les oncologues qui estimaient positivement leurs performances au travail étaient moins à risque de burnout et leur ressenti global était meilleur (p<0,01).
C’est dans les pays où la mortalité était la plus basse que le bien-être au travail était le moins impacté (p<0,001). L’analyse détaillée des déterminants de la dégradation des conditions de travail montre que les médecins qui étaient le moins impactés étaient ceux qui avaient un haut degré de résilience, ceux qui ont accepté de modifier leurs horaires de travail, ceux qui avaient déjà été sensibilisés aux risques liés aux conditions de travail et au bien être professionnel. Les oncologues qui ont été valorisé par leur institution ont déclaré moins d’impact psychologique de l’épidémie que ceux qui se sont sentis moins soutenus.
Une détresse psychologique en augmentation entre le printemps et l’été
L’analyse des données de la phase 2 montre que le risque de détresse morale a augmenté dans l’échantillon (33 % contre 25 %), tout comme le sentiment d'épuisement (49 % contre 38 %). Pour les 272 participants qui ont accepté de répondre aux deux enquêtes, le risque de détresse morale et de burnout a augmenté en 3 mois (respectivement 22 à 31 %, et 35 à 49 %). Néanmoins, les performances au travail se sont améliorées au cours du temps (38 contre 51 % de performances acceptables).
Interrogée par Medscape Medical News, le Dr Susana Barnejee explique que « les institutions ont pris en compte cet aspect de bien-être au travail et elles ont proposé un accompagnement en cette période complexe. Mais cet effort n’est pas suffisant pour permettre d’éviter les conséquences négatives de la crise COVID-19 sur les capacités au travail, la vie domestique et la qualité des soins donnés aux patients ».
Comment serait-il possible d’améliorer les conditions de travail des oncologues en période épidémique ?
A cette question, 81 % des répondants estiment que des réunions d’échange sur le sujet pourraient être utiles, 79 % plébiscitent le suivi et l’aide par un psychologue. Le télétravail est aussi un axe important à privilégier pour 86 % des oncologues. A l’occasion de la conférence de presse de présentation des résultats, le Dr Pilar Garrido (Université d’Alcalá, Madrid, Espagne) explique que « les femmes ont payé un lourd tribu à l’épidémie car, en plus de leur travail hospitalier, elles ont dû, dans leur majorité, passer plus de temps qu’habituellement avec leurs enfants du fait du confinement. C’est peut-être l’une des raisons des plus mauvais chiffres de ressenti de l’épidémie des femmes oncologues par rapport aux hommes ».
Le Dr Banerjee explique aussi que la maladie « COVID-19 a posé des défis uniques en matière de soins du cancer. Par exemple, l'utilisation d'agents immunosuppresseurs a été une réelle préoccupation lors de la première vague de COVID-19, du fait des conséquences potentielles de l’impact de ces médicaments sur l’immunité. Des décisions ont dû être prises : arrêt de traitement, changements de protocoles, modifications de doses… Toutes ces remises en questions de protocoles déjà fixés par avance et le fait de devoir annoncer en téléconsultations les changements de prise en charge ont pesé lourd sur le ressenti les oncologues. Plus encore, c’est l’impossibilité de proposer aux familles d’accompagner leurs proches dans la maladie, voire le décès, qui a pesé sur le moral.
Les jeunes soignants en oncologie touchés par la maladie COVID-19
Aujourd’hui, alors que l’épidémie de COVID-19 est en recrudescence en France, un nouvel élément inquiète : la contamination du personnel soignant jeune.
« Nous avons une population de soignants jeunes qui sont touchés par la maladie COVID-19 avec un taux d’absentéisme qui est assez inédit. En général, le taux d’absentéisme est relativement faible dans nos centres, en moyenne de 5 à 6 % en fonction des années. Or, là dans certains centres, nous avons un taux d’absentéisme qui explose. Evidemment, même si nous essayons au maximum de soutenir les professionnels et de ne pas les mettre dans des situations qui pourraient désorganiser les soins, un taux d’absentéisme important a un effet sur l’ensemble des soins », a expliqué Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer à Medscape édition française, lors de la conférence de presse de rentrée d’Unicancer le 17 septembre 2020.
Pour évaluer l’impact de l’épidémie à plus long terme, un troisième volet de l’enquête Resilience Task Force Survey III est prévu pour le début de 2021.
Cet article a été publié initialement sur medscape.com. Traduit par Isabelle Catala. Complété par Aude Lecrubier.
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Citer cet article: La pandémie de COVID-19 a pesé sur la charge mentale des oncologues - Medscape - 22 sept 2020.
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