Virtuel -- Dans le cadre d’une conférence plénière lors du congrès de la Société Française du Diabète (SFD 2020), le Pr Marc Prentki (Montréal) a proposé une réflexion sur les dogmes qui régissent aujourd’hui le diabète de type 2 – et leurs limites : « différents essais cliniques dédiés au diabète de type 2 – comme ACCORD* – ont donné des résultats surprenants, parfois positifs et parfois négatifs. Cela suggère que notre façon de voir le diabète de type 2 est incertaine, notamment chez le sujet obèse, et que peut-être certains dogmes doivent être reconsidérés » a-t-il suggéré en introduction.
*L’étude ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes) a démontré une légère hausse du risque de décès chez des personnes ayant un diabète de longue date traitées intensivement pour atteindre les taux d’HbA1c visés de moins de 6 %; cette constatation a remis en question la valeur du contrôle strict de la glycémie.
L’histoire naturelle est-elle la bonne ?
Le modèle standard de l’histoire naturelle du diabète de type 2 associé à l’obésité repose sur une insulinorésistance et une balance énergétique positive. La combinaison de gènes favorisants, du manque d’exercice et d’un apport calorique trop élevé conduit à une prise de poids et à une augmentation de la glycémie (phase prédiabétique), ce qui nécessite d’accroître la sécrétion d’insuline. En présence de gènes rendant les cellules bêta-pancréatiques plus susceptibles à la maladie ou favorisant l’insulinorésistance, cette nécessité n’est pas remplie et le diabète de type 2 s’installe.
Le modèle que propose le spécialiste est autre : la susceptibilité génétique dans un environnement obésogène et avec des cellules bêta hyperréactives conduit à un état d’hyperinsulinémie qui favorise l’épuisement des cellules bêta, l’intolérance au glucose, la dyslipidémie, l’inflammation… Le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, la maladie du foie gras... seraient des expressions différentes découlant de ce même mécanisme, et l’hyperinsulinémie constituerait ici non pas un mécanisme anormal mais un mécanisme de défense vis-à-vis du nutri-stress, c’est à dire la glucolipotoxicité liée à un apport en nutriments en excès. Pour expliciter cette approche, le spécialiste a détaillé les limites de trois dogmes : l’insulinorésistance, l’hyperglycémie et la dysfonction bêta.
L’insulinorésistance, délétère ou protectrice ?
L’insulinorésistance du muscle ou du tissu adipeux pourrait-elle ne pas être délétère ? « En réalité, la glycémie mesure le glucose dans le sang, pas les tissus, a rappelé le spécialiste. L’insulinorésistance conduit à accroître le glucose dans le sang, moins dans les tissus, ce qui réduit la glucolipotoxicité et le stress métabolique dans les cellules. Il peut de plus être stocké dans les tissus adipeux. Vu sous cet angle, l’insulinorésistance serait plus une défense qu’une offense. Elle serait un biomarqueur d’un mauvais état métabolique, mais pas forcément un mécanisme causal de la maladie, à l’image du rôle de biomarqueur de l’inflammation ». Cette idée a pu être étayée par des expérimentations menées dans des modèles murins.
Quid d’une hyperglycémie modeste ?
Si l’hyperglycémie est mauvaise, elle pourrait malgré tout être en partie protectrice. Marc Prentki a rappelé que l’hyperglycémie se traduit par une augmentation de la glycosurie sous la dépendance des SGLT2. Or, une étude a montré qu’un patient obèse et diabétique traité avec la diazoxide (inhibitrice de l’insulinosécrétion), en association avec l’exercice physique offre, après 12 mois de suivi, une perte de poids considérable (15kg) associée à une amélioration des paramètres lipidiques et de pression artérielle, avec seulement une légère augmentation de la glycémie.
La dysfonction bêta, mécanisme clé dans l’histoire naturelle?
Si la dysfonction bêta est un mécanisme délétère pour l’homéostasie glucidique, ne serait-ce pas plutôt un mécanisme adaptatif pour contrôler une anomalie en amont ? Dans les modèles animaux de diabète de type 2 obèse, l’oxydation des acides gras par les cellules bêta augmente, en contrepartie d’une moindre sécrétion d’insuline. Cette balance induit une légère augmentation du glucose dans le sang qui va pouvoir être utilisée par d’autres tissus dont, par exemple, l’hypothalamus au niveau duquel il va agir avec le système de récompense et limiter par conséquent l’envie de manger. Aussi, c’est pour assurer la détoxification lipidique par les cellules bêta que l’insuline pourrait être moins sécrétée chez des sujets prédisposés et soumis à un apport excessif en nutriments.
Traduction clinique : des données d’études randomisées surprenantes
Ainsi, l’étude ACCORD, qui avait comparé une approche intensive (objectif d’HbA1c <6 %, beaucoup nécessitant de fait une insulinothérapie) ou conventionnelle chez plus de 10.000 sujets diabétiques de type 2 ayant une ancienneté significative de leur maladie a été arrêté prématurément pour cause de surmortalité dans le bras intensif. Ceci pourrait s’expliquer par un mécanisme de nutri-stress. Chez certains de ces sujets obèses et diabétiques, une insulinorésistance existe déjà et conduit les cellules à privilégier le métabolisme des acides gras. Les traiter par insuline pourrait les conduire à voir les deux voies métaboliques activées conduisant à un stress métabolique délétère. D’autres études, comme VADT ou DIGAMI2, iraient dans le même sens, même si la significativité statistique n’est pas vérifiée, du fait d’une moindre puissance statistique. Ces données méritent peut-être une relecture à la lumière de ces hypothèses physiopathologiques.
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Ce résumé clinique a été publié initialement sur Univadis.fr, membre du réseau Medscape.
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Citer cet article: Histoire naturelle et approche thérapeutique du diabète de type 2 : et si on se trompait? - Medscape - 16 sept 2020.
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