
Dr Benjamin Davido
France ― Comment la prise en charge des patients COVID en milieu hospitalier a-t-elle évolué ces dernières semaines ? Quelle est la situation en ce début de septembre ? Outre le port du masque, quelles nouvelles mesures pourraient permettre d’enrayer l’augmentation des cas observée actuellement ? Stratégie médicamenteuse, vaccins, traçage intelligent : le point avec Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital de Garches.
Medscape : Comment évaluez-vous la situation épidémique en milieu hospitalier en ce début de septembre ?
Benjamin Davido : Nous avions réussi à passer les grandes vacances plutôt sereinement. Nous étions à 500 PCR positives par jour pendant le déconfinement. Cela a commencé à s’accélérer par la suite et nous sommes maintenant autour de 7000 PCR quotidiennement. Néanmoins, malgré ces chiffres et la reprise scolaire, nous avons assez peu de malades hospitalisés et une reprise de l’activité hospitalière qui est faible comparativement au pic, et donc contrôlée ― notamment parce que nous arrivons mieux à répartir les malades, et que nous dépistons mieux et plus tôt.
Je dirais que nous sommes cependant sur une ligne de crête. Si à partir du 15 septembre les gens se font moins dépister et qu’il y a un relâchement en raison d’un manque d’explications et de pédagogie, et qu’on n’arrête pas d’opposer, en France, les 7000 PCR positifs au fait qu’il y a seulement 390 malades en hospitalisation en réanimation, alors nous ne sommes pas à l’abri d’un relâchement des mesures barrières et de la possibilité que l’épidémie reparte. Nous sommes dans quelque chose d’un peu chaotique, une espèce d’incertitude, une zone de flottement. À la fois, on peut se rassurer parce que la situation est sous contrôle sur un plan hospitalier, mais l’épidémie en ville n’est pas du tout derrière nous. Le virus est là, il circule, et le R0 monte tout doucement.
Comment a évolué le taux d’hospitalisation dans votre service ?
Pendant tout le mois de juin et jusqu’au 14 juillet nous étions à zéro malade. Depuis le 1er août, nous avons réouvert une unité, avec aujourd’hui environ six lits qui sont en flux tendu permanent : c’est-à-dire qu’on nous appelle tous les jours pour un malade, et dès qu’un patient sort, un autre entre. On est donc à 100% d’occupation des lits sur l’unité. Bien sûr cela n’a rien à voir avec le pic de l’épidémie où on avait 35 lits dans le service de COVID, ce n’était pas du tout le même rythme – mais pour un petit service de maladies infectieuses comme le nôtre, on a maintenant une vingtaine de lits ce qui représente tout de même un quart de notre activité.
Vous attendez-vous à une augmentation conséquente de cas COVID ?
Oui, factuellement. Depuis la réouverture des frontières, début juillet, où tout le monde s’est un peu pressé pour se faire dépister, on observe des bouffées épidémiques, que l’on sait plutôt très bien tracer. À l’hôpital on voit que ce sont des gens fragiles, avec une moyenne d’âge de 60 ans, qui ont été en contact avec leurs enfants, qui étaient en vacances, qui se sont contaminés lors de cérémonies, de mariages, de regroupements familiaux – cette histoire est très claire, c’est toujours à peu près la même. Les gens issus de l’immigration sont particulièrement touchés, probablement plus pour des raisons de promiscuité, que des facteurs génétiques.
La réalité est qu’il y a toujours des malades et même s’ils ne sont pas nombreux, avoir des patients tous les jours, du point de vue du médecin hospitalier, c’est affronter le COVID tous les jours, donc cela reste difficile. Mais la situation actuelle reste gérable parce que les malades arrivent « lentement », beaucoup plus tôt, dans des états beaucoup moins graves. Nous avons le temps de prendre en charge ces patients, de mieux décider d’éventuels traitements et le pronostic est pour cela radicalement meilleur.
La dangerosité du virus a-t-elle changé ?
Absolument pas. C’est le soin qui a changé – c’est pour cela que les malades vont mieux. Si on regarde, à un an près les pyramides des âges de l’Assistance Publique, les malades et les morts ont le même âge. Et les facteurs de risque sont exactement les mêmes que ceux de la première vague épidémique.
Il faut à ce propos alerter. Il y a des gens inconscients qui font passer un message erroné sur une diminution de la dangerosité du virus. Et cela a été vérifié scientifiquement : au-delà de la caractéristique des malades, qui est la même, 95% des souches sont les mêmes qu’au mois de mars, à Paris. La réalité est qu’on gère mieux les malades.
Comment le soin médical a-t-il évolué au cours de l’épidémie dans votre hôpital?
Le soin a effectivement évolué. Avec notre équipe, nous avons analysé les données que nous avions recueillies au cours de la première vague de l’épidémie : le nombre de scanners réalisés, combien de malades avaient été mis sous traitement, les taux d’oxygène chez les malades qui arrivaient et ceux qui avaient été mis sous oxygène, etc. Ce sont des données que nous avons d’ailleurs publiées.[1] Comme nous avons fait beaucoup plus de scanners, nous avons vu beaucoup plus d’anomalies, et donc nous avons beaucoup plus prescrit de médicaments, et nous avons oxygéné beaucoup plus tôt les patients. Nous en avons conclu que, probablement, dans la prise en charge, les médicaments ont une part positive, mais qu’en fin de compte c’est un ensemble de panoplies. Et les médicaments marchaient chez une sous-catégorie d’individus, pas chez tout le monde. Cela dépendait de la biologie.
Avez-vous modifié votre stratégie médicamenteuse ?
Concernant les médicaments, nous ne sommes plus désormais dans le « tout chloroquine ». Aujourd’hui, ce qui semble clair pour toute la communauté, c’est que la chloroquine n’a pas un effet miraculeux. De mon point de vue, si tous ces médicaments (chloroquine, azythromicyne ou même la metformine dont on parle aujourd’hui) ont une action dans la maladie, c’est tôt. Comme la plupart des antiviraux (ex. antigrippal ou anti-herpétique), c’est dans les 72 heures qu’il faut agir, sinon cela n’a plus beaucoup d’intérêt. A contrario les corticoïdes sont plus prescrits et plus tôt.
Quid des essais cliniques ?
Je ne comprends pas pourquoi, alors que c’est beaucoup plus calme chez nous en Europe, on ne fait pas d’essais randomisés avec d’autres médicaments. Il y a un bras qui court encore dans RECOVERY sur l’azithromycine, qui n’est pas annulé, donc il reste des questionnements. Mener des essais randomisés pendant une crise où il fallait choisir entre manger ou s’occuper des malades, n’était pas forcément le mieux à faire. Maintenant, on a un peu plus de temps, le flux de malades est contrôlé, et ce pool de patients à l’hôpital permettrait de répondre à la question : quel est le traitement qui marche et quand ?
Le remdésivir, qui va arriver en Europe, n’améliore pas le pronostic des malades, il réduit uniquement la durée de l’hospitalisation. Donc, reste la question pour les malades hospitalisés pour lesquels on pourrait avoir des essais randomisés avec des médicaments – et cela me paraît parfaitement éthique et logistiquement réalisable parce que nous ne sommes, pour le moment, plus dans une urgence, nous connaissons mieux la maladie, et à mon avis les patients sont beaucoup plus enclins à participer à des essais qu’au moment de DISCOVERY, par exemple.
Aujourd’hui nous avons également un réservoir très important de jeunes asymptomatiques : il y aurait des essais à faire avec des médicaments qui pourraient diminuer l’excrétion virale et la contagiosité. Tous les jours on compte ces jeunes, ils font de la quatorzaine et rien d’autre… ils pourraient tout à fait participer à des essais sur l’excrétion virale.
Et puis il y a les patients à risque : ceux qui ont 50 ans, en communautaire, avec peu ou pas de symptômes de COVID, qui se font dépister et dont on sait qu’ils sont sujet à risque d’aller à l’hôpital. Ce sont des malades qu’il n’est pas rare de voir arriver à l’hôpital au 7e jour pour aggravation. Il y a là aussi une question sur une éventuelle thérapeutique, et on a désormais des séquences dans le temps qu’on ne pouvait pas faire auparavant. Il y a donc beaucoup de choses à faire…
Plusieurs vaccins sont à l’essai. Qu’en pensez-vous ?
On parle beaucoup des vaccins et c’est tant mieux ! Tout le monde est à peu près au même niveau, c’est-à-dire en phase 3, sauf les vaccins français qui sont plutôt en phase 2… C’est un peu une course géopolitique comme la conquête spatiale de la Lune. Quelque part, cette compétition oblige à aller très vite. Notre chance, dans le malheur de cette épidémie, est qu’à peu près tous les pays ont été touchés, ce qui oblige à une réaction internationale.
Pour endiguer les pandémies, il faut des vaccins, on a d’ailleurs endigué la poliomyélite la semaine dernière, comme la variole il y a des décennies. Mais au-delà du fait que c’est une solution qui marcherait hypothétiquement, on a quand même des zones d’incertitude sur le fait qu’il peut y avoir un couac parce qu’on est sur un vaccin très accéléré, avec une nouvelle méthode, et une immunogénicité qu’on a du mal à maîtriser. Il y a encore des incertitudes sur la question du caractère neutralisant des anticorps et de leur durée, avec les schémas des rappels. Mais très clairement, c’est la seule chose qui peut nous sortir durablement de cette crise.
Ce qui me désole, c’est que 30% des Français refuseraient de se faire vacciner s’il y avait un vaccin demain. Espérons que nous n’atteignions pas 60% de refus quand le vaccin sortira réellement, car cela le rendrait beaucoup moins efficace.
Estimez-vous que l’obligation du port du masque dans les espaces publics extérieurs permette de ralentir la progression de l’épidémie ?
C’est une bonne chose dans le sens où cela peut servir à faire de la pédagogie – si on met le masque quand on sort, forcément on l’a tout le temps sur soi, et on va éviter la contamination dans des situations où il est souvent trop tard (lorsque quelqu’un se met à éternuer face à vous). Mais le problème de cette épidémie est qu’il faut tenir dans la durée, parce que le vaccin, ce ne sera vraiment pas avant 2021, et s’il marche, encore faudra-t-il qu’on puisse vacciner tout le monde en même temps. Donc je me demande si ce n’est pas un peu trop précoce et contraignant pour certains. Parfois on manque un peu de pédagogie avec cet aspect obligatoire et ces sanctions pécuniaires sur le masque… En tant que médecin, je me plie aux règles sanitaires, mais je trouve que c’est parfois contre-productif de mêler la prévention à un caractère financier punitif.
Si dans 15 jours, les chiffres continuent à monter, malheureusement, je ne vois pas ce qu’on pourra faire de plus en France. Nous sommes actuellement dans un système de précaution maximale (port du masque à l’extérieur, dans les entreprises etc.), et nous avons augmenté notre capacité à dépister – on peut faire 1 million de tests par semaine. Mais malgré cela, nous avons un R0 autour de 1,4. Donc la réalité est que malheureusement le système n’est pas optimal. Mon avis est qu’il nous manque, en France, un vrai outil de traçage pour faire mieux.
Qu’apporterait un nouveau système de traçage ?
Actuellement le traçage est quasiment manuel en France. Aux États-Unis, Apple a effectué des mises à jour des iPhones pour pouvoir faire du traçage automatisé entre les téléphones, et que l’information parvienne directement aux autorités sanitaires… En Allemagne, ils ont 20 millions de téléchargements de l’application pour une population de 80 millions ― alors c’est peut-être moins bien que d’autres pays comme la Corée du Sud, mais ce n’est pas si mal. En France, nous sommes à 2 millions de téléchargements avec une application qui ne marche pas…
Le traçage permet, sur le papier, de remonter les chaines de transmission et donc de casser les contaminations. Depuis le 25 juillet, on a le droit de se tester gratuitement, sans ordonnance, mais aujourd’hui un individu malade permet de tracer seulement deux personnes (contre quatre avant l’été). Donc on est en train d’arriver à nos limites de nos capacités de traçage. J’ai peur qu’en France on n’arrive plus à avoir cette dynamique. Cela va poser problème, le nombre de cas risque d’augmenter inexorablement.
Je crois beaucoup en un système connecté de téléphone et d’intelligence artificielle. Parce que pour une maladie pour laquelle plus de 50 % des gens sont asymptomatiques sur les dépistages (selon les chiffres du Diamond Princess), il y a deux solutions : soit, en effet, vous considérez que tout le monde est malade, et vous masquez tout le monde, soit on utilise l’intelligence artificielle qui permet de voir ce que l’humain ne peut pas voir. Et encore une fois, en France, on est théoriquement tous masqués. Si l’épidémie n’est pas contrôlée, c’est-à-dire si le R0 ne s’infléchit plus, quelle est la prochaine mesure ? En tant que médecin, je n’ai plus de mesures à préconiser. Si on se retrouve dans ce goulot d’étranglement sans nouvelle mesure possible que durcir les horaires des bars et cafés, et confiner localement, il ne faudrait pas que les gens disent « on nous a menti sur le masque » et « en fin de compte, le masque n’a pas pu régler l’épidémie ». On aurait l’effet inverse de l’effet recherché. Ce serait terrible, parce que le masque est extrêmement utile, c’est notre outil de protection quotidien au plus près des malades. C’est tout un paradoxe.
Pensez-vous qu’après l’échec de STOPCOVID, il y ait encore des possibilités de lancer des systèmes de traçage en France ?
C’est une maladie qui ne se voit pas, pour laquelle on ne pourra pas demander aux gens de se masquer à 100%, tout le temps. Donc il faut une mesure supplémentaire et selon moi cette mesure c’est le traçage intelligent. Normalement, ce n’est pas censé empiéter sur nos libertés d’expression et sur nos données. D’un point de vue légal, cela ne me choque pas que pour des raisons sanitaires exceptionnelles, on mette de côté une certaine sécurisation des données sur une durée du temps, parce qu’il y a un bénéfice en termes de vie - et la vie n’a pas de prix. Je pense sincèrement, quand on voit certains pays d’Asie et d’Europe, que c’est quand même cela qui a été très efficace.
Malheureusement, politiquement, cela risque d’être très compliqué à expliquer et à valider en France. Il faudrait repasser par l’Assemblée, donc j’ai très peur que cela n’arrive pas. Mais mon rôle à moi, en tant que médecin qui n’est pas un politicien, est de dire ce qui me semble le plus efficace : en l’état actuel, c’est de faire du traçage avec des outils connectés et de l’intelligence artificielle, plutôt que de s’inventer un traçage manuel qui marche peu et d’aller masquer tout le monde à l’extérieur partout, ce qui, pour le coup, à mon avis, est plus liberticide qu’une application sur un téléphone.
Comment voyez-vous la situation évoluer dans les prochains jours ?
Jusqu’à la mi-septembre, il y a encore des gens en vacances, mais nous risquons de voir, avec la fin des vacances, un nouveau brassage des populations, en particuliers des jeunes – alors certes aujourd’hui ils font des tests et c’est tant mieux, parce qu’on sait que ce sont pour beaucoup des asymptomatiques – mais il n’est pas du tout dit que lorsque tout le monde va reprendre le travail, que les gens vont continuer à se faire dépister, que les jeunes qui se sont déjà faits tester vont refaire des dépistages. Nous n’avons pas d’échéancier, pas de calendrier de dépistage comme les autres pays, pas d’accompagnement pour expliquer cette situation à l’automne, avec le changement de saison et les autres virus qui vont arriver. On n’a l’impression de ne plus entendre le gouvernement parler du COVID depuis un mois. On ne fait que des annonces – on dit qu’on va faire des millions de tests, on peut faire des dépistages rapidement, on met le masque à l’extérieur… Mais il n’y a pas de pédagogie, il n’y a pas de calendrier. C’est l’incertitude.
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Citer cet article: Évolution des soins, vaccins, traçage intelligent: le point sur l’actualité COVID, avec Benjamin Davido - Medscape - 10 sept 2020.
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