L’actualité COVID à l’ESMO 2020

Pr Florence Joly, Dr Emanuela Romano

Auteurs et déclarations

13 octobre 2020

Les registres internationaux et les enquêtes sur les patients et les soignants permettent de mieux comprendre l’impact de la pandémie de COVID-19 en cancérologie. Le point sur les résultats présentés au congrès de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) avec Florence Joly et Emanuela Romano.

TRANSCRIPTION

Florence Joly — Nous sommes sur la plateforme Medscape pour discuter de l’actualité en lien avec la pandémie de COVID-19 et cancer, présentée à l’ESMO 2020. Je suis le Pr Florence Joly, oncologue médicale, et je suis accompagnée du Pr Emanuela Romano qui est responsable du centre de recherche d’immunothérapie de l’Institut Curie.

Plusieurs informations intéressantes, encore assez préliminaires mais qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe chez nos patients avec un cancer, ont été présentées. Premièrement, que sait-on aujourd’hui du risque de surmortalité chez nos patients qui ont eu le COVID ? Quelles sont les synthèses de l’ESMO ?

Emanuela Romano — Effectivement, l’ESMO a bien exposé la problématique liée au COVID-19 chez les patients avec un cancer et il y a eu plusieurs présentations, notamment par des registres rétrospectifs, que ce soit du cancer du poumon, par exemple le registre TERAVOLT [1], ou d’autres registres à large spectre, comme le CCC19[2] aux États-Unis, où il semble que les patients avec un cancer actif en cours de traitement ou en progression, et avec même des variables de laboratoire – par exemple une augmentation de la CRP ou de la troponine ou des nombres absolus de leucocytes — soient plus à risque de mortalité dans les 30 jours qui suivent le diagnostic de COVID.

Il y avait aussi d’autres évaluations très intéressantes, notamment du Pr Guy Jérusalem de l’université de Liège, en Belgique, qui montre que même pour ce qui est du suivi et des traitements oncologiques, notamment pour les patients qui viennent d’avoir un diagnostic de cancer, un délai de traitement de 10% est décrit (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) [3]. Et cela évoque justement un travail très intéressant par l’équipe du Dr Aurélie Bardet, biostatisticienne à Gustave Roussy, qui semble évoquer une potentielle augmentation de mortalité — entre 2% et 5% [4] — liée à ce retard de diagnostic, donc de la prise en charge.

D’autres éléments très intéressants ont été évoqués à l’ESMO concernent l’aspect psychologique, non seulement des patients avec un cancer et un diagnostic de COVID [5], mais également des soignants. [6]

Un autre point à mon avis très intéressant était lié à une exposition à différentes prises en charge. Par exemple, aux États-Unis on a bien vu les différences dans l’accès aux soins. Ce n’est peut-être pas la même problématique en Europe, mais la pandémie a exposé également cette problématique sociétale.

 
On a modifié la prise en charge des patients traités dans le département d’oncologie médicale dans 27% des cas. Pr Florence Joly
 

Florence Joly — Effectivement, on a plusieurs études, dont celle que tu nous as rappelée, présentée par l’équipe du Dr Jérusalem [3], qui montre qu’effectivement on a modifié nos prises en charge. C’est aussi ce que nous avons montré dans l’étude française qui était présentée à la session orale. [4,5] En fait, on a modifié la prise en charge des patients traités dans le département d’oncologie médicale dans 27% des cas. Très vite, on a adapté la prise en charge avec de la téléconsultation pour tout ce qui était traitement oral, on a aussi modifié certains schémas de traitement comme l’immunothérapie qu’on a passé sur des schémas plus longs, mais également supprimé certaines injections hebdomadaires de chimiothérapie pour essayer de s’ajuster au mieux.

 
On n’a pas l’impression que le traitement en lui-même a une influence sur la mortalité. Pr Florence Joly
 

Ce qui est plutôt rassurant ― de ce que j’ai vu dans les différentes études ― c’est qu’on n’a pas l’impression que le traitement en lui-même a une influence sur la mortalité. Je pense que ce sont plus les malades qui ont un cancer, avec tout l’environnement de comorbidités et de défense immunitaire qui fait qu’ils sont plus à risque, plus que le traitement lui-même. Donc je pense que c’est important. C’est un message fort, en clinique, de continuer à traiter les patients de façon optimale sans dégrader nos traitements, parce qu’on risque effectivement d’avoir, à terme, un excès de mortalité à cause du cancer.

Et effectivement, il y a eu plusieurs présentations qui se sont intéressées à voir l’impact que cette pandémie avait chez les soignants et chez les patients traités pour un cancer. Donc il y a eu la large enquête menée par l’ESMO et qui a été présentée par Susana Banerjee[6], et notre étude [5] qui s’est intéressée plus aux patients, encore qu’on ait aussi évoqué les soignants. Que voit-on ? C’est intéressant : les soignants sont un peu déstabilisés, bien qu’ils s’investissent corps et âme dans leur métier, qu’ils se sentent utiles, et pour le coup, il n’y a pas vraiment ce qu’on appelle de burnout. Par contre, il y a un stress lié à la situation qui a été mis en évidence pendant le confinement — dans notre étude et dans l’enquête européenne de Susana Banerjee —  et qui a l’air de durer et de s’aggraver parmi les soignants au fil du temps. Et nous avons également montré qu’il y avait un niveau de stress important chez les patients : plus de deux quarts des patients sont insomniaques, et quand on a modifié les traitements, notamment dans 2 % des cas, on voit qu’on a augmenté le stress. Le groupe qui a eu des modifications thérapeutiques est beaucoup plus stressé, beaucoup plus angoissé. Notre challenge maintenant est de suivre tous ces patients, de nous suivre nous aussi les soignants, parce que ce n’est pas terminé, pour qu’on ne se retrouve pas tous en stress post-traumatique dans les mois qui viennent.

Emanuela Romano — Tout à fait. Effectivement, comme vous l’évoquez, il y a un changement de pratique. On n’imagine pas les démarches que nous avons dû faire avec les différentes plateformes, de meetings en ligne, de téléconsultations, donc il y a eu aussi une différence dans le sens de la relation humaine, pas seulement avec les patients, mais même entre les équipes. Et je pense que cela a une influence sur la prise en charge des patients, mais aussi sur l’aspect psychologique des soignants.

Florence Joly — Ce qui est sûr, c’est que maintenant il faut qu’on continue à suivre ce qui va se passer dans les mois qui viennent, parce qu’on est sur la deuxième vague. Et le message clé que je donnerais est : traitons mieux nos patients… Soyons prudents, dépistons les patients à risque, mais continuons à traiter les patients avec les meilleurs traitements et de façon optimale, tout en prenant toutes les précautions possibles. Et peut-être commencer à réfléchir très rapidement pour renforcer des cellules « de crise psychologique » pour pouvoir accompagner les patients qui ont du mal à traverser cette période ; parce que maintenant on a de plus en plus de patients qui ont des traitements au long cours, ils ont vécu le confinement et là ils vont vivre tout l’hiver encore dans cette situation. Donc à nous de nous adapter, aussi, au niveau de nos établissements.

Emanuela Romano — Et je tiens aussi à féliciter les collègues qui ont, justement, mis en place ces registres rétrospectif en Europe, mais aussi aux États-Unis. Et même l’ESMO, justement, avec le grand projet de registre ESMO-CoCare parce que je pense que la collecte large, la plus vaste possible, de ces données d’infection COVID chez les patients avec un cancer, avec des alliances avec d’autres registres et d’autres sociétés savantes, est fondamentale, parce qu’on est face à une pandémie — à cette échelle, c’est la première fois — et je pense que l’évidence de ce registre peut vraiment nous aider à mettre en place des mesures beaucoup plus objectives. Donc j’étais vraiment très ravie de voir ces démarches.

Florence Joly — Merci Dr Romano d’avoir partagé avec moi l’analyse de l’actualité COVID-19 à l’ESMO 2020 et j’espère que nous n’aurons pas à devoir le faire trop longtemps, pendant trop d’années sur les prochains ESMO. Merci à Medscape de nous avoir permis d’échanger.

Discussion enregistrée le 23 septembre 2020

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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