Cancer du poumon : l’actualité ESMO 2020

Pr Marie Wislez, Dr Manuel Rodrigues

Auteurs et déclarations

23 septembre 2020

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Marie Wislez et Manuel Rodrigues commentent quatre études sur les cancers thoraciques, dont trois ont été présentées par des équipes françaises au congrès de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) 2020 : ADAURA avec l’osimertinib dans le cancer du poumon muté EGFR, LUNG ART sur la radiothérapie adjuvante, IONESCO avec le durvalumab en néoadjuvant, et PRINCEPS sur l’atézolizumab en pré-opératoire.

TRANSCRIPTION

Manuel Rodrigues — Bonjour et bienvenue sur le site de Medscape. Je suis le Dr Manuel Rodrigues, oncologue médical à l’Institut Curie à Paris, et aujourd’hui, dans le cadre du partenariat entre la SFC (Société Française de Cancérologie) et Medscape, nous allons débriefer les actualités en oncologie thoracique lors de ce congrès de l’ESMO 2020 en compagnie du Pr Marie Wislez, oncologue thoracique à l’hôpital Cochin, à Paris. Nous allons parler de quatre études.

ADAURA : l’osimertinib dans le cancer du poumon muté EGFR

Manuel Rodrigues — Commençons par une étude qui a été publiée dans le New England Journal of Medicine il y a quelques jours à peine, et qui est l’étude ADAURA [NCT02511106] [1], avec une drogue que l’on connaît déjà au stade métastatique, un anti-EGFR, l’osimertinib, mais cette fois-ci en adjuvant. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Marie Wislez — Oui. L’étude ADAURA est un essai de phase 3 qui randomisait des patients atteints de cancer du poumon muté EGFR, opérés, donc à des stades précoces (de stade 1 b à 3a), randomisés en deux groupes : TKI de troisième génération, donc l’osimertinib, versus placebo. Les patients étaient traités par chimiothérapie adjuvante si nécessaire ou radiothérapie adjuvante si nécessaire, selon les recommandations et le souhait de l’investigateur. L’objectif principal est la survie sans récidive qui a été présentée dans un premier temps à l’ASCO 2020. Donc l’effet sur la survie sans récidive est spectaculaire avec une diminution des récidives avec un hazard ratio à 0,17, où dans plus de 80 % des cas on réduit la récidive. Les données sur la survie globale ne sont pas matures et on se demande, étant donnée la fréquence des événements et le crossover possible, puisqu’en cas de récidive les patients pourront avoir accès à l’osimertinib, s’il sera possible de démontrer un effet sur la survie globale.

 
L’effet sur la survie sans récidive est spectaculaire avec une diminution des récidives avec un hazard ratio à 0,17, où dans plus de 80 % des cas on réduit la récidive. Pr Marie Wislez
 

Donc à l’ESMO, ce qui a été montré cette année, c’est un bénéfice sur tous les sites de récidive. Et ce qui est très spectaculaire, là aussi, c’est la diminution de la récidive dans le système nerveux central — on sait que les patients avec addiction oncogénique ont fréquemment des métastases cérébrales, et donc là il y a une diminution majeure de la fréquence des récidives cérébrales. C’est une étude spectaculaire, néanmoins très bien discutée à l’ESMO avec finalement la question : « mais est-ce que ces TKI en adjuvant vont nous permettre de guérir les malades ? » La discussion expliquait bien que la chimiothérapie adjuvante avait démontré un bénéfice de survie globale, que l’immunothérapie en adjuvant de la chimioradiothérapie, comme dans l’étude PACIFIC, permettait un bénéfice de survie, mais pour les TKI de l’EGFR, quand on regarde les courbes de survie dans la métastatique, notamment dans l’étude FLAURA, on n’a pas cette queue, cette tail de la courbe et peut-être que l’effet n’est que cytostatique et pas cytotoxique.

On sait aussi que c’est très efficace quand on les prescrit à la récidive – on ne sait pas ce que les patients qui auront bénéficié de ce traitement adjuvant, et quand ils récidiveront s'ils ne sont pas guéris, présenteront comme anomalie moléculaire. Donc il y a quand même une vraie discussion à avoir, même si ces résultats sont spectaculaires, sur la survie sans récidive, sur l’intérêt de prescrire ces médicaments en adjuvant.

Manuel Rodrigues — C’est vrai que cela fait écho à des données dans d’autres cancers, par exemple dans les inhibiteurs de PARP dans le cancer de l’ovaire BRCA muté ― qu’on peut maintenant donner en adjuvant avec un bénéfice majeur aussi, un hazard ratio qui se rapproche de celui d’ADAURA. Mais justement, des données présentées à l’ESMO montrent bien l’induction clinique, c’est-à-dire qu’au moment où les patientes rechutent sous cet inhibiteur de PARP, ce sont des tumeurs particulièrement chimiorésistantes, et donc tout ce bénéfice qu’on a acquis en première ligne, on le perd aux lignes suivantes, donc cela va être une problématique.

Cela fait aussi penser aux mélanomes cutanés puisqu’il y a eu deux essais cliniques, il y a maintenant quelques années, qui montraient le bénéfice, d’une part de l’immunothérapie, des anti PD-1 en adjuvant des mélanomes et, de l’autre côté, des anti-BRAF. Donc la question se pose quand on a un patient qui a une tumeur BRAF muté : est-ce qu’il faudra choisir le BRAF en adjuvant ou l’immunothérapie ? Et c’est exactement ce genre de problématique, comme il y en a dans le poumon. C’est une étude très intéressante.

LUNG ART : pas de bénéfice à la survie sans récidive de la radiothérapie adjuvante

Manuel Rodrigues — Il y avait également une étude française, LUNG ART [NCT00410683] [2] qui était attendue de longue date. Elle posait une question pertinente, mais qui a pris du temps pour obtenir la réponse. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Marie Wislez — LUNG ART est une étude qui a été présentée par Cécile le Péchoux, la principale investigatrice, et qui réunit plusieurs groupes. Elle est donc multicentrique, internationale, avec l’IFCT, et s’intéressait à l’intérêt de la radiothérapie adjuvante dans les cancers du poumon opérés et ayant un pathological N2. On sait que cette radiothérapie adjuvante est délétère pour les N0 et les N1, et depuis 20 ans on ne sait pas s’il faut irradier les pN2, qui restent chirurgicaux avec différentes écoles — c’est vrai que les N2, c’est une maladie très hétérogène — et des équipes qui n’opèrent jamais les N2 et qui font directement de la chimioradiothérapie, des équipes qui opèrent les N2 directement et qui font chimio adjuvante, voire radiothérapie adjuvante, des équipes qui font une chimiothérapie néoadjuvante et qui vont opérer seulement les N2 pour lesquels on peut faire une lobectomie et pour lesquels on a obtenu un staging médiastinal… Donc c’est probablement une maladie très hétérogène et il faudra continuer à en discuter en RCP selon le nombre de sites envahis, s’il y a une atteinte capsulaire, etc. Mais voilà, on ne savait pas s’il fallait irradier ou pas les N2 et cette étude avait prévu de randomiser 700 patients – radiothérapie adjuvante versus pas de radiothérapie adjuvante. Les patients ont eu une indication à une chimio adjuvante (donc la chimio adjuvante avait eu lieu avant). Cette étude, je crois, a démarré en 2007. En 2017, étant donné la difficulté pour inclure et la démonstration de l’efficacité de l’immunothérapie en post-chimioradiothérapie, il a été décidé de diminuer le nombre d’inclusions de 700 à 500. Le plan statistique a été revu avec un objectif de mise en évidence d’un bénéfice de survie sans récidive à trois ans, avec un objectif d’un hazard ratio à 0,7.

Donc Cécile le Péchoux a brillamment présenté à l’ESMO ces résultats où, malheureusement, l’étude est négative, il n’y a pas de bénéfice à la survie sans récidive de la radiothérapie adjuvante, il y a un écart non significatif, il y a moins de récidive, notamment loco-régionale, chez les patients traités par radiothérapie adjuvante, mais il y a une toxicité avec plus de décès dans le bras radiothérapie. On vient d’avoir ces résultats, on les discute, il va falloir réorganiser nos discussions RCP. En tout cas, il n’y a plus d’indication — on attendait cette étude, mais certaines équipes irradiaient déjà les pN2 — donc là, il n’y a plus d’indication, il n’y a pas de recommandation à irradier les pN2 d’emblée. Il va falloir probablement le discuter en fonction de ce que j’ai dit précédement : le nombre de sites envahis, une atteinte extracapsulaire, donc un risque de récidive très important, et encore l’état cardio-pulmonaire du patient et ses comorbidités.

 
Il n’y a pas de bénéfice à la survie sans récidive de la radiothérapie adjuvante. Pr Marie Wislez
 

Manuel Rodrigues — Oui et en fait tout cela venait d’une analyse de sous-groupe, d’où l’importance de pouvoir valider ce qu’on peut observer dans des études prospectives pour déterminer les stratégies thérapeutiques.

IONESCO : échec de l’immunothérapie en néoadjuvant

Manuel Rodrigues — Les deux études restantes sont des études d’immunothérapie précoce, en première ligne. On a la radio-immunothérapie, l’immunothérapie en phase plutôt adjuvante, et en néoadjuvant il y a eu deux études avec le durvalumab et l’atézolizumab. Qu'en est-il ?

Marie Wislez — Ce sont deux études qui ont fait beaucoup tweeter à l’ESMO. La première, celle que je connais le mieux, c’est l’étude IFCT 701 - IONESCO [NCT03030131] [3] que j’ai présentée au nom de l’IFCT et qui testait la faisabilité de trois cycles de durvalumab, un anti PD-L1, en néoadjuvant de cancer du poumon. Nous avons sélectionné sur l’expression de PD-L1, donc des stades de 1b à 3, non N2. Le principal objectif était la faisabilité, mesurée par la résection chirurgicale complète, le R0. Notre premier objectif n’était pas la réponse histologique majeure comme c’est le cas de beaucoup d’essais. C’était un objectif secondaire. Cette étude avait prévu d’inclure 80 patients. Elle a été stoppée prématurément à 50 patients du fait d’une mortalité post-opératoire trop élevée. Sur 50 patients, il y a eu quatre décès, cela fait 9 %, c’est trop, donc on a stoppé l’étude.

Nous avons présenté l’analyse des 50 patients. Si on s’intéresse aux quatre patients décédés, ils ont succombé à des complications postopératoires — il n’y a pas eu de toxicité du durvalumab. C’étaient des patients très comorbides sur le plan cardiovasculaire : cardiopathie ischémique, artériopathie oblitérante des membres inférieurs, hypertension artérielle, BPCO, c’étaient des gens fumeurs, c’étaient des stades 2 ; on avait chez trois des quatre patients, des carcinomes épidermoïdes, et un des quatre patients avait une pneumonectomie. Donc probablement que les critères de sélection des essais de néoadjuvants en immunothérapie doivent être plus stricts. C’était une étude académique multicentrique avec 20 centres actifs, donc c’est vrai que c’est ce qui diffère des études actuelles où on a peu de centres inclueurs, voire des études monocentriques, donc probablement les patients ont été moins sélectionnés sur le plan des comorbidités. Ce qui est intéressant, par ailleurs, c’est que sur les 50 patients inclus, la faisabilité, la résection chirurgicale complète est faite dans 90 % des malades, donc c’est très bien.

Sur le plan de l’analyse de la réponse radiologique, on a 8 % de réponse, ce qui est bien. La réponse histologique majeure mesurée par la persistance de moins de 10 % de cellules résiduelles tumorales sur la pièce opératoire, nous avons 18,6 % de réponse histologique majeure, donc ça aussi, c’est bien. Et le plus intéressant est que les patients en réponse histologique majeure, premièrement ne décèdent pas et ne rechutent pas, donc les courbes se séparent vraiment en fonction de réponse histologique majeure, ou les autres sur la survie globale et la survie sans récidive, et c’est significatif sur la survie sans récidive.

PRINCEPS : l’atézolizumab en pré-opératoire

Marie Wislez — À côté de cette étude, il y a eu PRINCEPS [NCT02994576], [4] qui est monocentrique et qui a été présentée par Benjamin Besse de Gustave Roussy. Elle étudiait également la faisabilité, cette fois-ci de l’injection d’un autre anti PD-L1, l’atézolizumab, en préopératoire de CBNPC. Il y avait des plus petits stades, puisqu’ils allaient jusqu’à des stades 1, supérieur à 2 cm, et 30 patients ont été inclus ; une seule injection et la chirurgie avait lieu un mois après cette injection. Ils ont recensé toutes les complications, morbidité, mortalité, un mois après la chirurgie. Dans l’étude IONESCO, les patients étaient opérés plus rapidement après le durvalumab dans 2 à 14 jours après la dernière perfusion. Donc il y a une étude où il y a trois perfusions et une chirurgie rapide, multicentrique, et une autre où il y a une injection, un délai plus long et monocentrique.

Cet essai avec l’atézolizumab montre que le taux de résection chirurgicale est bon, il y a des complications post-op 20 %, 23 % en post-op, mais il n’y a pas de mortalité, il n’y a pas de complications liées à l’atézolizumab, le taux de réponse RECIST est de 7 %, le taux de réponse histologique majeure est un peu plus faible, 14 %. L’étude montre que les patients exprimant PD-L1 présentent une réponse… Donc PD-L1 prédit la réponse, ce qu’on voit dans le métastatique, aussi.

Voilà c’étaient deux études qui, comme le dit l’édito de l’ESMO, ont un peu déçu, mais avec lesquelles on va apprendre beaucoup.

Manuel Rodrigues — Une question : c’est du néoadjuvant, donc des patients opérables — avez-vous eu des effets délétères ? C’est-à-dire que la tumeur a grossi trop, à tel point que le patient n’a pas pu être opéré ? Avez-vous recueilli cette information ?

Marie Wislez — Oui. Cette information a été recueillie. Dans l’étude IONESCO, il y a un patient qui a progressé avant la chirurgie et qui n’a pas été opéré. Et il y a eu deux thoracotomies exploratrices avec non-résécabilité. Sur le plan radiologique, il y a eu des progressions radiologiques et il y a eu un patient — ceci est important — qui a présenté une progression médiastinale. En fait, il a été opéré. Maintenant, on a un peu de recul et on connaît cela, mais c’était une pseudo-progression, et sur le scanner et sur la TEP il y avait plein de ganglions ; et finalement, sur l’analyse histologique, il est en réponse histologique complète, il y a 0 % de cellules tumorales. Donc il est peut-être guéri.

Manuel Rodrigues — C’est très encourageant. Il ne manque plus qu’à travailler sur les facteurs prédictifs pour choisir les bons patients.

Marie Wislez — Exactement.

Manuel Rodrigues — Très bien. Merci beaucoup pour ce résumé et bonne fin de congrès de l’ESMO et à bientôt sur le site de Medscape.

Discussion enregistrée le 25 septembre 2020

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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