COVID et nouvelles mesures sanitaires : qui contrôle ? Qui pénalise ?

Me Carbon de Seze, Dr Benjamin Davido

Auteurs et déclarations

29 septembre 2020

Quel est le cadre juridique des nouvelles mesures sanitaires mises en place pour lutter contre le COVID ? Quid du contrôle et des contraventions accompagnant ces mesures ? Les applications de traçage, comme StopCovid, peuvent-elles être considérées comme une atteinte aux libertés individuelles ? Le point avec Maître Carbon de Seze et Benjamin Davido.

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido — Bonjour et bienvenue sur Medscape, je suis Benjamin Davido, médecin infectiologue à l’hôpital Raymond Poincaré. En cette période de pandémie de COVID-19, nous sommes avec Maître Carbon de Seze, avocat pénaliste, pour répondre à des questions très pratiques sur ce qu’on a le droit, ou non, de faire. On a beaucoup parlé des mesures sanitaires et on s’interroge sur leur aspect juridique, comment elles s’articulent sur un plan médical et réglementaire. Maître Carbon de Seze, pouvez-vous vous présenter ?

Carbon de Seze — Bonjour, je suis avocat au barreau de Paris, dont je suis responsable de la commission des droits de l’homme, et je suis avocat depuis 22 ans.

Le cadre juridique des contraventions et des contrôles : en extérieur vs en intérieur

Benjamin Davido — Avec ces mesures vécues par les Français ces derniers mois, nous sommes maintenant dans une situation un peu particulière : nous avons passé le confinement, nous sommes hors état d’urgence et nous voyons de mesures nouvelles, comme très récemment le masque à l’extérieur et il y a un peu plus d’un mois le masque à l’intérieur. Comment peut-on justifier, sur le plan de la législation et pour des raisons sanitaires, qu’on a le droit par exemple de mettre des contraventions ?

Carbon de Seze — Alors pour l’instant l’état d’urgence sanitaire a été prorogé et vous m’interrogez sur le cadre juridique des contraventions — pour cela, le code de la santé publique le prévoit et un simple décret permet d’autoriser à ce que les contraventions soient verbalisées pour non-port du masque en extérieur. En intérieur, c’est un autre sujet, il faut distinguer les lieux privés, que ce soit entreprise ou domicile, ou les lieux de la fonction publique.

Benjamin Davido — Mais typiquement : Quand vous allez faire vos courses au supermarché, si vous n’avez pas de masque, est-ce que quelqu’un a le droit de vous verbaliser ou est-ce que quelqu’un a le droit de vous dénoncer ?

Carbon de Seze — Dénoncer, c’est une tradition française hélas bien établie, d’ailleurs on l’a vu pendant le confinement. À l’intérieur du supermarché, c’est le règlement intérieur du supermarché qui prévaut. Donc ce qui peut se faire, c’est que le vigile vous raccompagne à la sortie ; c’est-à-dire que le supermarché n’est pas tenu d’accueillir quelqu’un qui contrevient à son règlement intérieur. Là, en plus, en l’occurrence, c’est une question de sécurité. La sécurité sanitaire reste de la sécurité, et par conséquent on peut tout à fait vous raccompagner dehors. Et dehors, si vous vous trouvez sans masque, vous pouvez être verbalisé. Le supermarché n’a évidemment pas la possibilité de verbaliser ses clients.

Benjamin Davido — C’est très clair.

Carbon de Seze — Les agents de la sécurité publique n’ont pas la possibilité d’intervenir dans l’enceinte du supermarché.

 
Les agents de la sécurité publique n’ont pas la possibilité d’intervenir dans l’enceinte du supermarché. Me Carbon de Seze
 

Benjamin Davido — j’en profite pour expliquer à nos collègues médecins que l’intérêt du port du masque à l’extérieur est bien démontré, il est 20 fois supérieur et permet probablement, au-delà du fait d’avoir une certaine pédagogie, de diminuer les situations où on se retrouve sujet contact, et donc de faciliter de remonter les enquêtes. On parle justement aussi de limiter ses contacts — cela a été fait notamment au Royaume-Uni où on a limité à 10 personnes le nombre de contacts, ce qu’on a appelé les bulles, et ce que font nos collègues belges — et finalement dans des situations de lieux privés. Donc autre question : Peut-on empêcher quelqu’un de faire une réunion de famille, un anniversaire, une soirée à plus de 10 personnes ? Comment peut-on le contrôler ?

Carbon de Seze — Vous mettez le doigt sur la bonne question. On peut toujours émettre des interdits, mais l’interdit n’a de sens que s’il est compris et s’il est sanctionné en cas de violation de l’interdit. Est-ce que ce sera compris ? Je pense que c’est le premier point, et la compréhension de la législation en vigueur est sujet à débat, d’où l’intérêt de votre émission. C’est un point sur lequel vous reviendrez peut-être — je vais me concentrer sur la deuxième partie de votre question, qui porte sur le contrôle. Le contrôle, en France, est impossible dans une réunion privée. Pourquoi ? Parce que ces réunions se déroulent dans des domiciles — c’est même ce qui caractérise qu’elles soient privées.

 
Le contrôle, en France, est impossible dans une réunion privée. Me Carbon de Seze
 

Comment le droit opère-t-il une différence entre une réunion privée et une réunion publique ? Le droit constate qui a accès à la réunion comme critère qui détermine la qualification à apporter à la réunion. Quand vous tenez une réunion privée, familiale, amicale, à votre domicile, c’est simple : l’accès au domicile est conditionné par vous. C’est-à-dire qui vous laissez rentrer et le fait que vous êtes responsable de cette invitation, vous en êtes l’auteur et vous en êtes l’arbitre. C’est-à-dire que vous n’avez pas entendu la rendre publique et c’est vous qui, à l’entrée, décidez de qui rentre ou non.

Ceci posé, quelle est la possibilité pour la police de venir contrôler ces réunions ? Elle n’existe pas. En réunion privée, pour rentrer au domicile, il faudrait l’autorisation d’un juge — on voit mal quel juge signerait des ordonnances à l’aveugle pour aller chez les gens. L’accès au domicile peut être aussi réalisé en cas d’acceptation du propriétaire ou de l’occupant principal du domicile — on voit mal les Français accepter spontanément que la police vienne chez eux, à domicile, arbitrairement, contrôler combien de personnes sont sous le toit.

Et la troisième possibilité, c’est ce qu’on appelle en loi la flagrance : c’est-à-dire le constat immédiat de la commission d’une infraction. Mais là, nous sommes en matière de contravention et vous savez qu’il y a trois échelles de violation de la loi : le crime, le délit et la contravention. La flagrance n’est possible qu’en cas de crime ou de délit, mais pour la contravention, ce n’est pas prévu par les textes. Donc pour revenir concrètement à votre question : aucun contrôle de l’efficacité de cette règle ne serait possible en droit français.

Benjamin Davido — Donc cela veut dire qu'il est très important, finalement, de faire de la pédagogie parce c’est une certaine justice morale individuelle qui va permettre de contrôler la propagation de la maladie, et non l’État.

Carbon de Seze — Exactement. C’est du ressort du civisme de chacun, mais certainement pas du domaine du contrôle étatique.

 
C’est du ressort du civisme de chacun, mais certainement pas du domaine du contrôle étatique. Me Carbon de Seze
 

Benjamin Davido — Justement, toujours dans le thème du contrôle et face aux nouvelles mesures qui ont été annoncées ― on a réduit cette quatorzaine à sept jours avec l’idée que les gens seraient probablement plus observants, et aussi a priori en introduisant, possiblement par la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie, un contrôle.

À nouveau : Peut-on contrôler que quelqu’un respecte la quatorzaine ? Parce que typiquement, lorsqu’on va faire un arrêt de travail pour quelqu’un qui est malade, normalement il pouvait être contrôlé par la sécurité sociale, notamment s’il reste à son domicile, si le médecin n’a pas stipulé qu’il avait le droit de sortie. Comment cela se passe-il pour des gens qui ne sont pas forcément malades ?

Carbon de Seze — C’est un immense sujet. Concernant les pouvoirs de contrôle, on en revient à la question du domicile privé. En cas d’arrêt de travail, c’est exactement la même démonstration que précédemment.

Ensuite il y a le deuxième sujet, celui du contrôle des arrêts maladie.

Et un troisième sujet : le délai. Que cela soit ramené à une huitaine, c’est très bien, mais encore faudrait-il avoir les tests en temps et en heure. Par exemple, j’ai moi-même passé un test il y a plus de huit jours et je n’ai eu les résultats qu’hier. C’est-à-dire que cela ne correspond à rien, ce test que j’ai passé sur le parvis de l’hôtel de ville...

Quant au contrôle exercé par la sécurité sociale et tous les organismes sociaux sur la crédibilité des arrêts maladie déposés par un salarié, ils sont très encadrés et les effectifs actuels, en plus de l’argumentation juridique, ne permettront pas le contrôle. Et on ne peut pas donner des pouvoirs exorbitants à la police pour se substituer aux organismes sociaux pour exercer ces contrôles. Est-ce que j’ai répondu à votre question ?

Benjamin Davido — C’est très clair et justement cela me permet d’introduire le fait que, finalement, toutes ces mesures où on annonce qu’on va être « archicontrôlé » et qui vont aider une certaine logique sanitaire me semblent peu efficientes sur un plan de la législation.

 
Toutes ces mesures où on annonce qu’on va être « archicontrôlé » et qui vont aider une certaine logique sanitaire me semblent peu efficientes sur un plan de la législation. Dr Benjamin Davido
 

Les applications de traçage

Benjamin Davido — Je suis un des fervents défenseurs de l’utilisation des applications pour pouvoir remonter ces chaînes de transmission, et notamment StopCovid. Beaucoup on dit que ce type d’application était une entrave, une atteinte aux libertés. Qu’en est-il pour l’avocat que vous êtes ? Comment peut-on expliquer, ou plutôt défendre, que ces systèmes d’applications, d’outils d’intelligence artificielle, ne sont pas liberticides ?

Carbon de Seze — Il y a un premier point qui va dans votre sens, c’est le dernier avis de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui est une autorité administrative indépendante qui vérifiait la conformité de l’application StopCovid à la réalité des libertés publiques, au droit positif applicable en France). Ce dernier avis de la CNIL a déclaré l’application conforme. Donc cela va dans votre sens. C’est-à-dire que les dernières réserves qui avaient été effectuées au mois de juillet, notamment sur les garanties de confidentialité par le sous-traitant, ont été levées par une décision au mois de septembre. C’est la première fois que la CNIL faisait injonction à l’État de se mettre en conformité.

 
Ce dernier avis de la CNIL a déclaré l’application conforme. Me Carbon de Seze
 

Il reste des sujets qui étaient importants : le débat sur le caractère liberticide de l’application StopCovid n’était pas du tout un débat de juristes pour le plaisir de débattre, ce n’était pas une querelle de la basoche. Le premier point était le traçage et le deuxième point le respect du secret médical. Donc il y avait un sujet pour savoir qui avait accès à cette information, notamment parce qu’on a des sous-traitants. Nous avons posé des questions sur la conformité aux libertés publiques et à la réglementation générale de protection des données personnelles sur cette application : qu’est-ce qu’en font les sous-traitants et comment les malades sont-ils protégés d’une intrusion, d’un piratage des données ? Ces points ont été vérifiés, et aujourd’hui il y a de la part des spécialistes une levée des réserves…

Benjamin Davido — Donc cela veut dire qu’on peut imaginer que, demain, le gouvernement pourrait faire de la publicité — à la télévision, comme on l’a vu récemment pour alerter sur les formes sévères du COVID ― pour dire « notre application est valide, il n’y a aucune entrave aux libertés sur un plan juridique et donc il faut l’utiliser largement. » On pourrait presque obliger, enfin « obliger », le mot est peut-être un peu fort, mais en tout cas inciter très largement les Français à utiliser cette application, alors même qu’on voit que les laboratoires n’arrivent pas à réaliser les tests en temps et en heure, comme vous l’expliquiez. C’est tout à fait faisable.

Carbon de Seze — Oui. On peut tout à fait envisager ce point. Mais on ne pourra jamais contraindre quelqu’un à s’abonner à une application — ce serait contraire à la constitution.

Benjamin Davido — Oui, d’accord.

Carbon de Seze — Il y aura quand même un gros travail à faire sur le problème du traçage numérique. C’est-à-dire que ce qu’on admet pour une épidémie reste une exception à la règle. Qu’est-ce qui dit que demain, il n’y aura pas des considérations plus politiques pour faire admettre la même exception ? Ce sera dans ce sens-là un grand débat de liberté publique. Mais aujourd’hui, en l’état, rien ne s’y oppose.

 
Ce qu’on admet pour une épidémie reste une exception à la règle. Me Carbon de Seze
 

Aussi, une incompréhension supplémentaire — on en revient au début de notre conversation : vous avez vanté le port du masque en extérieur, et pourtant on est rarement, quand on croise quelqu’un, plus d’un quart d’heure à son contact…

Benjamin Davido — Absolument.

Carbon de Seze — … sauf dans les transports en commun. Mais dans la rue, quand on marche, on ne marche pas côte-à-côte avec quelqu’un qu’on ne connaît pas pendant un quart d’heure. Or l’application ne se déclenche qu’au bout d’un quart d’heure de présence physique avec quelqu’un qui est atteint par la COVID.

Benjamin Davido — Oui. elle ne badge pas en moins d’un quart d’heure.

Carbon de Seze — Donc là aussi, il y aura un effort pour nous faire comprendre pourquoi, quand c’est une application, il y a un délai d’un quart d’heure pendant lequel il ne peut rien se passer, et pourquoi, quand nous sommes dans la rue, ce délai d’un quart d’heure est réduit à quelques secondes, c’est-à-dire le simple fait de croiser ou de côtoyer quelqu’un le temps de traverser la rue.

Benjamin Davido — Absolument.

Merci pour toutes ces précisions qui me font comprendre que nous avons encore beaucoup de travail sur la pédagogie, sur la compréhension et l’articulation des mesures pour que tout le monde puisse finalement se les approprier, et qu’il reste encore des petits cônes d’ombre et des améliorations à faire.

Carbon de Seze — Merci à vous.

Discussion enregistrée le 18 septembre 2020

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

 

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