COVID-19 : «nous ne sommes pas sortis du cœur de la tempête»

Stéphanie Lavaud

8 septembre 2020

France -- Que s’est-il passé cet été en termes de circulation du virus ? Pourquoi assiste-t-on à une progression exponentielle de la transmission du SARS-COV-2 en particulier chez les jeunes adultes ? Va-t-on connaitre un nouveau pic de cas graves et une embolisation du système de santé cet automne ? Quid des quelques cas de réinfections ? Le virus a-t-il muté ?

Autant de questions qui sont sur toutes les lèvres et que nous avons posé à deux virologues, Yves Gaudin, directeur de recherches CNRS à l'Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC) de Paris-Saclay et Mylène Ogliastro , directrice de recherche à l'INRAE de Montpellier et représentante de la Société Française de Virologie, pour essayer d’y voir plus clair alors que nous assistons à une hausse modérée des nouvelles hospitalisations et admissions en réanimation, selon le dernier bilan de Santé publique France.

Comment se contamine-t-on dans les espaces clos ? Les masques sont-ils efficaces ? Quid d’un éventuel vaccin ? La maladie Covid-19 va-t-elle impacter la recherche en virologie ? Les réponses des deux virologues sur ces autres sujets d’actualité du coronavirus sont à lire ici : Fort risque de transmission dans les espaces fermés: pourquoi les masques sont essentiels

Remontée progressive du nombre de patients dans les services de réa

Indéniablement, le virus circule activement dans la population française comme le montre l’augmentation du pourcentage de tests positifs, passé de moins de 0,5% fin juin à 4,5% aujourd’hui, avec un nombre de tests qui dépasse désormais 900 000 par semaine. Du jamais vu pour le dépistage d’un virus respiratoire en période estivale.

Dans l’hexagone, le SARS-CoV-2 est non seulement présent mais actif puisque, depuis ces dernières semaines, la progression est exponentielle. Pour Yves Gaudin, « avec un solde positif de 20 à 30 nouveaux cas d’hospitalisation tous les jours sur toute la France, l’augmentation des hospitalisations reste faible mais c’est un frémissement. D’autant que cela s’accompagne d’une remontée progressive du nombre de patients dans les services de réanimation ». 

Confirmation de Mylène Ogliastro : « nous sommes toujours en situation épidémique ». Pour la virologue, « ces chiffres en augmentation, notamment les hospitalisations, sont assez inquiétants », même s’ils ne sont pas une totale surprise. « Le fait de rester confiné a bloqué la transmission du virus et l’on partait donc d’un taux très bas en mai, la hausse du nombre de cas post-confinement était attendue des spécialistes » affirme-t-elle.

Nous sommes toujours en situation épidémique Mylène Ogliastro 

La rentrée est une période critique

La question est de savoir à quel moment l’augmentation du nombre de cas va devenir problématique et s’accompagner d’une hausse des hospitalisations des formes sévères comme celle à laquelle on a assisté en mars/avril. Le SARS-CoV-2 pourrait circuler encore plus dans les semaines qui viennent car plusieurs facteurs jouent en faveur « même si les gestes barrières – vus parfois comme une contrainte – sont efficaces » précise Mylène Ogliastro. La rentrée est en effet une période critique. « En septembre, les gens reviennent dans les grandes villes. Qui dit grandes villes, dit proximité, déplacements et milieux clos, une situation bien différente de celle que l'on connait quand on est à la plage, et plus généralement en plein air. De plus, si le temps se dégrade, on aura tendance à fermer les fenêtres et à moins aérer, et petit à petit, alors que l’on va avancer dans l’hiver, notre système immunitaire va s’affaiblir avec le froid et potentiellement des carences vitaminiques (voir encadré) » considère Yves Gaudin.

Peu de cas graves cet été : question de saisonnalité ?

Pour expliquer le faible nombre de cas graves cet été, Yves Gaudin fait appel à la « saisonnalité » qui s’est joué à plusieurs niveaux ». Selon le virologue, le virus est plus fragile l’été car les UV abiment son génome, « même si ce phénomène est peut-être très marginal » modère-t-il. En outre, la transmission du virus par les gouttelettes serait moins efficace l’été car « leur comportement diffère dans une atmosphère chaude versus froide, humide ou non humide ». Mais aussi, le système immunitaire est plus efficace l’été. Les premières lignes de défense dans nos voies respiratoires sont sensibles au froid et notre statut vitaminique est meilleur à la belle saison : plus de vitamine D grâce au soleil, de vitamine A apportée par les fruits et légumes, ajoute-t-il. Conséquence : « En plus d’avoir affecté une population jeune, moins sensible, ces différents facteurs pourraient expliquer le faible nombre de cas graves vu cet été, et ce d’autant que les personnes fragiles et les personnes à risque, comme celles des EHPAD, par exemple, ont plutôt bien respecté les gestes barrières ».

Locaux fermés et conditions météorologiques favorables

Un avis que partage Mylène Ogliastro : « avec le retour dans des locaux fermés et des conditions météorologiques plus favorables au coronavirus (tempéraures, humidité) qui vont de fait favoriser sa transmission, on va avoir des cas supplémentaires, et probablement remettre en tension les services de réanimation ». En clair, « nous ne sommes pas sortis du cœur de la tempête, et il est attendu que l’on aille vers une situation compliquée par l'arrivée des virus saisonniers habituels ». En effet, avec les conditions météorologiques automnales, d’autres virus vont se mettre à circuler – même si les gestes barrières devraient nous en protéger. « D’où l’importance de continuer à être vigilant » résume-t-elle.

Pour toutes ces raisons, Mylène Ogliastro craint elle aussi « une reprise » tout en se voulant rassurante : « le frémissement observé aujourd’hui est observé avec attention ». Les yeux sont braqués sur les prochaines semaines qui vont être révélatrices de cet « effet dominos » à retardement, et « notamment sur la courbe des hospitalisations qui suit de 2 semaines celle de la détection des symptômes, mais aussi celle des passages en réanimation, elle-même en léger décalage avec celle des hospitalisations » confirme la virologue.

Mais, chacun a beau scruter l’horizon, « personne ne peut anticiper ce qui va se passer » rappelle Yves Gaudin.

Une extinction pure et simple de ce coronavirus, à l’instar du premier SRAS, n’est pas à exclure, souligne la virologue, rappelant que ce qui est essentiel pour un virus, c’est sa transmission. « Si on bloque cette étape-là, notamment par une vaccination naturelle ou induite, il peut disparaitre ».

Et s’il devait contaminer massivement la population, aurait-il la capacité de réinfecter des personnes ayant connu un premier épisode au printemps, comme le laisse penser les quelques cas de réinfection relayés par la presse ? Pour Yves Gaudin, sur 25 millions de personnes infectées, selon les chiffres officiels, et au moins 100 millions de personnes contaminées officieusement, « il est normal que quelques personnes recontractent le virus ».

Personne ne peut anticiper ce qui va se passer Yves Gaudin

Réinfection ou réactivation virale ?

Mais encore faut-il être sûr qu’il s’agit d’une re-contamination. « Les virologues, sont très prudents sur les cas de réinfection, indique la virologue montpelliéraine, et préfèrent parler de persistance avec réactivation virale (ce qu’on appelle dans le langage courant une rechute). A ce jour, pour les spécialistes, il n’y a que très peu de cas qui soient de véritables cas de réinfection, où le séquençage du virus a retrouvé la forme asiatique lors de la première infection, et le variant européen lors de la deuxième (voir encadré) ». 

A ce stade, « avec 3 ou 4 cas de réinfections (ou supposées telles) sur 25 millions de personnes infectées, il n’y rien à conclure », renchérit Yves Gaudin, ajoutant que l’on va savoir très vite, dans les semaines et les mois qui viennent, quel a été l’impact de la première contamination. « Si parmi les contaminations de cet hiver, il y a de nombreuses réinfections, alors cela veut dire que les gens ne sont pas protégés ». Cependant, là encore, la prudence est de mise : « si la réinfection n’est pas l’hypothèse qui prévaut actuellement, on peut avoir des mauvaises surprises, et que certaines personnes recontaminées le soient d’une façon plus grave » admet le chercheur.

Le virus qui circule est toujours le même

Le virus a-t-il muté ? Non, le virus qui circule est toujours le même, et c’est là l’une des rares certitudes à propos de cet organisme. Pourquoi cette confusion ? « Les personnes qui parlent de mutation font référence à un papier sorti dans Cell en août, mais dont les données – compte-tenu des délais de publication – ont été collectées fin février, début mars [1]. De fait, tous les décès en Europe ont été causé par ce variant – qui introduit une modification d’un nucléotide dans un codon de la protéine spike par rapport à la séquence établit précédemment en Chine. A ce stade, « il ne s’agit donc que d’un variant, il n’y a donc pas d’atténuation de la souche virale, comme cela a pu être dit » martèle Yves Gaudin. Si le virus n’a pas muté, il n’y a pas, selon lui, de raison, non plus, pour qu’il évolue dans les mois à venir ». Quant à l’immunité croisée plusieurs fois évoquée, elle est, selon le virologue, « marginale ».

 

 

 

 

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