POINT DE VUE

Cas de ré-infection et mutations du virus SARS-CoV-2 : quelles implications ?

Aude Lecrubier

31 août 2020

Pr Christian Rabaud

France – Les trois cas, désormais confirmés, de ré-infections (2 en Europe et 1 à Hong Kong) par le SARS-CoV-2 signifient-ils qu’il n‘existe pas d’immunité post-Covid ? La mutation D614G du virus au niveau de la protéine permettant au virus d’entrer dans les cellules humaines peut-elle freiner le développement des vaccins ? L’éclairage du Pr Christian Rabaud (infectiologue, Hôpital Central – CHRU de Nancy).

Medscape : Trois cas de ré-infections par le SARS-CoV-2 ont été documentés récemment, que peut-on en déduire sur la question de l’immunité post-Covid ?

Pr C. Rabaud : Dès le mois de mars, des cas de ré-infections possibles étaient évoqués par les Chinois mais nous ne savions pas s’il s’agissait d’une persistance de la réplication virale (à bas niveau voir de façon incomplète) ou d’authentiques ré-infections par la même souche ou par des souches différentes. Ces trois nouveaux cas apportent des éléments supplémentaires pour considérer qu’il peut y avoir des situations d’authentiques nouveaux portages.

Ceci n’est pas étonnant car nous avons l’impression que l’immunité humorale (lymphocytes B-plasmocytes-anticorps) est une immunité de portée intermédiaire, de quelques semaines, probablement pas au-delà d’un an. Aussi, l’immunité cellulaire (lymphocytes T cytotoxiques) semble diminuer très rapidement après 7 à 8 semaines.

Ainsi, la « cicatrice immunologique », sérologique ou cellulaire, post-infection a tendance à être moins, voire plus visible du tout après quelque temps.

Est-ce que cela veut dire pour autant que la personne a perdu toute capacité à avoir une défense plus adaptée contre le virus que la première fois ? Ce n’est pas sûr.

Lors d’une réponse immunitaire classique, en cas de ré-infection, quand il y a une mémoire immunologique du phénomène, même si au moment du contact avec le virus les anticorps sont à un niveau très bas, le système immunitaire peut être en capacité de réagir plus vite et plus fort. En 5 jours, on peut avoir un taux d’anticorps beaucoup plus élevé que ce que l’on aurait eu en 10 jours lors de la primo-infection. Cela signifie que le système immunitaire est en capacité d’empêcher que la deuxième forme soit une forme grave – parce que maitrisée plus tôt.

Ce que l’on observe sur ces trois cas, c’est qu’il s’agit de personnes qui au départ ont fait des formes peu graves – pour lesquelles le système immunitaire n’a peut-être pas produit une forte réponse –, et que les récidives sont elles-mêmes peu graves.

Cela ne remet donc pas totalement en cause l’idée d’une mémoire immunitaire.

La ré-infection semble donc assez exceptionnelle et ne semble pas pour l’instant liée à une gravité particulière.

 

Medscape : Ces trois cas de ré-infections représentent-ils des phénomènes isolés ou sont-ils plus fréquents qu’on ne le pense ?

Pr C. Rabaud : Pour l’instant, les nouveaux cas de Covid sont essentiellement de cas de novo plutôt que des gens qui ont déjà eu la maladie. S’il n’y avait aucune immunité, on devrait avoir, parmi les gens qui sont actuellement infectés une proportion non négligeable et bien visible de gens qui ont déjà été infectés, ce qui ne nous semble pas être le cas.

Ce phénomène semble donc assez exceptionnel et ne semble pas pour l’instant lié à une gravité particulière.

Medscape : Le variant porteur de la mutation D614G, qui serait désormais dominant à l’échelle mondiale, peut-il modifié l’évolution, la gravité de la pandémie ?

Pr C. Rabaud : Il ne semble pas que les mutations décrites actuellement, notamment le variant porteur de la mutation D614G décrit en Malaisie, aient un impact majeur sur l’évolution de l’épidémie.

Jusqu'à présent, il n'y a aucune preuve que le variant porteur de la mutation D614G soit associé à une maladie plus ou moins grave. En examinant les données cliniques de 999 cas de Covid-19 diagnostiqués aux États-Unis, Korber et coll.[1] ont constaté que les patients infectés par des virus porteurs de la mutation D614G avaient des niveaux plus élevés d'ARN viral, mais ils n'ont pas trouvé de différence en termes de taux hospitalisation chez les patients.

Charge virale et gravité de la maladie ne sont pas toujours corrélées.

Globalement, les données actuelles suggèrent que le variant D614G est moins prédictif de la sévérité de la maladie que d'autres facteurs de risque, comme l'âge ou les comorbidités.

Jusqu'à présent, il n'y a aucune preuve que le variant porteur de la mutation D614G soit associé à une maladie plus ou moins grave

Medscape : Ces cas de ré-infection et ces mutations signifient-ils qu’il sera plus difficile de trouver un vaccin ?

Pr C. Rabaud : En générale pour mettre un point un vaccin, on essaye de trouver la cible la plus constante qui soit au sein de l’ensemble des virus et des sous-types de virus. Dans le cas de la Covid-19, les vaccins en développement ont des cibles différentes qui peuvent conduire à des mécanismes d’action très différents. Cette recherche avec des approches très diverses rend optimiste sur la probabilité que l’on trouve assez vite un vaccin efficace – un au minimum – ou que la solution vienne de la combinaison de plusieurs de ces approches.

Concernant la mutation D614G, bien qu’elle soit localisée au niveau de la protéine Spike (Protéine S) qui permet au virus de pénétrer dans les cellules humaines, elle ne se situe pas dans le domaine de liaison (receptor-binding domain, RBD) de la protéine S qui est ciblé par de nombreux vaccins. S’il est possible qu’elle change l’infectiosité du virus, il est donc peu probable que cette mutation modifie considérablement l'immunogénicité des épitopes RBD.

 

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