Bisphosphonates: le sur-risque de fracture du fémur confirmé dans une large étude

Vincent Richeux, avec Nancy A. Melville

Auteurs et déclarations

27 août 2020

San Francisco, Etats-Unis — Une large étude américaine confirme le sur-risque de fracture atypique du fémur associé au traitement de l’ostéoporose par bisphosphonates lorsque celui-ci est pris pendant trois ans ou plus, surtout dans la population d’origine asiatique [1]. Ce risque reste toutefois très inférieur au bénéfice apporté par le traitement en prévention des fractures liées à la perte osseuse.

L’étude a évalué les effets à long terme des bisphosphonates dans une population de plus de 196 000 femmes atteintes d’ostéoporose, traitées en grande majorité par alendronate (Fosamax®, Merck). Les résultats, publiés dans le NEJM, viennent compléter ceux déjà obtenus dans des études beaucoup moins importantes en termes d’effectif.

« Il s’agit de la première étude à apporter définitivement la preuve que les Asiatiques ont un risque beaucoup plus élevé d’avoir une fracture atypique du fémur [avec une utilisation prolongée de bisphosphonate] que les Caucasiens », a souligné le Dr Angela Cheung, (Centre of Excellence in Skeletal Health Assessment, Université de Toronto, Canada), auprès de Medscape édition internationale.

Les résultats montrent, en effet, que les femmes d’origine asiatique ont cinq fois plus de risque d’avoir une fracture atypique fémorale avec un traitement prolongé par bisphosphonates, comparativement aux femmes blanches. Une différence qui n’apparait pas avec les autres profils ethniques.

 
Les résultats montrent...que les femmes d’origine asiatique ont cinq fois plus de risque d’avoir une fracture atypique fémorale avec un traitement prolongé par bisphosphonates.
 

20 fois plus de risque au-delà de cinq ans

Bien que rare, cet effet secondaire grave des bisphosphonates est redouté par les cliniciens, qui sont tentés d’appliquer une fenêtre thérapeutique après quelques années de traitement. Des recommandations américaines ont validé le principe d’un arrêt après trois ou cinq ans d’utilisation, selon la molécule, mais seulement chez les patients les moins à risque. En France, le traitement peut être interrompu dans certaines conditions (voir encadré).

Dans cette étude, le Dr Dennis Black (Departments of Epidemiology and Biostatistics and Orthopedic Surgery, Université de Californie, San Francisco, Etats-Unis) et ses collègues, ont repris les données du registre Kaiser Permanente Souther California concernant plus de 196 000 femmes américaines âgées de 50 ans et plus, mises sous bisphophonate (à 95% par alendronate) pour traiter une ostéoporose.

Les chercheurs ont recensé 277 fractures atypiques du fémur survenues sur une période de dix ans. Après ajustement sur plusieurs facteurs, l’analyse montre que les femmes prenant le traitement par bisphosphonate pendant 3 à 5 ans ont presque 9 fois plus de risque d’avoir cet effet secondaire (HR=8,86, IC à 95%, [2,79-28,20]), comparativement à celles cumulant moins de 3 mois de traitement.

Le risque d’être confronté à cet effet secondaire est multiplié par 20 pour une utilisation se prolongeant pendant 5 à 8 ans (HR=19,88, IC à 95%, [6,32-62,49]) et par plus de 43 (HR=43,51, IC à 95%, [13,7-138,15]) lorsque le traitement est pris pendant 8 ans ou plus.

Influence de la taille et du poids

Comme cela a déjà été observé lors de précédents travaux, le risque de fracture atypique du fémur décroit rapidement après l’arrêt du traitement par bisphosphonate. Il est réduit de moitié dans les 3 à 15 mois qui suivent l’interruption (HR= 0.52, IC à 95%, [0.37-0.72]) et de 75% quatre ans plus tard (HR=0.26, IC à 95% [0.14-0.48]).

Une petite taille apparait comme un facteur de risque supplémentaire puisque, en comparant des femmes au profil similaire, le risque d’avoir une fracture atypique fémorale est augmenté de 28% pour 5 cm en moins. De même, pour le surpoids, avec une hausse du risque de 15% pour 5 kg supplémentaire.

Etonnamment, les résultats montrent qu’un âge avancé, considéré comme un facteur de risque de fractures ostéoporotiques, n’est pas associé à un sur-risque. « Les femmes les plus âgées de notre cohorte, les plus à risque de fracture de la hanche ou autres, étaient celles qui avaient le moins de risque d’avoir une fracture atypique du fémur », indiquent les auteurs.

L’étude souligne également le bénéfice apporté par le traitement en prévention des fractures, qui compense largement en valeur absolu le risque d’effet secondaire. Ainsi, chez les femmes blanches, pour deux fractures atypiques recensées, 149 fractures de la hanche et 541 autres fractures ostéoporotiques ont été évitées, estiment les auteurs. Après cinq ans de traitement, on passe respectivement à 286 et 859 fractures évitées pour huit fractures atypiques.

 
L’étude souligne également le bénéfice apporté par le traitement en prévention des fractures, qui compense largement en valeur absolu le risque d’effet secondaire.
 

Chez les femmes d’origine asiatique, le bénéfice/risque reste en faveur du traitement, même si la différence en termes de prévention des fractures est nettement moins prononcée. Après trois ans sous bisphosphonates, les chercheurs estiment que pour huit fractures atypiques du fémur observées dans cette population, le traitement a permis de prévenir 91 fractures de la hanche et 330 fractures autres.

Vers une thérapie personnalisée

Selon les auteurs, les études précédentes ont déjà rapporté un sur-risque de fracture atypique fémoral chez les femmes d’origine asiatique. L’une d’entre elles a montré que cet effet secondaire était survenu dans la moitié des cas chez ces femmes, alors qu’elles représentaient seulement 10% de la cohorte.

Les raisons de ce sur-risque dans cette population sont probablement multi-factorielles. Les auteurs évoquent une meilleure observance thérapeutique, ainsi que des facteurs génétiques qui agiraient sur le métabolisme des médicaments ou le remodelage osseux. La cohorte étant exclusivement américaine, ils évoquent également une potentielle influence du mode de vie sur la population d’origine asiatique.

« A ce stade, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour identifier les causes du risque accru de fracture atypique du fémur chez les femmes d’origine asiatique », ont commenté les auteurs, qui précisent que ces femmes sont, à l’inverse, moins sujettes aux fractures liées à l’ostéoporose, comparativement aux femmes caucasiennes.

Ces résultats soulignent la nécessité d’adapter le traitement en fonction du profil des patientes, estime le Dr Cheung. « A l’heure de la médecine personnalisée, nous devons nous focaliser sur l’individu, en tenant compte de son origine ethnique, de ses caractéristiques génétiques, de son sexe, de son statut médical ou encore de ses traitements », rappelle la spécialiste.

 
Ces résultats soulignent la nécessité d’adapter le traitement en fonction du profil des patientes.
 

« L’étude apporte de nouveaux éléments sur le bénéfice/risque du traitement par bisphosphonate, qui pourraient avoir une influence sur les décisions concernant le début du traitement ou sa durée ». Elle souligne toutefois que les résultats concernent surtout l’utilisation de l’alendronate et qu’il n’est pas clairement prouvé que le bénéfice/risque est similaire avec les autres molécules.

Quelles recommandations en France ?

Les dernières recommandations actualisées du groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses (GRIO) concernant l’ostéoporose post-ménopausique indiquent que le traitement peut être interrompu après une première séquence thérapeutique chez une patiente ayant les éléments suivants :

  • pas de fracture sous traitement ;

  • pas de nouveaux facteurs de risque ;

  • pas de diminution significative de la DMO > 0,03 g/cm2 au rachis ou à la hanche ;

  • et en cas de fracture sévère, un T score fémoral de fin de traitement au moins égal à −2,5 voire −2.

« Ces recommandations ne peuvent pas envisager tous les cas spécifiques et sont à adapter au cas par cas. Une réévaluation après l’arrêt du traitement est recommandée après 2 ans », considère le GRIO.

L’étude a été en partie financée par Kaiser Permanente et l‘université de Californie.

Le Dr Angela Cheung a des liens d’intérêt avec Amgen. Elle fait partie du groupe de travail participant à la rédaction des recommandations canadiennes sur la prise en charge de l’ostéoporose.

 

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