COVID-19: la hausse des états dépressifs met la psychiatrie en alerte

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

26 août 2020

Washington, Etats-Unis -- En juin 2020, 40% des adultes américains ont déclaré un trouble de santé mentale ou une consommation de substances psychoactives en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, selon les résultats d’un rapport du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) [1], qui dresse un état des lieux alarmant de l’état psychiatrique de la population. Les plus jeunes et les minorités ethniques sont les plus affectés. 

En comparaison avec des données récoltées lors du deuxième trimestre de l’année 2019, la prévalence des troubles de l’anxiété ou de la dépression apparait trois fois plus importante dans cette nouvelle étude, soulignent les auteurs de l’enquête, qui révèle également une fréquence particulièrement élevée des pensées suicidaires chez les jeunes adultes.

« Alors que la pandémie continue de progresser, il reste urgent de lutter contre les disparités en termes de santé mentale et d’adapter les moyens d’apporter un soutien, afin de limiter les conséquences psychologiques » de cette crise sanitaire, estiment les chercheurs. Selon eux, des actions sont surtout à mener auprès des populations les plus fragiles, tels que les travailleurs précaires ou les minorités ethniques, plus vulnérables face au virus.

10% ont pensé au suicide

Pour dresser un état des lieux de la santé mentale et de la toxicomanie chez les adultes américains dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, Rashon Lane et ses collègues du CDC ont effectué un sondage en ligne pendant la dernière semaine de juin 2020. Au total, 5 412 individus âgés de plus de 18 ans et représentatifs de la population américaine y ont répondu.

L’état psychiatrique rapporté apparait très préoccupant. L’analyse des réponses montre, en effet, que 31% des personnes interrogées présentent des signes d’anxiété ou de dépression, 26% ont rapporté des symptômes évoquant un traumatisme ou un stress liés à l’épidémie et 13% ont indiqué avoir initié ou renforcé leur consommation de stupéfiant pour soulager leur mal être.

Près de 10% des individus ont pensé au suicide dans les 30 jours précédents, en raison de la crise sanitaire. Un taux qui devient encore plus alarmant en s’attardant sur les plus jeunes ou sur les groupes ethniques. Ainsi, un quart des jeunes âgés de 18 à 24 ans ont été confrontés à des pensées suicidaires. La proportion atteint 18% chez les Hispaniques et 15% chez les Noirs américains.

Les envies de suicide apparaissent aussi très fréquentes chez ceux exerçant des emplois jugés essentiels, qui, en plus d’être peu rémunérateurs, exposent à un risque accru de contamination, en raison notamment de l’impossibilité de télétravailler (caissier, livreur, aide-soignant…). L’enquête montre que près de 22% des personnes exerçant ces métiers ont pensé au suicide.

Trois-quarts des jeunes affectés

Dans l’ensemble, les trois quarts des jeunes de 18 à 24 ans ont rapporté au moins un trouble affectant la santé mentale. La prévalence chute avec l’âge, mais reste toutefois élevée chez les 25-44 ans, puisqu’elle atteint 52% dans cette tranche d’âge. Plus de la moitié des personnes exerçant un emploi essentiel présentent également au moins un trouble.

 
Dans l’ensemble, les trois quarts des jeunes de 18 à 24 ans ont rapporté au moins un trouble affectant la santé mentale.
 

Au total, en considérant l’ensemble de la cohorte, 40% des individus ont déclaré des troubles de la santé mentale ou une consommation de substances psychoactives en lien avec l’émergence de l’épidémie.

 
40% des individus ont déclaré des troubles de la santé mentale ou une consommation de substances psychoactives en lien avec l’émergence de l’épidémie.
 

« Les prévalences particulièrement élevées des troubles révèlent l’impact majeur de la pandémie de Covid-19 sur la santé mentale et la nécessité de prévenir et de traiter ces troubles », soulignent les auteurs. Ils suggèrent de recourir plus largement à la téléconsultation pour améliorer la prise en charge et l’accès à un soutien psychologique.

Identifier les populations plus à risque pourrait aussi contribuer, selon eux, à réduire les disparités. Les efforts menés auprès des communautés les plus fragiles « devraient inclure davantage d’aides économiques », ainsi qu’un soutien pour limiter « le stress lié aux discriminations raciales » ou « une valorisation des interactions sociales » pour lutter contre l’isolement.

Les chercheurs estiment, pour conclure, que d’autres études devront être menées pour identifier des facteurs de risque et évaluer l’impact de certains d’entre eux, comme l’isolement social, le chômage ou les difficultés financières.

En France, une situation tout aussi préoccupante

Les répercussions de l’épidémie de Covid-19 et en particulier du confinement sur la santé mentale fait également l’objet de recherche en France. Pierluigi Graziani et ses collègues des universités de Nîmes et d’Aix-Marseille, mènent actuellement une enquête par le biais d’un questionnaire relayé sur les réseaux sociaux pendant et après le confinement.

Selon des résultats préliminaires, qui s’appuient sur plus de 3 700 témoignages d’individus âgés de 18 à 87 ans, 78% des participants présentent les signes d’un syndrome dépressif léger à modéré. Des scores d’anxiété supérieurs au seuil pathologique ont également été observés chez 43% des participants.

L’enquête révèle que 14% des personnes interrogées ont des idées suicidaires, « soit trois fois plus que la prévalence habituelle ». Un état de désespoir supérieur au seuil pathologique s’observe chez quasiment 12% des participants. Les résultats étant homogènes au niveau national, « c’est bien le confinement qui serait en grande partie responsable de cette souffrance anxieuse et dépressive », commente Pierluigi Graziani, dans un premier bilan.

« Les conséquences psychiatriques du Covid-19 sont devant nous pour plusieurs mois, voire plusieurs années », a récemment déclaré sur France-Inter la psychiatre Marion Leboyer, directrice des départements universitaires de psychiatrie des hôpitaux Henri-Mondor, à Créteil. Elle évoque « des raisons sociales et psychologiques », notamment chez les personnes exposées aux difficultés financières, mais aussi « des raisons liées à biologie de l’infection », les séquelles sur le cerveau étant favorables à l’émergence de pathologies psychiatriques.

« Il faut mettre en place une stratégie de prévention et de dépistage » des troubles psychiatriques, en visant en particulier les femmes, les jeunes adultes, les personnes âgées ainsi que les personnes précaires, davantage à risque dans ce contexte de pandémie, a souligné la psychiatre. Elle rappelle, pour cela, le rôle majeur des médecins généralistes dans le repérage des symptômes, avant la prise en charge par un spécialiste.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....