ECTRIMS : évolution dans le concept de prise en charge de la SEP 

Pr Pierre Clavelou, Dr Michel Dib

Auteurs et déclarations

22 septembre 2020

Pierre Clavelou et Michel Dib commentent l’actualité ECTRIMS/ACTRIMS 2020 : deux nouvelles études sur les stratégies thérapeutiques, indiquant un bénéfice des traitements précoces et intensifs, ainsi qu’une étude française sur les patients avec SEP et COVID, qui se veut rassurante.

TRANSCRIPTION

Pierre Clavelou — Bonjour, je suis Pierre Clavelou, neurologue à Clermont-Ferrand et j’ai le plaisir de commenter avec Michel Dib, neurologue à Paris, les éléments à chaud du dernier congrès ECTRIMS/ACTRIMS. L’opus 2020 vient de se terminer, non pas à Washington, mais en distanciel.

Lors de tous ces congrès sur la sclérose en plaques ― nous en avons maintenant l’habitude depuis quelques années ― nous attendons des scoops thérapeutiques, des nouvelles molécules, même si nous sommes « sevrés » des très nombreux médicaments qui ont démontré une certaine efficacité. Au cours de ce congrè 2020, on a évoqué une évolution dans le concept de prise en charge de ces patients, et de façon plus intensive et plus précoce. Peux-tu nous apporter un éclairage à ce titre ?

Nouvelles stratégies thérapeutiques

Michel Dib — Bonjour Pierre. Effectivement, il y a eu plusieurs présentations sur l’histoire naturelle de la maladie et l’histoire modifiée par le traitement. Ce sont des données qui sont assez précieuses pour nous parce qu’elles nous aident à choisir notre stratégie thérapeutique. J’ai choisi deux exemples : l’étude d’Iaffaldano, [1] qui est un registre italien qui présente les données sur 10 ans. C’est, essentiellement, une comparaison entre le groupe qu’on appelle ''escalade thérapeutique'', ce qui correspond à la stratégie thérapeutique que nous utilisons, et un deuxième groupe qui est le ''traitement intensif'' soit par les produits oraux, soit par les anticorps monoclonaux actuels. Dix ans, cela correspond à la disponibilité des premiers traitements de deuxième ligne, en 2009-2010. La base de données regroupe 53 000 patients — dans cette étude, on n’a inclus que près de 300 patients.

Dans les deux groupes, l’EDSS de départ était 2,5, donc on peut se demander, avec des patients « sévères » ou actifs ou avec des formes agressives, pourquoi on les traiterait avec des stratégies d’escalade.... Mais n’oublions pas qu’on était dans les années 2009-2008. Mais peu importe — la comparaison montre que là où on commence d’emblée par un traitement intensif, on va gagner en EDSS rapidement au cours des premières années et cette différence au niveau du EDSS va se retrouver à la fin des 10 ans. Donc la conclusion est : un traitement intensif au départ permet de gagner sur le plan EDSS. D’ailleurs, c’est le fond de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des traitements deuxième ligne, notamment ceux qui sont indiqués dans les formes parfois appelées agressives, parfois appelées actives. [2]

 
Un traitement intensif au départ permet de gagner sur le plan EDSS. Dr Michel Dib
 

Michel Dib — La deuxième étude, toujours dans la stratégie thérapeutique, nous vient toujours de l’Italie — nous parlerons de la France tout à l’heure — avec l’équipe de Fonderico. [3]  Elle essaye plutôt de répondre à une question importante, qui est le traitement des formes les formes primitives progressives (PP). Nous savons déjà qu’il y a peu d’AMM dans les formes PP. Cela confirme que, finalement, traiter des formes PP avec des immunomodulateurs, des immunosuppresseurs, ne porte pas ses fruits plusieurs années après au niveau du retard du handicap et de la progression d’EDSS, sauf si nous traitons nos patients plus jeunes et de façon plus précoce. Évidemment, j’ajouterais un troisième point important : c’est l’inflammation sur l’IRM, ce que nous enseignent toutes les études d’efficacité des formes PP dans la littérature et même ceux qui sont commercialisés actuellement, les anti CD20.

Donc traitons plutôt les patients plus jeunes, en moyenne 45 ans, plus tôt dans la maladie et des formes plus inflammatoires sur l’IRM. Qu’en penses-tu Pierre ? Que nous disent les données françaises sur cette question ?

Pierre Clavelou — Ces deux études soulèvent deux problèmes importants qui sont, premièrement de définir quels sont les patients qui vont bénéficier le plus de ces stratégies de traitement intensif précoce, et là l’arsenal thérapeutique permet peut-être d’apporter quelques éléments de répons chez les patients rémittents — beaucoup plus difficiles, mais tu l’as noté, sur les patients progressifs ; et le deuxième point, c’est la tolérance.

Sur le premier point, il y a quelques études, notamment de la MS Base, qui est la base internationale qui regroupe près de 70 000 patients, qui a montré qu’effectivement ce type d’attitude avec des traitements définis comme seconde ligne, donc plus intensifs, prescrits précocement, pourrait retarder l’apparition d’un handicap significatif, en particulier nécessitant l’utilisation d’une aide comme une canne, par rapport à ceux qui n’ont pas bénéficié de cette thérapeutique précocement. Après, il faut définir quelles sont les formes actives de la maladie. Un travail par des Suédois et qui est en cours de publication, montre que quelques critères peuvent être définis sur le plan clinique assez simplement : un âge de début qui est supérieur à 35 ans, un score EDSS rapide, c’est-à-dire dès la première année supérieur ou égal à 3,5 et des signes pyramidaux à l’examen neurologique, ce qui témoigne d’un risque de voir apparaître un handicap assez rapidement.

Donc peut-être qu’en combinant ces deux éléments, ce qui va faire l’objet, d’ailleurs, du consortium de ce qu’on peut appeler des Big data, associant la MS Base avec ses 70 000 patients et 75 000 patients français de l’AFSEP ; on pourra peut-être, je l’espère en tout cas, apporter quelques éléments pour confirmer tout cela. Alors, ce sont toujours des données rétrospectives, mais c’est très difficile d’avoir une étude prospective sur une durée aussi longue. Cette étude rétrospective avec, comme tu l’as souligné, des scores de propension comparant des paires de patients (325 d’un côté et de l’autre dans l’étude italienne sur les PP), permet quand même  de valider — à défaut, parce que nous n’avons pas de meilleur plan statistique — ce concept de thérapeutique active, ce qui n’est pas actuellement dans les réflexions des agences, qu’elles soient nord-américaines ou européennes, où on est plutôt dans un concept d’escalade. Et on a vu en France, pourtant un haut lieu de l’induction thérapeutique avec les études mitoxantrone, combien il est difficile de convaincre les agences de l’arrivée d’un nouveau traitement inductif — en particulier par ce qu’on a vécu récemment de la cladribine — et ce type d’étude permettra, je pense, de changer un peu les concepts.

Après, il faut qu’avec ce type des traitements, chez les gens jeunes, on assume les effets indésirables. Et on peut rappeler l’étude intéressante qui a été faite par le groupe Barcelone/Jijón, en Espagne, comparant deux doses de rituximab [4]  – alors, certes, les trois quarts étaient des formes secondairement progressives et des progressives primaires – néanmoins, avec l’inefficacité comparable, sur des critères cliniques – poussés, EDSS, des critères radiologiques comme des lésions prenant produit de contraste ou charge lésionnelle en T2, les mêmes critères, d’ailleurs, sur les taux d’immunoglobulines ou lymphocytes, les mêmes critères biologiques étaient remplis des deux côtés de façon équivalente, mais, par contre, dans les doubles doses, beaucoup plus d’infections urinaires. Donc cela incite à réfléchir à d’autres modalités d’administration pour que les doses cumulatives soient le plus retardées possible. Je prends l’exemple du rituximab, celui qui est le plus ancien et que l’on commence à connaître assez bien.

Michel Dib — Tout à fait. Je mets ma casquette de neurologue libéral : tout cela devrait nous aider à un meilleur choix à la carte, donc ce qu’on appelle la médecine personnalisée. Avant de finir, Pierre, j’aimerais juste que tu me dises un mot sur la situation COVID et sclérose en plaques, aujourd’hui, en France.

SEP et COVID

Pierre Clavelou — Avant, je voulais rebondir pour dire qu’en tant que neurologue libéral, comme tu le sais, tu le pratiques, parce que tu as quand même une activité hospitalière importante, la mise en place que nous avons faite des réunions de concertation thérapeutique permet d’offrir dans le cadre d’un partage d’expériences le maximum d’options thérapeutiques aux patients, partagées par tous les neurologues. Et ceci, l’image même de l’application de cette entente et de cette capacité à démontrer des travaux de recherche de haut niveau, c’est COVID. On a été très vite confronté à cela, surtout dans l’est de la France et à Paris, et initié par une équipe strasbourgeoise et parisienne, la société francophone de la SEP, l’ensemble des centres ressource sclérose en plaques ont permis de colliger très vite un nombre très important de patients — plus de 405 patients — et c’est la première série mondiale qui a été publiée[5] dans une revue à très haut niveau avec deux questions : quelle est la sévérité du COVID-19 chez les patients avec SEP et quelles sont les facteurs de risque d’une forme sévère de COVID 19 ?

Sur la première question, 12 patients sont décédés, il y avait 20 % d’hospitalisation, 3 % de décès, ce qui fait que les formes ne sont pas plus sévères. Après, il faut s’intéresser à qui étaient ces patients. C’était surtout, dans une analyse multivariée, les patients les plus âgés, ceux qui avaient un score EDSS plus évolué, une obésité et une comorbidité cardiovasculaire. Donc ce que l’on connaît chez tous les patients, quels qu’ils soient, ce qui entraîne une forme sévère de COVID. Donc c’est très rassurant pour les patients — la sclérose en plaques en soi n’est pas un facteur de surrisque d’une forme sévère de COVID.

 
La sclérose en plaques en soi n’est pas un facteur de surrisque d’une forme sévère de COVID. Pr Pierre Clavelou
 

Deuxième élément intéressant : les médicaments tels qu’ils ont été distribués, y compris les immunosuppresseurs, ne conféraient pas de surrisque avec, peut-être même, un effet bénéfique des interférons et de l’acétate de glatiramère — et on sait que l’interféron était dans le protocole de DISCOVERY comme élément potentiellement actif pour réduire l’importance de la sévérité des formes COVID. Ceci doit être partagé dans une méta-analyse, parce que les Italiens semblent démontrer qu’il y a peut-être un surrisque de forme sévère avec certains immunosuppresseurs. Les Américains aussi. Je pense que cette méta-analyse verra bientôt le jour et nous permettra d’avancer. En tout cas, on doit être très rassurant vis-à-vis de nos patients atteints de sclérose en plaques, et c’est l’avantage d’une recherche clinique française très active qui était, là, sous la férule de Céline Louapre et Nicolas Collongues. [5]

Michel Dib — Merci, Pierre. Ces conclusions nous confortent dans l’attitude que nous avons prise dès les premiers jours de la crise COVID, avec les recommandations, surtout des sociétés savantes, de la société française de neurologie, la fédération, la société de sclérose en plaques, dans la mesure où on a rassuré nos patients SEP contre l’histoire de COVID, tout en leur demandant, évidemment, de suivre les recommandations. Donc ces conclusions viennent aujourd’hui confirmer cette attitude qui s’est révélée, finalement, assez utile et rassurante pour les patients.

Pierre Clavelou — Merci, Michel. Alors, on serait resté beaucoup plus longtemps avec vous, mais nous avons voulu traiter de sujets qui nous paraissaient être directement des applications dans notre vie quotidienne. Cela était un plaisir pour nous de partager ces moments avec vous. Au revoir.

 

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