Hypertension artérielle "blouse blanche", effet in-utero des antihypertenseurs, COVID : le point sur les études récentes menées chez la femme enceinte, en partenariat avec le Club des Jeunes Hypertensiologues (CjH).
TRANSCRIPTION
Romain Boulestreau — Bonsoir et bienvenue sur Medscape, en partenariat avec le CjH. J’ai le plaisir d’accueillir Anne-Laure Madika, cardiologue libérale spécialisée en hypertension artérielle, qui connaît très bien la cardiologie de la femme, et en particulier l’hypertension artérielle des femmes enceintes. Deux études sont sorties récemment dans Hypertension, notre plus gros journal, qui parlent justement de l’hypertension de la femme enceinte.
L’HTA « blouse blanche » de la femme enceinte
Commençons par une première étude sur l’hypertension artérielle « blouse blanche » de la femme enceinte[1]. On connaît bien ce phénomène chez le patient l’hypertendu tout venant, mais chez la femme enceinte, on n’avait pas encore d’information. C’est une grosse étude, peux-tu nous donner quelques informations ?
Anne-Laure Madika — Bonjour à tous ! Merci. En effet, c’est une étude assez intéressante, puisque c’est un résultat inédit. C’est une méta-analyse de 12 études portant sur près de 5000 patientes enceintes. Elle a montré que les femmes qui présentaient une hypertension artérielle blouse blanche au cours de la grossesse avaient un risque majoré, multiplié par 5, de prééclampsie par rapport aux femmes qui étaient normotendues, et multiplié par plus de 2 d’un retard de croissance intra-utérin où de prématurité, toujours par rapport aux femmes normotendues. Mais ce risque était quand même moindre que celui d’une femme qui avait une hypertension artérielle gravidique ou une hypertension artérielle chronique. C’est un résultat inédit qui est un signal pour surveiller les femmes qui présenteraient une hypertension blouse blanche pendant la grossesse, puisque plus à risque de faire ces complications, et c’est un nouvel argument important pour utiliser les mesures ambulatoires chez la femme enceinte.
Il faut utiliser ces mesures ambulatoires chez la femme enceinte comme le préconisent les recommandations. C’est très important parce qu’il va falloir justement éliminer une hypertension blouse blanche pour ne pas surtraiter une femme, et donc l’exposer à un risque de pression artérielle trop basse qui peut être délétère pour le fœtus. Donc c’est une étude intéressante, il faut surveiller ces femmes et utiliser les mesures ambulatoires.
Romain Boulestreau — D’accord. Donc deux gros messages : une hypertension artérielle chez la femme enceinte, on confirme en ambulatoire. Si c’est confirmé, on peut traiter, si ce n’est pas confirmé, c’est une hypertension artérielle blouse blanche, mais il faut la surveiller de près, puisqu’elle peut faire plus de prééclampsie qu’une normotendue.
Anne-Laure Madika — Exactement. Et, du coup, on peut utiliser la MAPA, mais l’automesure tensionnelle est plus simple et très bien utilisée par les femmes enceintes qui font ça très bien parce qu’elles sont très concernées par leur santé à ce moment-là, donc il ne faut ne pas hésiter. Et généralement, elles investissent pour avoir un appareil d’automesure, c’est indispensable.
Effets de l’HTA et des traitements antihypertenseurs sur les fœtus
Romain Boulestreau — On a eu une deuxième étude[2], qui nous apporte des informations plus classiques, qu’on connaît déjà, mais avec un gros volume de patients, donc c’est quand même intéressant d’en parler. Cela traite plutôt du sujet du retentissement sur les fœtus de l’hypertension artérielle et des traitements antihypertenseurs. Qu’as-tu retenu de cette étude ?
Anne-Laure Madika — C’est une étude écossaise, on n’a pas de données cliniques, ce sont des données épidémiologiques obtenues à partir de bases de données médicales nationales, donc on a des gros volumes : 200 000 naissances. Ils ont fait une analyse rétrospective sur le pronostic des femmes hypertendues, qu’elles aient été traitées ou non. Et les investigateurs retrouvent que les femmes hypertendues ont un risque majoré de prématurité, de retard de croissance intra-utérin et de petit poids de naissance pour le bébé, qu’elles soient traitées ou non. Et il y avait un risque plus important en cas de prise de traitement antihypertenseur. Donc cela nous montre ce qu’on savait déjà, que l’hypertension artérielle est un facteur de risque de prématurité et de retard de croissance intra-utérin. Après, c’est beaucoup plus difficile de conclure sur le rôle réel du traitement antihypertenseur parce que peut-être que ces femmes étaient traitées parce qu’elles avaient une hypertension artérielle plus sévère et qu’en fait l’effet vient de l’hypertension artérielle elle-même et de sa sévérité. Il n’y a pas de détails sur le traitement qui a été pris. On précise juste qu’il y a 58 % de bêtabloquants. Or on sait que certains traitements ont un meilleur profil de sécurité et qu’il y a certains bêtabloquants, notamment l’aténolol qui peut être responsable en lui-même de retard de croissance intra-utérin, et on n’a pas de notion sur le contrôle de la pression artérielle — est-ce que ces femmes traitées avaient une pression artérielle trop basse suite au traitement ?
Donc finalement, cela ne nous permet pas de juger sur l’effet de l’hypertension artérielle, de la sévérité, du traitement, du type de traitement. Mais c’est le problème qu’on a globalement pour l’hypertension chez la femme enceinte. Ce sont des études qui sont difficiles à mener, donc on a souvent des études d’assez mauvaise qualité et on n’a pas de données. On sait que l’hypertension artérielle sévère, il faut la traiter pour prévenir les complications maternelles, notamment l’hémorragie cérébrale. On le sait et ce sont les recommandations – une femme qui est enceinte, qui a une hypertension artérielle sévère, c’est-à-dire supérieure à 160-110 mm Hg, il faut la traiter. Par contre, dans l’hypertension artérielle modérée, on ne sait pas si vraiment il y a un bénéfice. On avait eu une étude randomisée il y a quelques années, l’étude CHIPS[3], qui montrait que cela prévenait la progression vers une hypertension artérielle sévère, mais c’était négatif sur le pronostic de prééclampsie, prématurité, retard de croissance intra-utérin. Cela ne veut pas dire forcément qu’il n’y a pas d’effet, mais c’est toujours difficile de montrer ces effets-là. Et, à l’inverse, on n’a pas d’étude qui nous montre que le traitement antihypertenseur serait délétère. On n’a pas de données suffisamment fiables.
D’où les recommandations françaises, mais également européennes : on doit traiter une hypertension artérielle sévère. En cas d’hypertension artérielle modérée, ce sera au cas par cas, et on va considérer notamment le risque cardiovasculaire de la mère. Donc si c’est une mère qui est diabétique, qui est en prévention secondaire, qui a un risque cardiovasculaire en prévention primaire, il y aura alors lieu de débuter un traitement antihypertenseur, mais ce sera au cas par cas et toujours en veillant à ce compromis entre prévenir les complications maternelles et éviter une hypoperfusion fœtale, donc avec des objectifs de pression artérielle qui sont un peu plus élevés que pour l’adulte hypertendu.
Romain Boulestreau — D’accord. Donc une grosse étude qui nous confirme quelque chose qu’on savait déjà : il faut faire attention à la pression artérielle des femmes enceintes, et pour une femme enceinte hypertendue, on a des recommandations très claires. La prise en charge est un peu particulière donc il faut bien connaître ces recommandations. Et si jamais c’est quelque chose auquel vous n’êtes pas habitué, n’hésitez pas à vous tourner vers un spécialiste de l’hypertension comme Anne-Laure, il y en a dans tout le territoire et ils pourront vous aider.
HTA, grossesse et COVID-19
Romain Boulestreau — Une dernière question avant de clôturer cette discussion : en ce moment, on ne peut pas faire un sujet sans parler de COVID-19. Est-ce que, selon toi, le COVID modifie la prise en charge de ces patientes ou pas du tout ?
Anne-Laure Madika — Pas du tout. Ce sont toujours les mêmes recommandations : confirmer l’hypertension avec une mesure ambulatoire, traiter si elle est sévère, et au cas par cas si elle est modérée, en choisissant les molécules recommandées avec un suivi régulier tout au long de la grossesse et aussi dans le post-partum, puisqu’on sait que ces femmes ont un risque cardiovasculaire élevé par la suite.
Romain Boulestreau — C’est très clair. Si vous avez besoin de plus d’informations, sur le site de la Société Française d’Hypertension Artérielle, vous avez des recommandations en français qui sont parfaitement détaillées, qui font quelques pages, donc c’est très efficace. Je vous remercie de votre attention et je vous dis à bientôt pour une autre vidéo sur la page du CJH en partenariat avec Medscape.
Discussion enregistrée le 25 septembre 2020
Direction éditoriale : Véronique Duqueroy
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Citer cet article: HTA et grossesse : quelle actualité ? - Medscape - 18 sept 2020.
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