Gabriel Steg et Michel Zeitouni commentent 3 études présentées au congrès de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) :
Dans cette 1re partie, sont discutés les résultats de l’étude EMPEROR-Reduced et leur impact sur la pratique. Les anti-SGLT2 ne sont plus seulement des médicaments qui préviennent ou traitent l’insuffisance cardiaque chez les diabétiques, ils deviennent un traitement de l’insuffisance cardiaque, indépendamment du diabète, selon le Pr Steg. « Cela devient, pour nous cardiologues, nos médicaments ». Alors que se pose la question de l’implémentation de ces nouvelles thérapeutiques et de la polymédication chez les patients avec des comorbidités, désormais « cette gestion est à apprendre, collectivement, par tout le corps médical ».
Voir la 2e partie - étude REALITY : stratégies de transfusion après un IAM
Voir la 3e partie - l’essai BRACE CORONA : effets des IEC/ARA2 chez les patients COVID-19
TRANSCRIPTION
Michel Zeitouni — Bonjour à tous, j’ai le plaisir d’être avec le Pr Gabriel Steg, chef de service en cardiologie à l’hôpital Bichat et chercheur au sein du groupe FACT, pour l’interroger sur les nouveautés et les grandes études de l'ESC 2020.
L’étude qui a marqué, et d’ailleurs quasiment inauguré, le congrès est EMPEROR-Reduced, qui a évalué l’empagliflozine chez les patients avec une insuffisance cardiaque. Ces patients devaient avoir une dysfonction du ventricule gauche (VG) à 40 % et une insuffisance cardiaque chronique avec un stade NYHA 2 à 4. Pr Steg, pouvez-vous nous parler des résultats de cette étude, de son critère de jugement et de l’impact que cela va avoir sur les pratiques ?
Gabriel Steg — C’est une étude dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée assez classique, puisqu’elle a inclus près de 4000 patients qui ont une fraction d’éjection de 40 % ou moins, qui ont de l’insuffisance cardiaque documentée et le critère de jugement est la combinaison des décès cardiovasculaires et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, ce qui est un critère pertinent et assez classique dans le domaine, puisque c’est finalement ce qu’on veut éviter : les décès cardiovasculaires. On sait que les patients insuffisants cardiaques sont très souvent ré-hospitalisés, ils ont un grand nombre d’hospitalisations, et c’est certainement un autre objectif important que de réduire leur taux d’hospitalisation. On observe, dans EMPEROR-Reduced, un effet très clair de l’empagliflozine qui réduit de 25 % ce taux d’événements. Ce qui est très important, c’est que ce bénéfice est obtenu autant chez les patients sans diabète que chez les patients diabétiques. Donc on confirme des résultats qui avaient déjà été observés l’année dernière [dans l’étude DAPA-HF] avec un autre médicament de la même classe, la dapagliflozine. Les inhibiteurs de SGLT2 ne sont pas seulement des médicaments qui abaissent la glycémie — d’ailleurs ils l’abaissent de façon assez modeste — ce ne sont pas seulement des médicaments qui préviennent ou traitent l’insuffisance cardiaque chez les diabétiques, mais ils deviennent maintenant des médicaments de l’insuffisance cardiaque, indépendamment du diabète. Et je pense que c’est vraiment, sur le plan conceptuel, l’aspect le plus important. Ce qui veut dire que nous, cardiologues, devons vraiment nous intéresser à cette classe de médicaments. Cela devient nos médicaments, je dirais presque que c’est plus des médicaments du cardiologue que du diabétologue. Ceci est vraiment important.
L’autre élément qui est important est que les taux d’hospitalisation sont réduits, la mortalité n’est pas clairement réduite, et enfin on observe que la fonction rénale est mieux préservée dans le groupe empagliflozine que dans le groupe sans empagliflozine. Mais c’est quelque chose qu’on suspectait déjà de toutes les autres études, à la fois avec l’empagliflozine dans le diabète et avec la classe chez les patients similaires. Donc on a encore une nouvelle étude positive avec les inhibiteurs de SGLT2, mais cette fois-ci chez les insuffisants cardiaques, même s’ils ne sont pas diabétiques. Je pense que cela va absolument changer la pratique. Cette étude et DAPA-HF vont vraiment être un progrès décisif.
Un autre élément qu’il faut rajouter : ce qui a été présenté, c’est EMPEROR-Reduced. Pourquoi cela s’appelle EMPEROR-Reduced ? Parce qu’il y a une autre étude, qui est EMPEROR-Preserved, et qui bien sûr s’intéresse au même traitement chez les patients avec une insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée, pour lesquels je rappelle qu’aujourd’hui nous n’avons pas de traitement qui ait une preuve sans équivoque d’un bénéfice. Il y a des données intéressantes, mais pas complètement convaincantes, avec les minéralocorticoïdes, avec le sacubitril/valsartan, mais PARAGON-HF, comme les autres essais, n’a pas été techniquement un essai positif, et on n’a donc toujours pas de traitement. Et si cette classe médicamenteuse pouvait apporter un bénéfice aux insuffisants cardiaques à fonction systolique préservée, ce serait également un élément extrêmement important.
Michel Zeitouni — En effet, il y a de plus en plus de preuves qui s’accumulent sur le bénéfice des inhibiteurs des SGLT2 chez ces patients insuffisants cardiaques, notamment avec l’étude DAPA-HF que vous avez mentionnée, et en plus sur leur effet rénal. Quand on met un peu en contexte les deux études, on voit, et c’est ce qui a aussi été discuté, que les patients de EMPEROR-Reduced étaient un peu plus graves que ceux de DAPA-HF, avec une moyenne de FEVG de 25 %, une classe NYHA 3 plus fréquente, On a donc vraiment des patients graves dans ces essais. Ce sont quasiment les patients de la pratique clinique, quand on regarde les baseline caracteristics.
Gabriel Steg — Oui. Ce qui est intéressant, c’est qu’on a eu toute une série de progrès vraiment importants dans le traitement pharmacologique de l’insuffisance cardiaque ces dernières années et c’est étonnant de continuer à gagner encore. C’est-à-dire qu’on a gagné, on gagne, et on gagne encore. Finalement, quand on empile les classes, on voit que les bêtabloquants sont évidemment efficaces, que les bloqueurs du système rénine-angiotensine sont efficaces, que les antagonistes du recepteur des minéralocorticoïdes sont efficaces, que le sacubirtil/valsartan est efficace, et maintenant les inhibiteurs de SGLT2… Et on continue à avoir des effets qui sont des effets substantiels. Donc on progresse vraiment de façon majeure dans le traitement pharmacologique de l’insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée. Il nous reste à progresser dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée, probablement d’ailleurs, en partie, en la démembrant. Parce qu’il est probable — et je pense que maintenant il y a quasiment un consensus là-dessus — qu’une des raisons des échecs du passé, est que cela n’est pas une entité unique et univoque, et qu’il faut probablement séparer, dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée, les différents mécanismes physiopathologiques qui sont à l’œuvre pour pouvoir mieux identifier les traitements qui marcheront demain, pour pouvoir également améliorer ce type de patients.
Michel Zeitouni — Pour rebondir sur ce que vous avez dit sur les classes médicamenteuses, on a une étude de sous-groupes très intéressante qui montre que l’empagliflozine a marché chez des patients qui étaient traités déjà par Entresto [sacubitril, valsartan] — il y a un effet consistant. La question que les cliniciens vont se poser maintenant est : « par quelle classe de médicaments je commence à traiter un patient qui vient d’être diagnostiqué avec une insuffisance cardiaque ? », il va y avoir plusieurs réponses. Avez-vous une opinion sur le sujet ? Faut-il commencer rapidement, dans les six semaines, à tout introduire, ou faut-il être plutôt progressif ?
Gabriel Steg — Tout d’abord, l’observation est extrêmement importante. C’est-à-dire que, premièrement c’est fromage et dessert, et non pas fromage ou dessert. Deuxièmement, cela crée évidemment un défi pour les cliniciens et les patients, qui est d’arriver à implémenter tous ces traitements. Cela fait beaucoup, on sait bien qu’on ne peut pas, du jour au lendemain, en une consultation et a fortiori même en une hospitalisation, dire « voilà, vous avez une insuffisance cardiaque, donc on va vous donner du jour au lendemain des bêtabloquants, des IEC, de l’aldactone etc. » On voit bien le défi en termes d’organisation de la prise en charge et donc toute l’importance des heart failure clinics et du suivi ambulatoire de ces patients, de la titration, de l’adhérence, puisqu’il y a une vraie polypharmacie, une polymédicamentation de ces patients. Il ne faut pas oublier que ces traitements d’insuffisance cardiaque se surajoutent aux autres médicaments que ne manquent pas de prendre ces patients. Si on pense à des diabétiques hypertendus, on imagine très bien, très rapidement, la longueur considérable de l’ordonnance et les problèmes que cela pose sur le plan des interactions médicamenteuses, de l’adhérence au traitement, des effets secondaires, etc. C’est donc un vrai défi. Maintenant, est-ce que demain je commencerais plutôt par des inhibiteurs de SGLT2 ou par du sacubitril/valsartan ? Si, concrètement, on me pose la question, j’aurais plutôt tendance à commencer par le sacubitril/valsartan, tout simplement parce que c’est comme ça que ça s’est passé dans l’essai. C’est-à-dire que dans EMPEROR, les patients qui devaient avoir du sacubitril/valsartan, l’ont eu plutôt avant, et on a rajouté les inhibiteurs de SGLT2. Donc cela paraît plutôt logique de faire ce qui a été fait dans l’essai, puisqu’au moins on est sûr que dans ces conditions-là, ça marche.
Michel Zeitouni — Oui. On a un effet additif. Je pense que c’est un message très important que vous nous donnez pour les praticiens (c’est entrée-plat-dessert), il faut mettre au maximum les classes médicamenteuses, plutôt que d’en choisir une par rapport à l’autre, et respecter ce qui a été fait dans l’essai clinique, c’est-à-dire les classes qu’on connaît le mieux au début, puis les inhibiteurs du SGLT2 après le sacubitril/valsartan, si jamais il est bien toléré.
Gabriel Steg — Si je puis me permettre, il y a aussi un élément très important : cela veut dire qu’il faut que nous nous appropriions collectivement toutes ces classes thérapeutiques, ce qui n’est pas simple parce qu’il y a beaucoup de nouveautés, beaucoup d’interactions, beaucoup d’effets secondaires. Il faut donc que nous nous les appropriions. Quand je dis « nous », c’est le corps médical et les soignants au sens large. Cela va bien au-delà de la cardiologie et de la diabétologie. Les médecins généralistes, qui sont nos correspondants réguliers de ces patients, qui les revoient entre nos consultations, ont besoin de connaître également ces classes thérapeutiques et de savoir comment les surveiller, comment les titrer, comment augmenter ou diminuer la dose, que faire si la tension artérielle est basse, ou s’il y a une acidocétose. Enfin, toute cette gestion est à apprendre collectivement par le corps médical et c’est un élément extrêmement important d’éducation qu’il va falloir faire de nous-mêmes, dans les mois et les années qui viennent, pour que tout le monde sache manipuler ces classes médicamenteuses.
Michel Zeitouni — Ce sont vraiment de bonnes nouvelles pour les insuffisants cardiaques, on espère. Est-ce qu’on a une idée de la disponibilité de ces médicaments dans les hôpitaux français ?
Gabriel Steg — Non. On n’a pas d’idée. Vous le savez, le processus d’approbation en Europe est lent et le processus de remboursement en France est encore plus lent et plus aléatoire, et ce n’est pas parce qu’un essai est positif que le médicament sera nécessairement approuvé ou remboursé. Donc il faut laisser à la grande sagacité des agences et des comités qui sont chargés de le faire, le temps de métaboliser tout cela et de rendre leurs avis. Nous avons eu beaucoup de déceptions dans la restriction à l’accès aux inhibiteurs de SGLT2 dans le passé — j’espère qu’à l’avenir on aura un accès plus rapide à cette classe médicamenteuse dont on se rend compte que, finalement, c’est une classe qui est extrêmement utile, peut-être plus encore en cardiologie qu’en diabétologie et qui, finalement, semble avoir assez peu d’effets secondaires avec des bénéfices vraiment marquants. Donc cela serait important et utile, je crois, que les patients aient accès rapidement à cette classe thérapeutique, mais cela n’est pas entre nos mains.
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Discussion enregistrée le 1er septembre 2020
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Citer cet article: Anti-SGLT2 dans l’insuffisance cardiaque: quel impact sur la pratique? - Medscape - 3 sept 2020.
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