POINT DE VUE

Le pneumologue et la corticothérapie : « je t'aime, moi non plus ! »

Dr Colas Tcherakian

Auteurs et déclarations

24 septembre 2020

Comme la plupart des grands rendez-vous médicaux en 2020, le congrès de l’European Respiratory Society (ERS) s’est déroulé en virtuel. Que fallait-il en retenir ? Pour le Dr Colas Tcherakian, pneumologue à l’hôpital Foch, les débats sur l’utilisation de la corticothérapie font encore l’actualité, que ce soit dans la BPCO, la polypose naso-sinusienne ou les pneumopathies. Une relation pneumologue-corticoïdes qu’il qualifie de type «  je t'aime, moi non plus! »

TRANSCRIPTION

Avantages et inconvénients des congrès virtuels

L’ERS est un volumineux congrès qui regroupe plusieurs milliers de pneumologues et cette année, grande première, en raison évidemment de l’épidémie de COVID, il avait lieu de façon entièrement virtuelle. Est-ce qu’on aime ou pas la virtualité ? C’est un débat compliqué. L’intérêt du virtuel est évidemment les coûts — vous ne vous déplacez pas, quel que soit l’endroit où se déroule le congrès. L’inconvénient est que souvent, comme vous ne vous déplacez pas, vous gardez votre agenda professionnel rempli et vous essayez de jongler. Et à la place de regarder Netflix, le soir, vous regardez les replays, car c’est le grand intérêt — vous pouvez voir et revoir les sessions qui vous intéressent. D’ailleurs cela n’en finit pas : avant vous ne pouviez pas être à deux endroits différents — maintenant, vous le pouvez et les sessions peuvent se revoir. Et c’est un vrai problème, car le congrès est immense et on peut passer toute l’année à revoir les sessions.

Pneumologue et corticothérapie : je t'aime moi non plus!

Qu’est-ce qui m’a semblé pertinent lors de cet ERS 2020 ? Une des choses qui m’a le plus marqué, c’est la relation du pneumologue aux corticoïdes, avec cette relation « je t’aime, moi non plus. » Et il y a eu beaucoup d’éléments centrés sur « corticoïdes, est-ce que je les retire ? »  Ou « corticoïdes, est-ce que je les remets ? » Et c’est assez frappant, en particulier dans la BPCO.

BPCO : US vs Europe

Vous savez que dans la BCPO, la corticothérapie inhalée fait débat depuis des dizaines d’années. Faut-il en mettre ? Ne faut-il pas en mettre ? [1] L’American Thoracic Society (ATS) et les Américains s’étaient prononcés plutôt en faveur d’introduire une corticothérapie inhalée et ils avaient fait apparaître un élément important qui était l’éosinophilie sanguine dans le choix d’une corticothérapie inhalée dans la BPCO. Pourquoi ? Essentiellement parce que la présence d’une éosinophilie sanguine est liée, au moins en partie, à la présence d’une éosinophilie bronchique et elle est un bon témoin d’une réponse positive à la corticothérapie inhalée. Les Européens ont fait à peu près l’inverse — c’est-à-dire qu’ils ont fait des recommandations pour retirer les corticoïdes et en particulier pour les patients ayant une BPCO, mais cette fois-ci, à partir du moment où il n’y avait pas d’asthme associé, plutôt pour retirer les corticoïdes chez les patients avec moins de 300 éosinophiles, sous réserve que cela ne soit pas des exacerbateurs fréquents. Donc vous voyez deux philosophies : plutôt une philosophie d’introduction de la corticothérapie inhalée chez les patients avec plus de 150 éosinophiles chez les Américains, et celle des Européens avec plutôt l’envie de retirer cette corticothérapie dans la prise en charge de la BPCO, à partir du moment où les éosinophiles sont à moins de 300 et que le patient n’est pas multiexacerbateur. S’il est multiexacerbateur, ils concluent qu’aujourd’hui on ne peut pas donner de décision claire et que c’est à traiter au cas par cas. Ensuite, clairement, pour les patients ayant moins de 300 éosinophiles non exacerbateurs, il y a une vraie volonté d’arrêter la corticothérapie inhalée, ce qui, au vu des études disponibles, semble tout à fait rationnel.

La corticothérapie dans la polypose naso-sinusienne

Les pneumologues s’intéressent évidemment à l’asthme sévère et un profil assez particulier de patient montre une association avec la polypose naso-sinusienne (dans la triade de Vidal, cela constitue les deux caractéristiques, avec la troisième partie qui est l’allergie à l’aspirine, en tout cas l’intolérance aux anti-inflammatoires). Cette polypose naso-sinusienne, lorsqu’elle est associée à un asthme, rend l’asthme avec un certain nombre de caractéristiques, car souvent il y a une éosinophilie associée. Et la polypose naso-sinusienne est un vrai problème en soi — les pneumologues qui en ont l’habitude savent que quand un asthmatique sévère a une polypose naso-sinusienne, il vous parle plus de son nez que de ces bronches, en consultation.

Aujourd’hui [2,3] les biothérapies ont montré, pour la plupart d’entre elles (c’est-à-dire finalement les anti-IL4/IL13, les anti-IL5 et les anti-IgE), une capacité de traitement de ces polyposes naso-sinusiennes, avant et après chirurgie, qui est tout à fait remarquable sur la qualité de vie et l’obstruction nasale. Et maintenant la question est : « va-t-on pouvoir remplacer les cures de corticoïdes répétées que ces patients reçoivent pour leurs polyposes naso-sinusiennes par un traitement par biothérapie, alors même qu’il n’y a pas d’asthme associé ? » L’avenir nous le dira. Aujourd’hui, évidemment, le coût est l’élément majeur à mettre en balance avec la qualité de vie, ce qui est un peu différent de l’asthme, où la biothérapie a montré une capacité à limiter les exacerbations, et donc à avoir un bénéfice sur le coût de l’hospitalisation associée, qui fait que la biothérapie avait un sens économique. Là, c’est plus un sens sur la qualité de vie et sur les risques associés à la prise de corticoïdes répétée. Gageons que les biothérapies auront leur place. En tout cas, quand la polypose naso-sinusienne et associée à un asthme sévère, c’est déjà le cas.

Corticoïdes et pneumopathies

Les études ont été multiples pour essayer de montrer qu’il y avait un bénéfice à la corticothérapie au cours des pneumopathies infectieuses, avec plusieurs publications.  L’ERS présentait une nouvelle publication montrant qu’on peut raccourcir la durée d’hospitalisation et le risque de passage en réanimation à l’aide d’une corticothérapie orale appropriée, et finalement ces corticoïdes, encore une fois, alors que nous avons maintenant beaucoup de thérapies ciblées, restent un élément essentiel de la prise en charge de beaucoup de pathologies. [4,5] On l’a vu récemment dans la COVID-19 avec la capacité d’une corticothérapie utilisée au bon moment qui permet d'éviter le passage en réanimation pour un certain nombre de patients oxygénodépendants et un sevrage plus rapide avec une baisse de mortalité.

Donc les pneumologues ne sont pas près de se débarrasser de la corticothérapie, qui reste souvent le gold standard auquel les autres thérapies se comparent. J’espère évidemment qu’un jour nous pourrons voir disparaître cette corticothérapie aux effets, hélas, délétères autant que bénéfiques, pour des thérapies plus ciblées. Et c’est l’ERS 2021 qui nous dira si les traitements plus ciblés ont une place dans les pathologies respiratoires.

J’espère que j’aurai l’occasion de vous retrouver pour de nouveaux commentaires à l’aune de 2021 pour un congrès que j’imagine difficilement maintenan, autrement que virtuel, en tout cas pour les années qui à venir.

 

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