Vaccin russe : les scientifiques plus que sceptiques

Kate Kelland

14 août 2020

Londres (Reuters) -- La Russie a annoncé le mardi 11 août l'autorisation de mise sur le marché d'un vaccin anti-Covid 19 (voir encadré) seulement deux mois après le début des tests sur l'homme. Les experts de santé publique s'en inquiètent, considérant que sans donnée issue d'un essai clinique il est difficile de « faire confiance » à ce vaccin.

Une des filles de Vladimir Poutine vaccinée

Dans la course mondiale pour le développement d'un vaccin qui arrêterait la pandémie, la Russie n'a pas mené d'essais cliniques à large échelle avec des données prouvant l'efficacité de ce vaccin, ce qu'immunologistes et infectiologues considèrent comme une conduite « inconsidérée ».

« La Russie mène essentiellement une expérimentation à large échelle » explique Ayfer Ali, spécialiste du développement des médicaments à la Britain's Warwick Business School (Coventry, Royaume-Uni).

Elle rappelle qu'avec une telle rapidité de mise sur le marché de ce vaccin, certains effets indésirables n'ont peut-être pas tous été répertoriés. Même rares, ils pourraient être graves, prévient-elle.

Le Président russe Vladimir Poutine, quant à lui, a indiqué que ce vaccin développé par Moscow's Gamaleya Institute était sûr et qu'il avait d'ailleurs fait vacciner une de ses filles.

« Je sais qu'il marche assez efficacement, qu'il confère une immunité importante et, je le répète, il a passé avec succès toutes les étapes nécessaires » a-t-il expliqué à la télévision d'Etat.

« Décision idiote et inconsidérée »

Le Pr François Balloux (University College London's Genetics Institute, Royaume-Uni) considère qu'il s'agit d'une « décision idiote et inconsidérée ».

« La vaccination de masse avec un vaccin qui n'a pas été testé correctement n'est pas éthique » a-t-il dit. « Un problème quelconque avec la campagne de vaccination russe serait désastreux tant au niveau des effets négatifs sur la santé que sur l'effet sur la population avec un recul de l'acceptation des vaccins (Lire Rejet croissant du concept de vaccination contre le SARS-Cov-2) »

Ses commentaires ont été repris par le Pr Danny Altmann (Imperial College London, Royaume-Uni) qui craint les « dommages collatéraux » d'un déploiement d'un vaccin qui n'a pas encore prouvé sa sécurité et son efficacité. Cela « pourrait exacerber nos problèmes actuels de façon insurmontable ».

Même si la Russie a crié victoire, plus d'une demi-douzaine d'industriels de par le monde sont en train de mener des essais cliniques à large échelle avec de potentiels vaccins anti-covid expérimentant à chaque fois sur des dizaines de milliers de participants.

Plusieurs de ces chefs de file, parmi lesquels on retrouve Moderna, Pfizer et AstraZeneca, espèrent en savoir plus sur l'efficacité et la sécurité de leur vaccin d'ici la fin de l'année.

Tous prévoient de publier les résultats de leurs essais et les données de sécurité et de les soumettre aux autorités réglementaires américaines ou encore européennes pour évaluation.

Le vaccin russe a été autorisé par le ministère de la Santé avant la réalisation d'essais cliniques qui auraient normalement dû inclure des milliers de participants comme toute phase III d'une étude. De tels essais sont considérés comme des passages obligés pour les vaccins avant d'obtenir une autorisation.

Manque de données

Le Pr Peter Kremsner (Université de Tübingen, Allemagne), impliqué dans des essais cliniques du vaccin dévelopé par CureVac, regrette la décision russe qu'il juge aussi « inconsidérée ».

« Habituellement vous avez besoin de tester un grand nombre d'individus avant l'autorisation d'un vaccin » explique-t-il. « Je pense que c'est inconsidéré de le faire sans que beaucoup de gens aient été testés préalablement ».

Différents experts indiquent que le manque de données publiées sur le vaccin russe – notamment sa composition, des détails sur sa sécurité et la réponse immunitaire induite et savoir s’il peut en effet prévenir l'infection par le Sars-CoV-2 – laisse scientifiques, autorités de santé et population dans l'ignorance.

« C'est impossible de savoir si le vaccin russe a montré une efficacité sans la soumission d'articles scientifiques pour analyse » a rappelé le Pr Keith Neal (Nottingham University, Royaume-Uni).

Ce que l'on sait du vaccin russe

Commercialisé sous l'appellation Spoutnik V en référence au premier satellite russe, le vaccin « Gam-Covid-Vac » est un vaccin à visée préventive qui nécessite deux injections intramusculaires. Il est composé de deux vecteurs adénoviraux (adénovirus de type 26 et de type 5) transportant le gène codant la protéine de surface S du SARS-CoV-2. D'après Courrier International qui tient ses informations du journal russe Vedomosti, la vaccination concernerait très rapidement « les personnes appartenant au groupe à risque, soit les personnels soignants, les enseignants et les personnes âgées. Puis, à compter du mois d’octobre, tous les citoyens le souhaitant. La vaccination sera gratuite ». Reste que ce vaccin n'a pas été testé sur les personnes âgées, le groupe le plus à risque, nous apprend l'hebdomadaire. MC

L’article a été publié initialement par Medscape.com  sous l’intitulé « Scientists Ask: Without Trial Data, How Can We Trust Russia's COVID Vaccine? ».  Traduit/adapté/complété par Marine Cygler.

 

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