Pénuries de médicaments : les médecins se plaignent, la relocalisation tarde à se mettre en place

Philippe Anaton

13 août 2020

France -- Un collectif de soignants et de médecins dénonce des pénuries de médicaments. Les pouvoirs publics peinent à trouver la réponse adéquate à ce problème récurrent.

Aura-t-on de l’Augmentin injectable cet hiver ?

Ça a débuté par un coup de gueule d'un médecin des Hauts de France, insatisfait des résultats du Ségur de la santé. « On s'est encore fait avoir », s'est alors dit le Dr Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur dans une policlinique à Henin-Beaumont (62). En l'espace de quelques jours, après avoir mis en ligne un post viral sur Facebook, le Dr Arnaud Chiche crée le groupe Collectif santé en danger début août, dont l'objectif principal reste la réouverture de négociations sur l'avenir de l'hôpital. Fort de plus de 80 000 membres, le groupe Collectif santé en danger s'est aussi mis en tête de dénoncer les pénuries de médicaments, de dispositifs médicaux, d'équipements de protection individuels (EPI)... Dans un post, mis en ligne le 7 aout dernier, le collectif fait un bilan catastrophique de la situation en France : « Ruptures de médicaments en France, rupture d’approvisionnement de matériels de protection, On aura l’Augmentin injectable cet hiver ou pas les gars ? Mais on demande juste, tous les pays sont concernés ? Ou juste la France ? »

Dispositifs en tension ou en rupture de stock : la liste est longue

Suite à ce premier post, les membres du Collectif ont listé un par un les médicaments et dispositifs en tension ou en rupture de stock. Et la liste est longue. Les vaccins contre l'hépatite B et le RoR sont régulièrement en rupture de stock. En médecine de ville, dénonce un autre membre du Collectif, ce sont les gants qui sont en tension chez les fournisseurs. Résultat : les professionnels de santé (infirmiers avant tout), vont se fournir... au supermarché. Une sage-femme évoque pour sa part une pénurie, depuis plusieurs mois, de kits de retraits d'implants, ce qui la contraint à stériliser « des pinces à usage unique quand le retrait ne peut se faire sans pince ». Le médicament pour la contraception d'urgence ellaOne® est également en tension, tout comme le médicament Alyostal®, pour le « traitement par immunothérapie allergénique des sujets allergiques au venin de guêpe ». Aussi l'antidépresseur myansérine semble être en tension depuis plusieurs années. L'antiépileptique Ritrovil® manque aussi en certains endroits, sans oublier le gel hydro-alcoolique qui fait encore défaut dans de nombreux établissements de santé et cabinets de ville.

La Chine et l’Inde produisent 60% du paracétamol, 90% de la pénicilline et 50% de l’ibuprofène dans le monde.

80% des ingrédients pharmaceutiques actifs en provenance de l’Inde ou de la Chine

Cette pénurie de médicaments n'est pas uniquement française : en Belgique, témoigne un soignant, les tensions sont identiques ! En Europe, la problématique se répète. À tel point que l'Union européenne a proposé, mi-juillet, un plan de relance de la production de médicaments, pour contrer ces pénuries récurrentes. Ce plan fait suite à la publication d'un rapport de la commission de l'environnement sur les pénuries de médicaments. Inutile de dire que, pour la commission, la crise de l'épidémie de Covid-19 a joué le rôle d'un révélateur. Dans ce rapport paru mi-juillet et intitulé « COVID-19: l’UE doit redoubler d’efforts pour contrer la pénurie de médicaments », la commission s'est donc penchée sur les causes de cette pénurie, qui ont augmenté par 20 entre 2000 et 2018. « Les raisons derrière ce manque sont complexes : problèmes de fabrication, quotas industriels, marché de vente parallèle, hausse inattendue de la demande ou encore la fixation des prix décidés au niveau national », écrit-elle. Surtout, l'Union européenne dépend de plus en plus de pays tiers pour la production d'ingrédients pharmaceutiques actifs. À titre d'exemple, la commission rappelle que « 80% des IPA (ingrédients pharmaceutiques actifs) proviennent de l’Inde ou de la Chine ; 40% des médicaments finis vendus en Europe proviennent de l’Inde ou de la Chine. La Chine et l’Inde produisent 60% du paracétamol, 90% de la pénicilline et 50% de l’ibuprofène dans le monde ».

Retour à l’indépendance de l’UE

Pour remédier à cela, la commission de l'environnement (Envi) propose trois actions prioritaires : « Un retour à l’indépendance de l’UE pour assurer la disponibilité de médicaments et de matériel médical ; Une meilleure coordination au niveau de l’UE pour compléter les mesures nationales afin de garantir l’accès à des services abordables et de qualité ; Une meilleure coordination entre les pays de l'UE ». Envi propose pour étayer ses propositions un plan d'actions : « Identifier les sites potentiels dans l’UE pour une production pharmaceutique, en donnant la priorité aux médicaments essentiels et stratégiques ; Instaurer des incitations financières pour encourager les producteurs à s’installer en Europe ; Créer une « réserve pour imprévus » au niveau de l’UE, qui servira de « pharmacie d’urgence européenne » et réduira le risque de pénuries ; Échanges de bonnes pratiques sur la gestion des réserves, garantir la transparence et une distribution juste ; Utiliser de nouveaux outils numériques pour partager les données sur les pénuries ; Favoriser la circulation de médicaments entre États membres ; Soutenir les investissements dans la recherche. »

Actions à l’échelle nationale

À l'échelle nationale, on s'active également. L'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) signale couramment des ruptures d'approvisionnement de médicaments, comme par exemple le 6 juillet dernier, où l'on constatait des tensions d'approvisionnement sur les stylos d'adrénaline : « Avec @AFPRAL nous demandons aux patients de conserver leurs stylos jusqu’à leur date de péremption avant de les renouveler. La situation devrait s’améliorer fin 2020. »

Côté législation, la loi de modernisation de notre système de santé, adoptée en 2016, obligeait les industriels à constituer des réserves de médicaments « d'intérêt thérapeutique majeur », et interdisait leur exportation en cas de rupture de stock.

Plus récemment la loi de transformation de notre système de santé, publiée le 24 juillet 2019, renforçait encore la lutte contre les ruptures de médicaments. « En cas de pénurie d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), le pharmacien d’officine pourra remplacer le médicament indisponible initialement prescrit, par un autre médicament conformément à la recommandation établie par l’ANSM », édictait alors le ministère de la santé. D'autres actions étaient envisagées, comme « l’adaptation des procédures d’achat de façon à sécuriser l’approvisionnement en médicaments avec notamment une extension du recours aux appels d’offres avec plusieurs attributaires », l'achat groupé de vaccins, etc.

Relocaliser la production de paracétamol d'ici trois ans

Force est de constater que l'ensemble de ces actions n'ont pas permis de lutter contre les pénuries qui se sont fait jour à l'issue de la crise de Covid-19. Alors, contraint et forcé, le pouvoir a bien dû proposer une réforme industrielle en vue de la relocalisation des industries du médicament, en France et en Europe. Le 18 juin dernier, le ministère de l'économie a annoncé les premières lignes de son plan de relocalisation des industries du médicament. « Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) doté de 120 millions d’euros par le Programme d'investissement d'avenir est publié le 18 juin pour identifier les projets d’investissements qui permettront de faire croître très rapidement la production de médicaments impliqués dans la prise en charge des patients atteints de la COVID-19 », annonçait le gouvernement.

Aussi, dans un premier temps, il est prévu de relocaliser la production de paracétamol d'ici trois ans. Mais ce projet de relocalisation, pour qu'il devienne réellement significatif, nécessitera plusieurs années. D'ici là, les soignants et les médecins devront faire face à des pénuries récurrentes de médicaments.

 

 

 

 

 

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