France -- Le ou les vaccins potentiels susceptibles de protéger la population contre le SARS-CoV-2 ne sont pas encore connus que les experts travaillent déjà à l’élaboration d’une stratégie vaccinale afin de savoir « qui vacciner et comment » dès qu’un tel outil prophylactique sera disponible. Afin d’établir les grandes lignes d’une stratégie vaccinale pour la France, un groupe mixte multidisciplinaire constitué de membres du Comité Analyse Recherche Expertise (CARE) COVID-19, du Comité scientifique vaccins COVID-19 et du Conseil scientifique COVID-19 a été mis en place. [1]. Il a défini notamment les populations à cibler en priorité – parmi lesquelles les professionnels de santé arrivent en première position.
Définir les populations à vacciner est une chose, convaincre les populations de se faire vacciner en est une autre, étant donné les réticences à la vaccination en France – qui avaient été très marquées lors de l’épisode de grippe A (H1N1) et auquel le nouveau coronavirus, SARS-CoV-2 n’échappe pas. Le comité d’experts en est d’ailleurs conscient : « dans un contexte de défiance et en présence d’enjeux industriels, la vaccination se prête aux controverses publiques voire au conspirationnisme, écrit-il. Afin de ne pas renouveler l’échec de la vaccination anti-grippale de 2009, un ensemble de propositions relatives à la communication et à la transparence, ainsi qu’une démarche participative associant des citoyens sont ici développées ».
Fixer la doctrine de la vaccination en amont de la découverte du vaccin
Au niveau mondial, la pandémie continue de se diffuser de façon très large aux Etats-Unis, en Amérique Centrale, du Sud, en Afrique du Sud et en Inde, alors que des clusters de taille importante font régulièrement surface chez nos voisins allemands, portugais et espagnol. Cela fait craindre une reprise de la pandémie en Europe, la fameuse deuxième vague devenant hautement probable avant la fin de l’année 2020. Néanmoins, une autre possibilité non exclusive est de plus en plus probable serait « que le virus s’installe de façon plus chronique dans le moyen terme » signale le Comité scientifique.
À l’issue de ce premier passage du virus, « l’immunité collective est évaluée à partir de données séro-épidémiologiques à un niveau faible dans les différents pays européens de l’ordre de 6 à 15% maximum » notent les experts. De fait, sachant qu’à ce jour aucun traitement antiviral direct efficace n’a été identifié alors que la recherche, à l’échelle mondiale, d’un vaccin anti COVID-19 est particulièrement active, les membres de ce comité scientifique mixte considère qu’il est « crucial que la France réfléchisse à une stratégie vaccinale qui fixe la doctrine de la vaccination, et ce, en amont de la disponibilité d’un vaccin potentiellement efficace ».
Une vingtaine de vaccins au stade de l’évaluation clinique chez l’homme
Un vaccin potentiellement efficace, oui mais lequel et quand ? « Certains vaccins pourraient recevoir une autorisation d’utilisation chez l’homme au cours du dernier trimestre de 2020, sur la base de données d’efficacité dans les essais de phase 3 chez l’homme ou à travers d’une procédure qui prendrait en compte une protection chez l’animal et des données de sécurité/immunogénicité du vaccin chez l’homme ».
Ces candidats vaccins utilisent plusieurs types de formulations : soit classiques de type vaccins inactivés, voire atténués, ou sous-unitaires, soit incorporant les gènes du virus SARS-CoV2 sous forme d’acides nucléiques nus (ADN) ou enrobés dans des nanoparticules (ARNm) ou de vecteurs viraux recombinants. Le développement de certains de ces vaccins est soutenu par le CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) et d’autres par les gouvernements. L’OMS a recensé au 31 juillet 2020 (https://www.who.int/publications/m/item/draft-landscape-of-covid-19-candidate-vaccines) plus de 130 vaccins au stade de l’évaluation préclinique et près d’une vingtaine de vaccins au stade de l’évaluation clinique chez l’homme.
Le gouvernement français négocie actuellement (en partenariat avec ses homologues européens) des contrats de réservation de vaccins (notamment avec AstraZeneca) dont on ne connait pas encore les caractéristiques. « Le nombre de vaccins qui sera finalement commandé est encore inconnu, mais on s’attend à avoir plusieurs dizaines de millions de doses de vaccins (potentiellement correspondant à 2-5 produits différents) disponibles entre le dernier trimestre de l’année 2020 et le premier trimestre de 2021, qui pourraient être déployées s’il survient une seconde vague de COVID-19 » indiquent les experts.
Obligatoire ou pas
Si un tel vaccin était mis au point, faudrait-il rendre la vaccination obligatoire ou laisser le choix à chacun de décider de ce qu’il veut pour lui-même ? Le comité d’experts opte pour la voie du milieu, jugeant d’un côté qu’ « une vaccination obligatoire n’est ni souhaitable ni envisageable », mais reconnaissant aussi qu’ « une stratégie de vaccination fondée sur des choix purement individuels peut manquer d’efficacité et se révéler injuste socialement ». De fait, il préconise de « mettre en œuvre une stratégie de vaccination organisée » en ciblant des populations prioritaires, « une composante cruciale de la stratégie vaccinale ».
Professions de santé, super prioritaires
Les populations considérées comme hyper prioritaires, en métropole et en Outre-Mer sont, d’abord et avant tout, les populations à risque d’exposition professionnelle, ce qui représente environ 6,8 millions personnes.
Figurent parmi eux, ceux classés comme à priorité très élevée, c’est-à-dire les personnels de santé, en commençant par les groupes les plus exposés (ex : urgences, infectiologie, pneumologie, SAMU, médecins généralistes et hospitaliers, SOS médecins, infirmiers, services de réanimation, dentistes, kinésithérapeutes, brancardiers, ambulanciers, personnel de radiologie, personnel de laboratoire…).
Suivent les personnels au contact de populations plus vulnérables (ex : EHPAD, auxiliaires de vie, personnels de santé de services prenant en charge les personnes fragiles : transplantation, gériatrie, ...)
Cette population à priorité très élevée concerne près de 1 800 000 de personnes, réparties comme suit : 230 000 médecins (libéraux et hospitaliers), 40 000 chirurgiens-dentistes, 75 000 pharmaciens, 22 000 sages-femmes, 100 000 étudiants, 700 000 infirmiers, 400 000 aides-soignants, 200 000 autres (masseurs-kiné, manipulateurs radio, psychomotriciens) et 20 000 personnels de laboratoire.
Viendraient ensuite des populations de nature diverse, et exposées de par leur emploi (caractéristiques de l’activité ou lieu d’exercice de l’activité) ou bien de par leur type d’hébergement. Soient les personnels au contact de la population (commerçants, guichets fonction publique, banques, enseignants, personnel hôtelier, restaurants, transports en commun, travailleurs/travailleuses du sexe). Mais aussi les personnels travaillant en milieux confinés à risque (35 000 ouvriers abattoirs, 60 000 chauffeurs de taxis/VTC), et les personnels ayant des conditions d’hébergement en milieu confiné (travailleurs migrants, sites de construction…).
Personnes âgées, souffrant de maladies chroniques ou en grande précarité
Sont considérées aussi en grande priorité les personnes à risque du fait de leur âge ou de leur état de santé aussi bien en métropole qu’en Outre-mer (environ 23 millions de personnes). Entrent dans cette catégorie, les personnes âgées de 65 ans et plus, « sous réserve d’un vaccin efficace chez les personnes âgées » précise le groupe de réflexion. En effet, « se posera dans tous les cas la question de l’immunisation des sujets âgés de plus de 75 ans chez lesquels il est vraisemblable qu’une faible réponse vaccinale sera obtenue et qu’il faudra couvrir par des mesures de protection barrières » précise-t-il.
Viennent s’y ajouter les personnes souffrant de pathologies chroniques (pathologies cardiovasculaires, hypertension, diabète) de moins de 65 ans, les 10 000 000 de personnes obèses qui compte la population française et celles souffrant de comorbidités.
Enfin, les 250 000 personnes vivant en situation de grande précarité (personnes sans domicile fixe, en centre d’hébergement d’urgence ou d’accueil des demandeurs d’asile) seraient elles aussi considérées comme parmi les plus prioritaires.
Prioritaires en second lieu
Viendraient ensuite cinq 5 millions de personnes environ dont le niveau de priorité serait moindre. Y figureraient celles vivant dans des départements et régions d’outre-mer (2 800 000 habitants), en cas de risque de pénurie de lits de réanimation (et au-delà des populations prioritaires déjà ciblées).
S’y ajouteraient les personnes vivant dans des établissements fermés à risque accru de transmission comme les prisons, les établissements pour personnes en situation de handicap, avec 500 000 places en établissement et les hôpitaux psychiatriques, avec 340 000 patients hospitalisés à temps complets mais aussi les personnels ayant un emploi stratégique (150 000 policiers, 200 000 sapeurs-pompiers volontaires, 40 000 sapeurs-pompiers pro et 200 000 militaires actifs, soit 600 000 personnes au total).
Les professionnels de soins de santé primaire, en première ligne pour vacciner
Une fois les populations cibles définies, resteraient à organiser la vaccination « au plus près des personnes concernées ». Là encore, les professionnels de soins de santé primaire que sont les spécialistes de médecine générale, les infirmier(e)s et les pharmaciens seraient en première ligne. Ils figureraient « parmi les acteurs à investir pour réussir une campagne de vaccination pertinente, efficiente et avec un haut niveau d’acceptabilité ». Les acteurs de la médecine du travail, de l’hôpital, et du monde médicosocial en établissement pourraient venir en renfort, sachant que la vaccination « ambulatoire » dans les cabinets médicaux, les services et accès aux vaccins à l’hôpital pour les personnes à risque seraient aussi à prévoir.
Bien sûr, pour être la plus effective possible, la vaccination devrait être entièrement prise en charge par la collectivité, c’est-à-dire « sans reste en charge, avec une couverture intégrale du coût par la CNAM ».
Vaincre les réticences
Restera une fois la mise au point du ou des vaccins effectuée et leur sécurité assurée, à convaincre la population de se faire vacciner. « Les réticences d’une partie des Français vis-à-vis de la vaccination est désormais installée, après diverses politiques de vaccination controversées, notamment en 1994 avec la vaccination contre l’hépatite B puis plus récemment avec la vaccination contre la grippe A(H1N1) qui a été l’objet d’intenses débats sur la sécurité du vaccin, avant même que la vaccination ne débute » se souvient le comité d’experts. « Des doutes ont émergé sur la sécurité du vaccin, jugé avoir été produit trop vite pour être sûr. Ces doutes sont confortés par divers phénomènes inhérents à la vaccination : des réponses immunitaires de faible ampleur chez certaines personnes vaccinées peuvent être la source d’inquiétudes ; des individus vaccinés peuvent ne pas être protégés, ce qui conduit à douter de l’efficacité du vaccin ; des accidents rares mais désastreux peuvent annihiler la confiance ». Pas question de réitérer les mêmes erreurs ou de considérer l’adhésion des Français comme acquise, il va falloir rétablir la confiance en faisant preuve de pédagogie et de transparence. Des questions qui « deviennent cruciales si la vaccination n’est plus seulement l’objet de stratégies volontaires, fondées sur le choix de chacun, mais de stratégies obligatoires, courantes pour les maladies infectieuses ».
« La communication, tout particulièrement, sera une des conditions de réussite de la campagne vaccinale. Elle doit être transparente sur les procédures ayant permis l’accélération de la mise sur le marché sans être au détriment de la sécurité, sur les incertitudes et les fondements scientifiques des recommandations » concluent les experts.
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Citer cet article: Vaccin anti SARS-CoV-2 : qui et comment faudra-t-il vacciner ? - Medscape - 11 août 2020.
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