COVID-19 : quel impact en hépatologie?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

14 août 2020

Paris, France -- Quel est l’impact de l’infection à Covid-19 sur la prise en charge des maladies chroniques du foie ? Au cours d’une session virtuelle des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (eJFHOD 2020) , le Pr Nathalie Ganne-Carrié (Hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis, AP-HP) a dressé un état des lieux, deux mois après le pic épidémique [1].

 
A force de vouloir protéger nos patients les plus fragiles, on a peut-être eu une attitude délétère pour certains d’entre eux
 

Alors que se termine la première phase de l’épidémie de Covid-19, « on commence à voir des patients arriver en consultation avec une décompensation hépatique, après être restés très longtemps à domicile, et donc avec des formes plus graves de la maladie. On rencontre aussi davantage d’hémorragies digestives et, a priori, plus de tumeurs du foie évoluées », a précisé la gastro-entérologue.

Un constat qui amène inévitablement à s’interroger sur la pertinence des mesures prises pendant l’épidémie, notamment pour éloigner le plus possible les patients des centres de soins. « A force de vouloir protéger nos patients les plus fragiles, on a peut-être eu une attitude délétère pour certains d’entre eux. On est désormais confrontés à des cas graves, avec des retards dans la prise en charge, voire des patients perdus de vue. »

Prises en charge différées

De récentes études sont récemment venues confirmer les répercussions potentiellement délétères du changement de prise en charge pendant le confinement. Menée dans six centres d’Ile-de France, une étude française, qui devraient être prochainement publiée, a ainsi montré que le nombre de nouveaux cas de CHC pris en charge est plus faible pendant les six premières semaines de la pandémie (n=104), comparativement à la même période de l’année précédente (n=145).

Dans cette étude, il n’est pas apparu de modification de la stratégie thérapeutique dans la prise en charge de ce cancer entre les deux périodes, mais les prises en charge différées de plus d’un mois étaient beaucoup plus fréquentes en début d’épidémie, par rapport à la même période de 2019 (21,5% contre 9,5%). « Pour le moment, le préjudice sur les patients en termes de survie n’est pas encore connu », a précisé le Pr Ganne-Carrié.

Aux Etats-Unis, une étude rétrospective a également rapporté une baisse des hospitalisations pour cirrhose pendant la période allant du 1er janvier au 31 avril 2020. « La diminution des hospitalisations pour cirrhose y apparait très significative par rapport à l’année précédente, tandis que les patients admis présentent une cirrhose beaucoup plus sévère », que ceux pris en charge pendant cette même période en 2019.

Surmortalité en cas de cirrhose

Si des mesures ont été prises pour limiter le risque d’infection chez les patients atteints de maladie hépatique chronique et plus particulièrement chez ceux avec cirrhose, c’est en raison du risque élevé pour ces patients de développer une forme sévère de Covid-19. Un sur-risque qui s’expliquerait notamment par l’altération de l’immunité antivirale associée à la cirrhose.

Les possibles répercussions de l’infection sur la fonction hépatique ont rapidement été documentées, après les retours d’expérience en Chine, qui ont révélé une hausse des transaminases chez 25 à 35% des patients infectés, généralement modérée (environ 23UI/L), a indiqué le Pr Ganne-Carrié. Les niveaux de transaminases sont plus élevés avec les cas symptomatiques, sévères ou nécessitant une prise en charge en réanimation.

 
une mortalité trois fois plus élevée en cas d’infection par le SARS-CoV-2 chez des ma-lades chroniques du foie
 

Depuis peu, deux importants registres permettent de mesurer plus précisément l’impact de l’infection chez ces patients. Le registre américain TriNEXT tout d’abord, qui rapporte une mortalité trois fois plus élevée en cas d’infection par le SARS-CoV-2 chez des malades chroniques du foie [2]. La surmortalité est encore supérieure chez les patients cirrhotiques, avec quasiment cinq fois plus de risque de décès après infection.

Récemment publiés, les résultats d’un deuxième registre, combinant les bases de données anglaise et américaine COVID-Hep.net et COVIDCirrhosis.org, montrent de leur côté un taux d’hospitalisation s’élevant à 95% chez les patients cirrhotiques infectés par le SARS-CoV2 [3].

Dans cette population, la mortalité est « extrêmement élevée », puisqu’elle atteint 40%, « un taux bien au-delà de ce qui est observé chez les patients COVID-19 sans maladie hépatique ou, avant la pandémie, chez les patients cirrhotiques infectés par le virus de la grippe  », souligne la gastro-entérologue.

Faire évoluer les recommandations

Comme pour la population générale, un âge avancé et la présence d’une obésité sont les deux principaux facteurs de risque de décès chez ces patients, auxquels s’ajoute le degré d’insuffisance hépatique. Selon le score de Child Pugh, utilisé pour évaluer le degré de sévérité de la cirrhose, la mortalité après infection par le SARS-CoV2 varie de 25% (Child Pugh A) à plus de 60% (Child Pugh C).

Compte tenu de ces observations, des sociétés savantes spécialisées en hépatologie ont rapidement émis des recommandations. L’Association française pour l’étude du foie (AFEF) a publié ses propositions de prise en charge, qui mettent en avant la téléconsultation pour les situations non urgentes et le parcours sécurisé pour les procédures programmées urgentes (parentèse, biopsie hépatique, traitement radiologique de CHC…).

« Ce ne sont pas des recommandations universelles. On s’est rapidement rendu compte qu’elles doivent être adaptées en fonction de la situation locale et de l’évolution de l’épidémie », a indiqué la gastro-entérologue, également secrétaire générale de l’AFEF. Dans cette période de post-confinement, « les propositions doivent être actualisées ».

La télémédecine reste à privilégier pour les consultations de suivi non urgentes chez les patients stables. Pour les patients se rendant au centre ou devant être hospitalisés, le parcours de soins sécurisé doit comprendre, en plus des mesures barrières habituelles,  un interrogatoire pour dépister les signes éventuels de Covid-19. Il est aussi recommandé d’effectuer un test PCR en cas de suspicion d’infection avant l’arrivée au centre.

Des décompensations liées au SARS-CoV2?

« Il existe des situations cliniques et notamment des décompensations, qui restent inexpliquées » et qui peuvent être liées à une infection par le SARS-CoV2, a souligné le Pr Ganne-Carrié. Lors d’une autre intervention des eJFHOD, le Dr Sabrina Sidali (CHU de Rouen) a affirmé, de son côté, qu’un test PCR pourrait être envisagé « devant toute nouvelle décompensation de maladie hépatique ».

Pour les patients nécessitant une hospitalisation, « il faut privilégier une admission sans passage par le service des urgences » pour éviter une contamination. « Il est aussi important que nos patients puissent bénéficier de chambres individuelles et de limiter au maximum le nombre de soignants impliqués dans la prise en charge ».

Pour conclure, le Pr Ganne-Carrié a évoqué la mise en place par l’AFEF du « registre COVID et foie » consacré aux patients atteints de maladie du foie et d’une infection virale par le SARS-CoV2. « Nous incitons à y inclure les patients concernés pour pouvoir mesurer l’impact de cette infection sur cette population ».

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