France – Dans un manifeste publié ces jours-ci, la fondation de coopération scientifique dédiée à la lutte contre les maladies mentales, FondaMental, prévient « nous allons devoir vivre avec le COVID » mais aussi avec « les conséquences de ce virus sur notre santé mentale ». En effet, « les peurs liées à la maladie, aux incertitudes pour l’emploi et l’inquiétude pour l’avenir seront durables» anticipe-t-elle. Dans cet appel à prendre en compte l’urgence psychiatrique, corolaire de l’urgence sanitaire, FondaMental attire l’attention sur « l’absolue nécessité de donner à la psychiatrie les moyens de faire face à l’inévitable accroissement du besoin de prise en charge » dont elle constate déjà les premiers effets et « d’être partie prenante de la réorganisation annoncée du système de soins ».
Nous avons demandé au Dr Anne Giersch, psychiatre, directrice de l’unité Inserm 1114 (CHU de Strasbourg) et membre de FondaMental, de préciser les conséquences sur la santé mentale de l’épidémie de COVID et du confinement qui justifient une prise de conscience généralisée et une action concertée dans le domaine psychiatrique.
Medscape édition française : Vous avez signé un Manifeste avec la Fondation FondaMental, à qui s’adresse-t-il ?
Dr Anne Giersch : Avant tout aux patients, on s’inquiète d’être prêt à pouvoir les accueillir dans le contexte de la survenue de troubles psychiatriques liés à l’épidémie. Il y a ce que l’on commence à voir et ce qu’on pouvait anticiper.
On parle d’une augmentation des consultations pour problèmes psychiatriques aux Urgences. Est-ce une réalité ?
Dr Anne Giersch : Oui, il ne s’agit pas juste d’un effet d’annonce et cet accroissement recouvre une réalité. Si on a assisté au début du confinement à un temps de sidération pendant lequel les taux de suicide ont baissé et les patients ne consultaient plus – comme cela s’est vu dans d’autres spécialités –, on voit arriver maintenant ces patients dans nos consultations. La spécificité en psychiatrie, c’est que tout stress et toute angoisse, et donc ceux notamment liés à l’épidémie, sont générateurs de problèmes psychiatriques. C’est ce qui fait qu’une personne vulnérable va franchir un seuil et déclencher des symptômes. Parmi les patients, il y a eu ceux que l’on pouvait continuer à suivre par télémédecine et ceux qui ont été perdus de vue (environ 10%), qui sont restés chez eux et dont les symptômes ont pu augmenter. Mais il y a aussi les sujets vulnérables, à haut risque de développer une psychose, ne se connaissant pas eux-mêmes cette vulnérabilité, et pour qui le retard à la consultation est véritablement problématique car une prise en charge précoce peut améliorer le diagnostic. C’est un problème récurrent mais le confinement et l’épidémie aggravent la situation.
Vivre avec « les conséquences de ce virus sur notre santé mentale» : qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Dr Anne Giersch : Il y a une question d’ordre biologique, à savoir est-ce que des infections virales chez les femmes enceintes vont avoir un impact chez les enfants nés ou à naître ? De même, l‘inflammation liée à l’infection a des effets dans de nombreuses pathologies, y compris en psychiatrie, que va-t-il en être ? On aura des réponses plus tard, mais dans l’immédiat, le plus évident, c’est le changement en tant que tel, auquel il faut qu’on s’adapte. Il y a bien sûr tous les gestes barrières (mettre le masque, etc.) à adopter, mais aussi tenir compte du fait que nos repères ont pu être modifiés, fragilisés et nos certitudes remises en cause. Ce n’est pas forcément négatif et peut être source de nouvelles idées, de nouveaux projets. Mais certains d’entre nous peuvent vivre mal ces changements, notamment les ados qui sont en train de se forger des repères, une identité. Face à ces bouleversements grandeur nature, ils ont pu être fragilisés, et ce d’autant, s’ils étaient déjà vulnérables.
Quelles pathologies peut-on voir apparaitre ?
Dr Anne Giersch : Quand quelqu’un perd son emploi et se demande comment il va vivre et faire vivre sa famille dans les années qui viennent, il est clair que la combinaison du stress et de sa nouvelle situation socio-économique est susceptible d’affecter le mental, l’image de soi. On peut alors assister à des dépressions réactionnelles et voir un individu, qui avait des fragilités, basculer dans la pathologie du fait de l’anxiété. On a vu apparaitre des syndromes de trouble panique, de l’anxiété généralisée associées ou non à des dépressions et un renforcement des phobies, notamment celles liées aux microbes. Si l’on a beaucoup entendu parler du syndrome post-traumatique (SPT), cela reste toutefois à vérifier dans la population générale. En plus de toutes ces pathologies, il faut ajouter les problèmes liés aux addictions. Certains ont moins consommé pendant le confinement, mais d’autres ont plongé. Il y a aussi e u des sevrages catastrophiques.
Et chez les soignants ?
Dr Anne Giersch : Sachant qu’un SPT émerge en réaction à un épisode traumatique où l’on pense que l’on va perdre la vie, sa survenue est très possible chez les soignants. Dans la mesure où ils se sont engagés personnellement et où ils ne se sont pas protégés comme ils le font d’habitude en mettant une distance entre eux et le patient, avec en plus la peur d’être infectés, ils sont particulièrement à risque. Les conditions en réanimation ont été très difficiles, ils ont vu plus de morts que d’habitude, avec un sentiment d’impuissance quand on ne savait pas vraiment comment les choses allaient évoluer au début, ou quand les familles n’avaient pas le droit de visiter les mourants. Cet investissement personnel a souvent des répercutions à distance et on s’attend maintenant à voir ce type de syndrome, même si des dispositifs type numéros d’appels ou projets thérapeutiques ont été mis en place pendant la phase aiguë de l’épidémie pour permettre aux soignants de parler de leurs angoisses.
Autre population vulnérable, les personnes âgées.
Dr Anne Giersch : Oui, pour elles, la situation est particulièrement dramatique car elles ont connu un isolement majeur, notamment les veufs et les veuves. S’y ajoute le problème de la mobilité, car au-delà de 75 ans, si on ne marche pas tous les jours, l’état peut vite se dégrader, c’est ce qu’on appelle le syndrome de glissement – une dégradation rapide renforcée par les déficits sensoriels qui n’est pas sans répercussion sur leur état mental.
Comment agir face au risque de survenue de troubles psychiatriques ?
Dr Anne Giersch : Il faut être attentif à la possibilité de voir apparaitre des troubles, par exemple chez l’adolescent qui ne sort plus de chez lui, et tenir compte du fait que l’on est dans une période avec un risque accru d’émergence de pathologies psychiatriques. Il faut aussi se souvenir que s’il n’y a pas de traitement miracle en psychiatrie, il y a tout de même des prises en charge qui permettent d’aider et de prévenir un certain nombre de troubles. Le message, c’est ne pas hésiter à envoyer les patients chez les psychiatres en dépit de la stigmatisation attachée à la maladie psychiatrique et de parcours de soin parfois compliqués. Une des motivations du Manifeste est d’ailleurs d’appeler à la réorganisation des soins de façon à rendre ce parcours plus lisible et plus efficace.
Au final, comment la psychiatrie s’est-elle comportée face à l’épidémie de COVID ? Y-a-t-il des points positifs ?
Dr Anne Giersch : La psychiatrie a plutôt bien réagi pendant le confinement en se convertissant à la télémédecine à vitesse grand V. Savoir que la télémédecine est possible en psychiatrie, cela n’allait pas de soi. Mais finalement, des patients ont dit avoir eu le sentiment d’être plus suivi qu’avant. C’est donc un champ qui s’ouvre. Même si cela ne résoudra pas tous les problèmes, on sait désormais que la télémédecine peut constituer une aide en psychiatrie. L’autre point positif, c’est la mobilisation de la spécialité, elle s’est révélée dynamique, a montré qu’elle savait réagir. Le monde de la psychiatrie s’est aidé et cela justifie que l’on nous aide maintenant à poursuivre nos efforts pour améliorer la compréhension des pathologies et leur prise ne charge.
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Citer cet article: Conséquences du COVID sur la santé mentale : comment y faire face ? - Medscape - 5 août 2020.
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