New York, Etats-Unis -- Doug Olson s'est vu poser le diagnostic de leucémie lymphoïde chronique (LLC) il y a plus de 20 ans, en 1996. Pendant plusieurs années, ses médecins ont opté pour une stratégie attentiste. Mais son cancer a progressé, au point de réclamer un traitement. En 2010, le seul traitement pouvant encore être tenté était une greffe de moelle osseuse. Sans une telle greffe, il ne lui resterait qu'un an ou deux à vivre, selon les médecins.
« J'essayais vraiment d'éviter la greffe. C'est une procédure assez lourde, et la dernière carte à jouer », explique Doug Olson à Medscape Medical News. Avec le recul, il se considère chanceux, d’avoir été au bon endroit au bon moment, et avec le bon médecin. Son oncologue de l’époque est David Porter, à l’initiative d'une étude réalisée à l'Université de Pennsylvanie et qui portait sur une toute nouvelle approche thérapeutique des cancers : le traitement par cellules CAR-T, qui sont des lymphocytes T exprimant un récepteur chimérique à antigène.
Ce type de traitement utilise les lymphocytes T du patient, après les avoir modifiés pour qu'ils expriment un récepteur ciblant une protéine présente à la surface d'une cellule cancéreuse. Ces lymphocytes sont considérés comme des « médicaments vivants », car ils se développent dans l'ensemble du corps et restent en place pendant des années – voire toute la vie – pour combattre les éventuelles récidives du cancer.
« Cette approche m'a vraiment intrigué. Elle avait fait ses preuves chez la souris, et c'était le genre de traitement qui me semblait pouvoir fonctionner », se souvient Doug Olson, qui dispose de connaissances scientifiques solides : titulaire d'un doctorat en chimie médicale, il a passé la plus grande partie de sa carrière professionnelle dans le domaine du diagnostic in vitro et il est actuellement le directeur général de la société de fabrication de produits de diagnostic in vitro Buhlmann Diagnostics Corp. Après avoir lu le protocole clinique du premier essai sur les CAR-T chez l'être humain, il a accepté d'en devenir le patient numéro deux. Des lymphocytes T lui ont été prélevés puis transformés de manière à cibler l'antigène CD19 présent sur les lymphocytes B normaux et cancéreux, avant d'être multipliés par millions en laboratoire. Le patient a été préparé au moyen d'une chimiothérapie destinée à minimiser le risque de rejet et à stimuler le développement des cellules CAR-T dans son corps. Le nouveau traitement lui a ensuite été appliqué pendant 3 jours.
Il ne s'est rien passé de particulier pendant deux semaines, avant qu'un syndrome pseudo-grippal sévère ne s'installe – tellement sévère que Doug Olson a dû être hospitalisé. En réalité, le fait qu'il tombe malade était un signe indiquant que les cellules CAR-T étaient efficaces. Doug Olson expérimentait ainsi l'un des principaux effets à court terme de la thérapie par cellules CAR-T, à savoir un syndrome de libération de cytokines. Les symptômes comprennent des fièvres extrêmement élevées et des chutes dangereuses de la pression sanguine, qui peuvent potentiellement léser des tissus (terminaux sur le plan circulatoire) d'organes vitaux.
Lors des premiers essais de cette thérapie, certains patients ont développé une réaction si importante qu'ils ont dû être placés en soins intensifs, et plusieurs décès ont été à déplorer. L'expérience clinique s'étoffant, les médecins ont appris à contrôler la réaction à l'aide de corticostéroïdes et d'inhibiteurs de l'interleukine-6 comme le tocilizumab. La réaction développée par Doug Olson s'est ainsi atténuée et il a pu quitter l'hôpital. Surtout, quatre semaines seulement après s'être vu administrer les cellules CAR-T, il s'est retrouvé débarrassé de son cancer.
« Y repenser me donne encore des frissons actuellement. Le docteur David Porter m'a dit ne plus trouver trace de la moindre cellule cancéreuse dans mon corps. » Dix ans plus tard, Doug Olson est toujours considéré comme en rémission.
La balance bénéfices/risques à long terme
Des données à long terme s'accumulent depuis le traitement de Doug Olson en 2010. Elles sont particulièrement importantes dans le cas du traitement par cellules CAR-T, en raison de sa longue durée : ces cellules devant en principe persister de nombreuses années dans l'organisme, la question – notamment – de leur éventuelle toxicité à long terme a de quoi interpeller. Ainsi, la FDA exige un suivi clinique d'au moins 15 ans pour les patients ayant bénéficié de cette thérapie ou d'un traitement basé sur d'autres cellules génétiquement modifiées.
« Jusqu'ici, la plus grande partie de l'expérience acquise au sujet des cellules CAR-T provient des traitements dirigés contre les récepteurs CD19 des lymphocytes B, et elle montre des taux de rémission compris entre 50 et 85 % », précise le Dr Nirali Shah, qui dirige la section des hémopathies malignes chez l'enfant au sein du National Cancer Institute (NCI). Les résultats présentés lors des Rencontres 2020 de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO) confirment les données antérieures sur l'efficacité. Au cours du suivi le plus long à ce jour, des chercheurs ont rapporté des rémissions depuis plus de 9 ans chez des patients atteints d'un lymphome à lymphocytes B ou d'une LLC récidivante/réfractaire qui ont été traités par l'axicaptagène ciloleucel, l'un des deux traitements anti-CD19 par CAR-T approuvés par la FDA en 2017 (l'autre est le tisagenlecleucel). Cette étude, qui portait sur 43 patients, a montré un taux de rémission global de 76 %: une rémission complète a été observée chez 54% des patients, et 22% ont obtenu une rémission partielle.
L'autre objectif est la sécurité à long terme. Bien que certains des effets indésirables tardifs soient connus et gérables, d'autres relèvent encore de la théorie. En mai de cette année, le National Cancer Institute (NC)I a organisé une conférence virtuelle et multidisciplinaire sur le traitement par cellules CAR-T « pour encourager la recherche collaborative sur le profil de toxicité subaiguë et potentiellement à long terme de ce type de traitement. »
« A ce stade, nous ne savons pas grand-chose sur les éventuels effets tardifs des cellules CAR-T, car ce genre de thérapie est encore relativement nouveau », explique le Dr Merav Bar, du Fred Hutchinson Cancer Research Center de Seattle.
Aplasie lymphocytaire B et risque de nouvelles infections
Ce que l'on sait en revanche, c'est que l'aplasie lymphocytaire B est l'effet indésirable tardif le plus courant de la thérapie par cellules CAR-T. Cette aplasie se produit lorsque ce traitement anti-CD19 élimine les lymphocytes B sains, en plus des cellules malignes responsables de la leucémie ou du lymphome.
En tant qu'acteurs majeurs du système immunitaire, les lymphocytes B constituent une défense clé contre les infections virales. L'aplasie lymphocytaire B représente donc un type d'immunosuppression très spécifique. Elle est généralement moins grave que l'immunosuppression qui est de mise après une transplantation d'organe, et qui frappe le système immunitaire de manière assez générale, entrainant ainsi un risque d'infections beaucoup plus élevé. La préoccupation principale est de savoir ce qu'il se passe lorsqu'une personne en état d'aplasie lymphocytaire B rencontre un nouvel agent pathogène, comme le SARS-CoV-2. Après une infection, les lymphocytes B ont généré des cellules mémoire qui ne seront pas détruites par le traitement anti-CD19 et qui resteront donc présentes toute la vie. Ainsi, un patient comme Doug Olson pourra toujours produire des anticorps contre les agents infectieux qu'il a rencontrés avant son traitement par CAR-T, comme le virus de la varicelle par exemple. Mais l'éventuelle aplasie entrainerait une incapacité à produire de nouvelles cellules mémoire, si bien que les patients devraient se voir administrer chaque mois des perfusions d'immunoglobulines pour se protéger contre des agents pathogènes qu'ils n'auraient jamais rencontrés auparavant. Doug Olson prend cette hypothèse au sérieux mais affirme ne pas s'inquiéter outre-mesure du Covid-19. Il suit les précautions recommandées pour un homme de son âge, en portant un masque, en se lavant fréquemment les mains et en essayant de maintenir une distanciation sociale suffisante sans pour autant se confiner : « Lorsque mon cancer a été diagnostiqué, j'ai décidé que je vivrais ma vie aussi bien que possible. A mes yeux, la qualité de vie est plus importante que le nombre d'années restant à vivre. »
Quid de la toxicité neuropsychiatrique ?
Un autre risque est celui d'une toxicité neuropsychiatrique. Des études antérieures ont fait état d'un large éventail de tels effets toxiques avec les traitements par cellules CAR-T, dont des crises épileptiques et des hallucinations. La majorité de ces effets survenaient au début du traitement et semblaient être de courte durée et réversibles.
Des questions subsistent cependant quant aux risques neuropsychiatriques tardifs. Dans une étude à long terme portant sur 40 patients atteints d'une LLC récidivante ou réfractaire, d'un lymphome non hodgkinien ou d'une LLA, près de la moitié des patients (47,5 %) ont déclaré au moins un problème neuropsychiatrique cliniquement significatif (anxiété, dépression ou difficultés cognitives) 1 à 5 ans après le traitement anti-CD19 par cellules CAR-T. De plus, les difficultés cognitives ont été signalées par 37,5 %. Il est cependant difficile de préciser le rôle que joue le traitement par cellules CAR-T dans ces troubles : tous ces patients avaient été lourdement prétraités au moyen d'une thérapie anticancéreuse, ce qui est également associé à des troubles d'ordre neuropsychiatrique.
La maladie du greffon contre l'hôte
Un autre problème potentiel est la maladie du greffon contre l'hôte (GvH), dont la survenue n'est pas rare après une greffe de cellules souches hématopoïétiques. Pour rappel, elle se développe lorsque les lymphocytes T du donneur considèrent les antigènes des cellules du receveur sain comme étrangers et les attaquent. En ce qui concerne les patients traités par cellules CAR-T, la GvH est surtout préoccupante chez les personnes qui ont déjà subi une greffe et qui sont donc exposées à un risque accru.
Dans une étude portant sur les effets tardifs chez 86 adultes traités par cellules CAR-T anti-CD19 pour un lymphome non hodgkinien récidivant ou réfractaire, les auteurs ont constaté qu'une GvH ne survenait que chez les patients ayant bénéficié d'une allogreffe de cellules souches. Parmi eux, 20 % ont développé une GvH environ 28 mois après le traitement par CAR-T. « Les données sur les GvH provoquées par des cellules CAR-T n'ont pas vraiment montré qu'il s'agirait d'un problème majeur, mais nous continuons à surveiller ce risque », précise le Dr Nirali Shah, du NCI.
D'autres effets indésirables à long terme
Une série d'autres effets indésirables tardifs ont été signalés, notamment des cytopénies prolongées, une myélodysplasie (défaillance de la moelle osseuse) et des cancers secondaires.
Dans l'étude au suivi le plus long jusqu'ici, 16 % (7/43) des patients ont développé un second cancer, soit un chiffre comparable à celui issu de l'étude réalisée par l'équipe de Merav Bar à Seattle (15 %, 13/86). Les chercheurs de cette étude considèrent que ce taux n'est pas plus élevé qu'attendu : les patients concernés avaient déjà subi une chimiothérapie intensive, ce qui augmente le risque d'autres cancers. Sur le plan théorique, cela soulève néanmoins des inquiétudes sur les effets à long terme de la modification génétique. Les cellules CAR-T sont produites en utilisant des rétrovirus (principalement des lentivirus), qui insèrent de manière aléatoire les gènes CAR dans le génome du lymphocyte hôte. Ce procédé engendre un risque de mutation pouvant favoriser la survenue d'un cancer. De plus, les lentivirus peuvent – au moins en théorie - se faire répliquer dans l'organisme. Pour limiter ces risques, les virus utilisés pour produire des cellules CAR-T font l'objet de tests de sécurité exhaustifs. Après le traitement, les patients sont contrôlés à plusieurs reprises pendant la première année et tous les ans par la suite.
Aucun cas de cancer associé à la thérapie par cellules CAR-T n'a été signalé jusqu'ici. « En théorie, n'importe quel type de cancer peut survenir », rappelle Merav Bar, « mais il est très probable que les tumeurs malignes de notre étude soient liées à des traitements antérieurs. Nous n'avons observé aucune preuve de la présence d'un lentivirus capable de se répliquer, ni que les nouveaux cancers étaient liés aux CAR-T ».
Une autre possibilité théorique est celle de l'apparition d'une maladie auto-immune mais, ici encore, aucun cas n'a été signalé jusqu'à présent. « C'est théoriquement possible, dès lors que vous renforcez le système immunitaire », explique le Dr Carl June, qui dirige le Centre d'immunothérapie cellulaire de l'Université de Pennsylvanie. Carl June était le co-investigateur principal de l'étude à laquelle Doug Olson a participé. Il est également à l'origine de brevets sur les cellules CAR-T – des brevets dont l'Université de Pennsylvanie a concédé la licence à Novartis et à Tmunity, dont il est un des fondateurs scientifiques. « Nous continuons à surveiller l'éventuelle apparition de maladies auto-immunes », ajoute Nirali Shah. « Nous initions des traitements par cellules CAR-T depuis 2012, et je pense que nous n'avons pas encore vu de véritable phénomène auto-immunitaire en dehors de la GvH ».
Les orientations futures
Toute une industrie a vu le jour au cours des dix années qui se sont écoulées depuis que Doug Olson a été traité par CAR-T. A travers le monde, plus d'une centaine d'entreprises développent actuellement des traitements à base de CAR-T, en ciblant différents antigènes. Ces traitements concernent environ 60 types de tumeurs différentes, y compris des tumeurs solides. Près de 200 études cliniques sont en cours, bien que la plupart n'en soient encore qu'à un stade précoce : en septembre 2019, seuls 5 % d'entre elles avaient atteint la phase 3.
Les données cliniques montrent des résultats prometteurs pour le traitement par CAR-T contre le CD22 (qui est surexprimé sur toutes les cellules) et contre le BCMA (observé sur la majorité des cellules de myélome multiple). Des questions subsistent cependant quant à savoir si les cellules CAR-T seront aussi efficaces en ciblant des antigènes autres que le CD19 ou d'autres cellules que les lymphocytes B, ainsi que contre les tumeurs solides.
L'une des pistes de recherche suivies avec beaucoup d'intérêt est celle du développement de cellules CAR-T universelles, qui n'en est encore qu'à un stade très précoce (études de phase 1). Elles sont intéressantes en raison des avantages potentiels qu'elles présentent par rapport aux cellules CAR-T personnalisées. L'automatisation du processus permettrait une disponibilité immédiate, une standardisation de la production, un accès élargi à ce type de traitement et une réduction des coûts. Et comme ces cellules proviennent de donneurs sains, elles peuvent en théorie être plus efficaces que les lymphocytes T qui ont subi les effets des traitements anticancéreux antérieurs, voire ceux du cancer lui-même.
Cependant, et précisément parce qu'elles sont développées à partir de cellules de donneurs sains, les CAR-T universelles pourraient augmenter le risque de GvH. Les chercheurs tentent d'atténuer ce risque en produisant des CAR-T universelles qui ne possèdent pas le récepteur lymphocytaire T impliqué dans la GvH.
D'autres préoccupations subsistent. On sait que la nature a un faible pour les mutations. Dès lors, produire des cellules CAR-T sans récepteur lymphocytaire T présente le risque que l'organisme ne puisse plus détecter et détruire une cellule CAR-T universelle qui aurait muté en une variante nocive. De plus, l'insertion de gènes dans une CAR-T universelle n'est pas aléatoire (comme dans les CAR-T personnalisées) mais ciblée, ce qui pourrait créer des effets en dehors de la cible visée. Ces deux éléments créent un risque théorique de voir l'apparition de cancers induits par ces cellules CAR-T universelles et, surtout, non traitables. Et Carl June de conclure que « le risque, pour les CAR-T universelles, est que leur profil de sécurité ne soit pas aussi bon à long terme. »
De l'espoir pour l'avenir
Deux des trois patients traités par CAR-T dans l'étude de June et Porter sont toujours en vie après dix ans. Doug Olson, qui est l'un d'entre eux, fait toujours l'objet d'un suivi trimestriel pour vérifier l'absence de rechute.
Après avoir été déclaré en rémission, Doug Olson a passé les 6 à 9 mois suivants à retrouver ses forces et à récupérer un bon état de santé. « Je me suis dit que si j'avais bénéficié de ce traitement qui m'a sauvé, j'étais dans l'obligation de rester en vie. Je ferais donc bien de ne pas mourir de quelque chose comme une banale crise cardiaque ! » Il s'est lancé dans la course de fond, a effectué 6 semi-marathons et il s'implique dans la Leukemia and Lymphoma Society, participant à la collecte de fonds et aidant les patients nouvellement diagnostiqués. Au fil des ans, il a également donné des conférences pour les chercheurs, les personnes atteintes d'un cancer et les soignants.
Agé de 73 ans, Doug Olson est émerveillé par la rapidité avec laquelle le domaine des cellules CAR-T a progressé. « Il y a vingt ans, si vous aviez un cancer, vos perspectives n'étaient pas aussi bonnes qu'aujourd'hui. En 2010, les gens ne croyaient toujours pas au traitement par cellules CAR-T. Mon but, en racontant régulièrement mon histoire, est de délivrer un message d'espoir. »
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Cet article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre In Remission for 10 Years: Long-term Toxicity Data on CAR T Cells Traduction-adaptation du Dr Claude Leroy.
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Citer cet article: En rémission depuis 10 ans grâce aux cellules CAR-T - Medscape - 5 août 2020.
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