POINT DE VUE

« Les traitements délirants qu'a reçus Trump… »

Pr Ph Gabriel Steg

Auteurs et déclarations

9 octobre 2020

Le blog du Pr Gabriel Steg – Cardiologue

TRANSCRIPTION

Gabriel Steg--Bonjour. Aujourd’hui, je voudrais encore vous parler des essais cliniques randomisés. Nous sommes à un moment où, dans le cadre de la pandémie COVID-19, les essais randomisés font l’objet de critiques, de défiance, et il y a même une théorisation du fait que les essais randomisés contre placebo ne seraient pas éthiques.

Et il me semble qu’il y a une information récente qui illustre de façon particulièrement intéressante la valeur des essais cliniques randomisés : c’est le séjour du président Donald Trump à l’hôpital militaire Walter Reed, aux États-Unis, où il a été pris en charge pour l’infection COVID-19 dont il a été atteint.

Alors, comme vous le savez, il a reçu beaucoup de médicaments, des médicaments qui ont été administrés par son médecin personnel, qui n’est pas un diplômé de faculté de médecine, qui est un ostéopathe — aux États-Unis, les ostéopathes exercent comme des médecins, c’est un facteur intéressant — et son ostéopathe lui a administré un cocktail de médicaments qui sont de la vitamine D, du zinc, de la famotidine, un médicament utilisé dans le traitement d’ulcères — trois médicaments qui n’ont aucun intérêt démontré dans les infections virales en général et dans l’infection à COVID-19 en particulier.

Et puis, ensuite, lors de son séjour à l’hôpital militaire Walter Reed, il a reçu un médicament expérimental, qui est un cocktail d’anticorps, un cocktail d’immunoglobulines produit par le laboratoire Regeneron qui, pour l’instant, n’a pas encore fait l’objet d’essais cliniques sur le COVID-19. Il a été testé dans un essai très préliminaire où on a regardé la charge virale et l’évolution de la charge virale sous l’effet de deux doses de ce traitement chez des patients qui avaient été en contact avec le virus et qui avaient ou qui n’avaient pas des anticorps. Et les résultats préliminaires indiquent que peut-être ça pourrait faire baisser la charge virale. Mais cet essai n’a pas été publié dans la littérature revue par les pairs, comme on dit, il n’a pas encore été l’objet d’une évaluation dans la littérature scientifique.

 
Des médicaments qui ont été administrés par son médecin personnel, qui n’est pas un diplômé de faculté de médecine, qui est un ostéopathe.
 

Il a reçu un deuxième médicament, qui est le remdésivir. Le remdésivir a fait l’objet de plusieurs essais randomisés dont un seul est un essai contrôlé contre placebo. Et cet essai contrôlé contre placebo n’a pas montré d’effet sur la mortalité — il a montré un effet très modeste sur l’amélioration des symptômes évaluée par une échelle ordinale et, donc, si on est charitable, on va dire qu’il y a une incertitude sur le bénéfice du remdésivir.

Et puis, enfin, il a reçu un médicament qui, lui, par contre, a un bénéfice avéré, qui sont les corticoïdes. Mais ces médicaments ont un bénéfice dans les formes graves de la maladie et ils ont été testés par plusieurs essais randomisés, de nombreux essais randomisés bien faits qui ont testé ces médicaments. Les essais ont montré un bénéfice dans les formes graves de la maladie, pas d’effet clair dans les formes bénignes ou les formes mineures, les formes moins avancées. Et en principe, c’est de ce type de forme que Donald Trump était atteint, puisqu’il a quitté l’hôpital au bout de 48 heures - 72 heures, et qu’il n’y a pas eu de données qui suggèrent une forme grave.

Alors, c’est intéressant puisque, donc, le président des États-Unis a reçu six médicaments et aucun de ces médicaments n’avait une indication légitime dans la maladie dont il souffrait. L’un, à la limite, pouvait se défendre, les corticoïdes — les cinq autres n’avaient aucun niveau de preuve solide pour justifier qu’on les lui administre.

Les VIP ne sont pas toujours mieux traités que les autres

Alors, il y a plusieurs choses à dire de ça : d’abord, la première chose, c’est que ça illustre une observation bien connue des médecins, qui est que ce n’est pas parce que quelqu’un est recommandé qu’il sera mieux traité que quelqu’un qui n’est pas recommandé dans un hôpital et, voire, même des personnes qui sont des super-VIP sont souvent moins bien traitées que le vulgum pecus parce que, eh bien, on fait des choses inhabituelles avec ces gens-là alors que, finalement, la machine hospitalière, c’est une machine assez bien rodée qui, en moyenne, va plutôt bien traiter les gens, même si, évidemment, il y a parfois des erreurs médicales, des fautes médicales. Mais que, en gros, l’hôpital public, c’est une machine qui marche plutôt pas mal dans à peu près tous les pays, alors que quand on sort de la routine de la chaîne de production, si je puis dire, de l’hôpital et qu’on fait prendre des décisions souvent irrationnelles dans le contexte de gens ultra-recommandés, on arrive à prendre des décisions qui peuvent être moins bonnes.

Et si j’avais été le médecin personnel de Donald Trump, je ne lui aurais pas recommandé de prendre ces six médicaments non prouvés. Je l’aurais probablement traité de façon symptomatique avec de l’oxygène, s’il avait besoin d’oxygène, des antipyrétiques s’il avait de la fièvre et, s’il développait une forme grave, le seul traitement qui, aujourd’hui, est validé dans la littérature internationale pour une forme grave, qui sont les corticostéroïdes. Mais on ne sait pas s’il a vraiment une forme grave.

Des traitements expérimentaux hors essais cliniques

Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’il n’ait pas participé à un essai clinique randomisé. S’il avait participé à un essai clinique randomisé, il aurait pu donner un exemple extrêmement important et utile de la démarche altruiste qui est celle des gens qui participent à un essai clinique randomisé. Il aurait pu montrer que lui apporte sa pierre à l’édifice, que, alors que nous sommes à plus de neuf mois du début de l’épidémie, nous n’avons encore que très, très peu de données solides sur les traitements qui marchent, que la seule démarche valide pour tester des traitements, ce sont les essais cliniques randomisés, que participer aux essais cliniques randomisés c’est, donc, extrêmement important.

Et j’ajoute qu’il aurait pu le faire sans état d’âme parce qu’on sait, ça a été bien établi depuis des années, que les gens qui participent à des études randomisées ont en moyenne un bien meilleur pronostic que ceux qui n’y participent pas. Ce qui tient à plusieurs facteurs — et c’est vrai même lorsqu’ils sont le groupe placebo. Bien sûr, ils peuvent avoir les bénéfices d’un traitement efficace s’ils sont dans le bras traitement expérimental, mais même lorsqu’ils sont dans le bras placebo, ils ont en général un meilleur pronostic que les gens qui ne participent pas aux essais cliniques randomisés, d’abord parce que les gens qui acceptent de participer, qui font cette démarche altruiste, sont généralement plus compliants au traitement, plus adhérents aux traitements qui leur sont prescrits, ils se font mieux suivre, et puis parce que, du fait de la simple participation à un essai clinique randomisé, le suivi médical va être plus intensif, plus rigoureux, et que ceci est corrélé à une évolution en général plus favorable.

 
Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’il n’ait pas participé à un essai clinique randomisé.
 

L’importance des traitements symptomatiques

Et cela nous rappelle qu’en médecine il n’y a pas que les traitements étiologiques, il y a aussi les traitements symptomatiques — et COVID-19 est un exemple particulièrement éloquent de cela — ce n’est pas parce qu’on n’a pas de médicament antiviral efficace aujourd’hui qu’on ne fait rien pour les patients. Et qu’on voit bien que les patients qui sont hospitalisés pour détresse respiratoire aiguë, il est extrêmement important de les soigner, de leur donner de l’oxygène, de leur donner des médicaments anti-inflammatoires lorsqu’il y a besoin, parfois de les mettre sous respiration artificielle si, véritablement, on ne peut pas faire autrement, et que ça permet à un grand nombre de ces patients de traverser la phase de la maladie et de guérir, même s’il y a encore des patients qui ne répondent pas aux traitements, ce qui doit nous inciter à poursuivre la recherche de traitements efficaces.

Mais je crois qu’il est extrêmement important de rappeler que l’absence d’un traitement étiologique ne veut peut pas dire qu’il n’y a pas de traitement. Et c’est pour ça que l’argument qui a souvent été mis en avant, notamment en France, que faire un essai clinique randomisé n’était pas étique parce qu’on ne peut pas donner à un patient un placebo, est un argument totalement stupide, parce qu’un essai contre placebo va tester un traitement expérimental contre placebo, mais n’empêche absolument pas de donner ce qu’on appelle best medical care, c’est-à-dire le traitement médical de base symptomatique le meilleur possible en plus du traitement qui est testé contre placebo.

Et, donc, on peut à la fois respecter ses obligations éthiques vis-à-vis des patients et leur proposer de participer à un essai clinique qui va tester de nouveaux traitements, aider à identifier les traitements qui marchent, aider à identifier ceux qui ne marchent pas, faire progresser la connaissance, leur permettre d’être mieux suivis et mieux soignés que s’ils n’étaient pas dans un essai clinique randomisé et de, demain, trouver le traitement qui permettra de prendre en charge les patients suivants.

Voilà les réflexions que m’inspire l’hospitalisation malheureuse du président Trump à l’hôpital Walter Reed et les traitements proprement délirants qu’il a reçus, puisqu’il a reçu six médicaments différents, inutiles, probablement pas totalement sans danger et hors de toute indication validée.

 
Les traitements proprement délirants qu’il a reçus...inutiles, probablement pas totalement sans danger et hors de toute indication validée.
 

Voilà. Je vous livre ces réflexions sur le président Trump, les essais cliniques randomisés et le regret que, malheureusement, il n’ait pas donné un exemple — qui aurait été un exemple pour le monde entier — de participer de façon altruiste à la recherche médicale.

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