Paris, France — Au cours d’une session virtuelle des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (eJFHOD 2020), le Pr Christophe Cellier (Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris) a présenté les grandes lignes des dernières recommandations européennes sur le diagnostic et la prise en charge de la maladie coeliaque et autres troubles liés au gluten chez l’enfant et l’adulte [1].
Publiées dans United European Gastroenterology Journal, ces recommandations ont été émises par la Société européenne pour l’étude de la maladie coeliaque (ESSCD)[2]. Elles concernent la maladie coeliaque, ses manifestations atypiques (dermatite herpétiforme, ataxie au gluten…), ainsi que l’hypersensibilité au gluten non coeliaque (SNCG).
La maladie coeliaque ou intolérance au gluten est une maladie intestinale chronique auto-immune, qui survient chez des personnes génétiquement prédisposées. Le système immunitaire réagit à la présence de gliadine, une protéine composant le gluten, ce qui induit une inflammation, une prolifération des lymphocytes T intra-épithéliaux et une atrophie villositaire au niveau de l’intestin grêle.
Diagnostic tardif
L’intolérance au gluten est à distinguer de la SNCG, semble-t-il plus commune. Les manifestations digestives sont similaires, mais les causes restent inconnues (voir encadré). « Le diagnostic se fait par exclusion », notamment de la maladie coeliaque, a souligné le Pr Cellier, co-auteur des recommandations.
En Europe, l’intolérance au gluten toucherait entre 0,5 et 2% de la population. Contrairement à l’allergie alimentaire, qui induit des symptômes immédiatement après l’ingestion de l’aliment, elle apparait de manière progressive et passe souvent inaperçue. Chez l’adulte, elle est ainsi diagnostiquée en moyenne dix ans après les premiers symptômes.
Cette entéropathie auto-immune, auparavant considérée comme une maladie infantile rare, s’avère finalement assez fréquente, a commenté le Pr Cellier. « On l’observe dans tous les pays, excepté au Japon, certainement en raison d’une absence de prédisposition génétique. Les prévalences sont plus élevées en Europe, aux Etats-Unis ou dans les pays du Maghreb. »
Diarrhée, carence en vitamine, aphtes…
« Les symptômes sont extrêmement variables, ce qui rend le diagnostic difficile », a souligné le gastro-entérologue. «Il faut évoquer la maladie coeliaque, non seulement devant les symptômes caractéristiques, comme une diarrhée, une malabsorption ou des maux de ventre, mais aussi devant une anémie isolée, avec une carence en fer, en vitamine B12, une hypertransaminasémie ou encore des aphtoses buccales récidivantes. »
L’intolérance au gluten peut aussi être associée à une ostéoporose. « Une maladie coeliaque peut être recherchée en cas d’ostéoporose idiopathique surtout chez les sujets jeunes et les femmes en pré-ménopause ». La présence d’une maladie auto-immune comme un diabète de type 1, une thyroïdite auto-immune ou une dermatite herpétiforme doit également amener à envisager cette pathologie.
Les formes atypiques ou frustes sont retrouvées dans plus de 80% des cas, rappelle le gastro-entérologue. Parmi elles, figurent des troubles neurologiques, telles que l’épilepsie, la migraine ou l’ataxie (manque de coordination des mouvements volontaires). On peut aussi y associer des rhumatismes, des troubles de la reproduction (stérilité, aménorrhée) ou des troubles cardiaques (cardiomyopathie dilatée idiopathique).
Par ailleurs, « la maladie coeliaque n’est pas systématiquement liée à une perte de poids. Un même type d’atrophie villositaire peut conduire à une dénutrition sévère, comme à un surpoids ». Ainsi, aux Etats-Unis, dans 30% des cas, l’intolérance au gluten est diagnostiquée chez des adultes présentant une obésité.
Les tests rapides non recommandés
En cas de suspicion clinique, une sérologie est tout d’abord à proposer. Le dépistage s’appuie sur la recherche d’anticorps anti-transglutaminase tissulaire (IgA et IgG anti-tTG), le test de référence, remboursé par l’assurance maladie. Les tests rapides, comme l’autotest GLUTEN®, « ne sont pas recommandés pour le moment ». Une sérologie positive doit conduire à une biopsie pour confirmer le diagnostic.
Dans les recommandations, un tableau récapitulatif énumère les nombreuses situations cliniques pouvant justifier une sérologie (transaminases élevées, présence d’un syndrome de l’intestin irritable, fatigue chronique, psoriasis et autres dermatoses, infertilité, épilepsie, ostéoporose…) ou une biopsie en cas de sérologie négative (diarrhée chronique, carence en fer, symptômes de maladie inflammatoires de l’intestin…).
Le typage HLA DQ2/DQ8 ne doit pas être systématique. « Ce test, dont la valeur prédictive négative est proche de 100%, est indiqué uniquement pour exclure le diagnostic de maladie coeliaque devant, par exemple, une atrophie villositaire associée à une sérologie négative ou chez les personnes symptomatiques déjà sous régime sans gluten. »
Les tests d’intolérance alimentaire par dosage des IgG sont déconseillés. « Ils sont inutiles et coûteux. Leur intérêt n’a pas été démontré », a précisé le Pr Cellier. De plus, « ils peuvent conduire à des régimes restrictifs potentiellement dangereux ».
Critères histologiques
L’examen histologique est le gold standard pour le diagnostic de la maladie chez l’adulte. Quatre biopsies doivent être effectuées le long du duodénum, dont une au niveau du bulbe duodénal, à la sortie de l’estomac, la maladie se limitant à cette zone dans 10% des cas. L’atrophie villositaire peut être totale ou partielle.
Les recommandations indiquent que l’examen doit apporter une description très précise de l’atrophie villositaire, une énumération des lymphocytes intra-épithéliaux, « à l’aide si possible d’immunomarqueurs » et une description de l’hyperplasie. « Ces trois critères combinés sont révélateurs d’une maladie coeliaque. Une atrophie villositaire sans lymphocytose doit amener à remettre en cause le diagnostic », souligne le Pr Cellier.
Si le recours à la biopsie est inévitable chez l’adulte, les dernières recommandations de la Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique (ESPGAN) considèrent que le diagnostic de maladie coeliaque peut être posé chez l’enfant sans passer par une biopsie, en présence de symptômes typiques et avec un taux d’AC anti-tTG au moins dix fois plus élevé par rapport à la normale.
En l’absence d’atrophie villositaire, une sérologie positive après dosage des Ac anti-tTG peut être complétée par un dosage des anticorps anti-gliadine désaminée « Si les deux tests sont positifs, le diagnostic de maladie coeliaque est très probable. Il pourra être confirmé par une nouvelle sérologie à 12 mois après un régime sans gluten. » En cas de résultat négatif, le typage HLA est à envisager.
Initier un suivi à long terme
Concernant le traitement, il repose toujours sur un régime strict sans gluten, à adopter à vie, en l’absence pour le moment d’alternative. « Le régime sans gluten est difficile à suivre. En France, il s’avère imparfait dans un cas sur deux ». Le recours à un diététicien est recommandé. Des tests urinaires ou fécaux devraient bientôt arriver sur le marché pour évaluer la qualité du régime, a indiqué le gastro-entérologue.
« Il est préconisé de mettre en place un suivi à long terme chez ces patients qui se sentent souvent livrés à eux-mêmes. » Ce suivi comprend une évaluation diététique, une nouvelle sérologie à un an et des biopsies de contrôle chez l’adulte un à deux ans après avoir initié le régime sans gluten, « pour s’assurer de la repousse des villosités ». A plus long terme, « un suivi clinique et biologique est suffisant ».
Malgré le régime sans gluten, les symptômes persistent dans 5 à 30% des cas. « Un mauvais suivi du régime est la cause la plus fréquente ». Une enquête diététique ou un nouveau dosage des anticorps permet de confirmer cette hypothèse. Dans de rares cas, ils peuvent être associés à des complications.
Complications cancéreuses
Les complications cancéreuses sont les plus graves. Il peut s’agir d’un adénocarcinome de l’intestin grêle, d’un lymphome ou, plus rarement, d’une sprue réfractaire, une forme de pré-lymphome caractérisée par la persistance de l'atrophie villositaire. « Une obstruction, une perte de poids, une diarrhée ou une hémorragie digestive sous régime sans gluten sont des signes d’alerte ».
En cas de suspicion de complication grave, « il ne faut pas hésiter à utiliser des outils diagnostiques plus avancés, comme le scanner, l’IRM, le PET scan ou l’endoscopie par vidéocapsule ».
En France, le réseau CELAC (Centre national expert des lymphomes associés à la maladie coeliaque) a été mis en place pour aider au diagnostic et à la prise en charge de ces complications.
« Nous sommes disponibles pour réévaluer les diagnostics et proposer des options thérapeutiques », a indiqué le Pr Cellier, également coordinateur de ce réseau.
Intolérance ou hypersensibilité au gluten ?
L’hypersensibilité au gluten non coeliaque (SNCG) est une nouvelle entité de plus en plus évoquée. Elle se manifeste par des symptômes digestifs ou extra-digestifs déclenchés par l’ingestion de gluten qui disparaissent ou s’améliorent en l’excluant du régime alimentaire. Ils récidivent lors de la réintroduction du gluten en l’absence de maladie coeliaque et d’allergie au gluten.
Les causes de cette sensibilité ne sont pas clairement identifiées. Les FODMAPs (glucides à chaine courte) pourraient être également impliqués. « Il n’existe pas de marqueurs biologiques spécifiques. Il n’y a pas, non plus, de lien avec le HLA. Le diagnostic est un diagnostic d’exclusion », précise le Pr Cellier.
La démarche diagnostique consiste à réintroduire le gluten, idéalement contre placebo, après l’avoir exclu pendant plusieurs jours du régime alimentaire. Si les symptômes réapparaissent, le régime sans gluten peut être envisagé. « Le rôle exclusif du gluten dans la pathogénie reste toutefois à démontrer ».
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Citer cet article: Intolérance au gluten: l’essentiel des recommandations européennes - Medscape - 22 juil 2020.
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