Etats-Unis -- De nouvelles données apportent un éclairage attendu par les pédiatres et les infectiologues sur le syndrome inflammatoire sévère associé au Covid-19 chez les enfants. Dans deux publications distinctes publiées dans le New England Journal of Medicine, des chercheurs du Département de la santé de l'Etat de New York et des Centers of Disease Control and Prevention (CDC) ont fait un état des lieux de l'épidémiologie et des caractéristiques cliniques de ce syndrome inflammatoire multisystémique chez les enfants (MIS-C) à partir d'informations issues des programmes de surveillance de l'Etat de New York et de l'ensemble du pays. Mais les experts considèrent que les critères diagnostiques actuels cachent la véritable ampleur du problème.
Incidence : 2 cas pour 100 000 jeunes de moins de 21 ans
Dans l'étude new-yorkaise, le Dr Elizabeth Dufort (Département de la Santé, Albany) et ses collègues ont analysé les données de surveillance du MIS-C de 106 hôpitaux de l'Etat entre le 1er mars et le 10 mai 2020. En tout, 99 enfants ont été inclus pour cette analyse [1].
L'incidence du MIS-C était de 2 cas pour 100 000 jeunes de moins de 21 ans alors que l'incidence des cas confirmés de Covid était de 322 pour 100 000 dans ce même groupe d'âge. La plupart des cas de MIS-C est survenue environ un mois après le pic de la pandémie dans l'Etat de New-York.
« Parmi nos patients, venant majoritairement de l'agglomération new-yorkaise, 40 % étaient noirs et 36 % Hispaniques. Cela reflète l'incidence élevée déjà documentée de l'infection à Sars- CoV-2 dans les communautés noire et hispanique » indiquent les auteurs.
Quels sont les symptômes du MIS-C?
Tous les enfants avaient de la fièvre ou des frissons ;
la plupart souffraient de tachycardie (97 %) et de symptômes gastro-instestinaux (80 %) ;
des éruptions cutanées (60 %), des conjonctivites (56%), de l'hypotension (32%) ont été décrites ;
les marqueurs de l'inflammation étaient élevés chez la majorité des enfants : protéine C-réactive (100 %), D-dimères (91%) et troponine (71%) ;
chez plus d'un tiers des petits patients (36 %), un diagnostic de myocardite a été posé et 16 % des patients avaient des signes cliniques de myocardite.
Sur l'ensemble de la cohorte, 80 % des enfants ont nécessité des soins intensifs, 62 % ont reçu un traitement vasopresseur et deux enfants sont décédés.
La prévalence élevée de la dysfonction ou dépression cardiaque, des difficultés de coagulation, des signes digestifs, des difficultés respiratoires légères ou encore des besoins en oxygène chez les patients avec un MIS-C diffère du tableau clinique observé chez la plupart des enfants hospitalisés pour une forme sévère de Covid, écrivent les auteurs.
« Le MIS-C peut survenir après un Covid-19 ou une infection au Sars-CoV-2 asymptomatique. Reconnaître le syndrome et identifier précocement les enfants qui en sont atteints, notamment via un monitoring précoce de la pression artérielle et une évaluation du cœur par ECG et échographie, pourraient permettre de proposer une prise en charge appropriée » poursuivent-ils.
L'incidence du MIS-C parmi les enfants infectés par le Sars-CoV-2 reste peu claire dans la mesure où les enfants présentent le plus souvent peu ou pas de symptôme et qu'ils ne sont pas testés. C'est pourquoi « il est crucial d'établir une surveillance des cas de MIS-C, en particulier pour les populations dans lesquelles le virus circule beaucoup ».
Des différences importantes par rapport à un Kawasaki
Dans une autre étude, le Dr Leora Feldstein et ses collègues des CDC ont identifié 186 cas de MIS-C collectés dans le cadre d'une surveillance ciblée dans les centres de santé pédiatriques dans 26 Etats américains entre le 15 mars et le 20 mai 2020 [2]. A l'instar de la cohorte de New-York, il y avait une surreprésentation des enfants noirs (25 %) et hispaniques ou latinos (31%).
80 % des enfants de ce groupe avaient également eu besoin de soins intensifs, 48 % ont reçu un traitement vasoactif, 20 % ont eu une assistance respiratoire mécanique et 4 enfants sont décédés.
Les symptômes étaient semblables à ceux décrits dans l'autre étude.
Les chercheurs indiquent que bien que le MIS-C partage nombre de caractéristiques avec la maladie de Kawasaki, il existe des différences notables, en particulier concernant la nature de l'atteinte cardiovasculaire. « Aux Etats-Unis, environ 5 % des enfants atteints de la maladie de Kawasaki font un choc cardiogénique obligeant à un soutien par vasopresseur ou inotropique. Ceci est à comparer aux 50 % des patients de nos séries » écrivent les auteurs.
De plus, des anévrismes des artères coronaires concernent environ un quart des patients atteints de la maladie de Kawasaki dans les 21 jours suivant l'apparition de la maladie. « Dans nos séries, un Z-score maximal de 2,5 ou plus du diamètre de l'artère antérieure gauche descendante ou de l'artère coronaire droite a été rapporté chez 8 % des patients globalement, et chez 9 % des patients avec une échographie cardiaque » indiquent-ils.
Autres différences : l'âge des patients et leur origine ethnique. Si la maladie de Kawasaki touche le plus fréquemment les enfants de moins de cinq ans, l'âge médian des patients de l'étude sur l'ensemble des Etats-Unis était de 8,3 ans, et presque la moitié des enfants de la cohorte new-yorkaise était âgée entre 6 et 12 ans. De plus, la maladie Kawasaki concerne en particulier les enfants d'origine asiatique.
Malgré ces différences, « jusqu'à ce qu'on en sache plus sur les séquelles cardiaques à long terme du MIS-C, les médecins devraient suivre les recommandations établies pour la maladie de Kawasaki, qui recommandent de refaire une échographie cardiaque une ou deux semaines après la première ».
Pour la série new-yorkaise et celles utilisant les données de différents Etats, le traitement délivré reposait le plus souvent sur des immunoglobulines en IV et des glucocorticoïdes. Cela dit, le Dr Feldstein et ses collègues soulignent qu'une meilleure compréhension de la pathogenèse du MIS-C permettrait d'améliorer sa prise en charge.
Des questions toujours en suspens
L'accumulation des données sur ce syndrome permet d'obtenir une image du MIS-C plus précise mais il reste des incertitudes, estimé le Pr Michael Levin (Imperial College London, Royaume-Uni) dans un éditorial qui accompagne les deux articles [3].
« L'identification et la description de nouvelles maladies ressemblent souvent à la parabole des aveugles et de l'éléphant. Chaque homme déclare que la zone de la bête qu'il touche la définit en totalité » écrit-il.
« Avec l'évolution de la pandémie de Covid-19, des études de cas ont émergé décrivant des enfants présentant des maladies inhabituelles avec de la fièvre et des caractéristiques de la maladie de Kawasaki, du syndrome de choc toxique, de pathologies abdominales aiguës et d'encéphalopathies. D'autres ont rapporté les cas d'enfants avec de la fièvre, une élévation des marqueurs de l'inflammation et une affection multisystémique. Il semble maintenant évident que ces études de cas décrivent différentes présentations cliniques d'un même nouveau trouble inflammatoire. »
Bien qu'une image cohérente se dessine, « les études publiées ont utilisé hâtivement une variété de définitions fondées sur les cas les plus sévères, ce qui possiblement fait rater les cas moins sérieux » écrit le Pr Levin. Par exemple, il faut, dans la définition des CDC (Centers for Disease Control and Prevention) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qu'il y ait une preuve de l'infection ou de l'exposition au Sars-CoV-2, ce qui contribue à une sous-identification des cas dans la mesure où les infections asymptomatiques sont fréquentes et que les sérologies ne sont pas toujours disponibles.
« On craint que les enfants qui, en effet, remplissent aujourd'hui les critères diagnostiques du MIS-C ne soient que la partie émergée de l'iceberg, et qu'un problème bien plus important se cache sous la ligne de flottaison » indique le Pr Levin. Avec un millier de cas environ rapporté dans le monde entier, « avons-nous maintenant une description claire de cette nouvelle maladie, ou bien comme dans l'histoire des aveugles et de l'éléphant est-ce qu'une seule partie de la « bête » est décrite ? ».
Le Dr Adrienne Randolph (Boston Children's Hospital, Etats-Unis), co-auteur de la deuxième étude, considère aussi qu'il y a encore beaucoup à apprendre du MIS-C. Interrogée par Medscape Medical News, elle a listé les questions encore en suspens :
Pourquoi certains enfants font un MIS-C et d'autres non ?
Quelle est l'évolution à long terme d'un MIS-C ?
Comment différencier un MIS-C d'une forme aiguë de Covid 19 chez les enfants avec une détresse respiratoire ?
Est-ce que le MIS-C concerne également les jeunes adultes ?
Elle a aussi indiqué que son équipe avait débuté une seconde étude pour identifier les facteurs de risque de développer un MIS-C et participait à des études de suivi à long terme. « Nous recueillons les consentements pour collecter des échantillons sanguins et cherchons des tests qui nous aideraient à différencier le MIS-C d'un Covid-19 sévère » a-t-elle expliqué.
Dans son éditorial, Michael Levin constate aussi que le chemin est encore long « Les défis de cette nouvelle maladie sont maintenant de comprendre ses mécanismes physiopathologiques, de développer des outils diagnostiques et de définir le meilleur traitement ».
L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé « Diagnostic Criteria May Miss Some MIS-C Cases, Experts Say ». Traduit/adapté par Marine Cygler.
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Citer cet article: Enfants : que cache le mystérieux syndrome inflammatoire multisystémique ? - Medscape - 9 juil 2020.
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