Allemagne -- Il semble que nous n’en ayons pas fini avec les séquelles de la pandémie de Covid-19. Plusieurs indices portent à croire que l'infection par le SARS-Cov-2 a également des effets durables. Certains craignent ainsi que l'incidence du syndrome de fatigue chronique (SFC), qui survient souvent après une infection, ne grimpe dans le monde au cours des 6 à 18 prochains mois.
Un syndrome superposable à la fibromyalgie
« Des données inquiétantes et allant dans ce sens nous avaient déjà été fournies par les précédentes épidémies de SARS et de MERS », nous explique le Pr Carmen Scheibenbogen, de l'Hôpital universitaire de la Charité de Berlin. Il est cependant important de bien distinguer l'asthénie post-infectieuse et le SFC, qui est d'ordre neuro-immunologique. « L'asthénie post-infectieuse est une réaction à la maladie et fait partie du processus de guérison. Elle peut n'être présente que pendant 1 à 2 semaines, mais sa durée peut aller jusqu'à 4 mois », ajoute l'immuno-oncologue. Ce n'est qu'après 6 mois de symptomatologie qu'il faut vérifier si on a affaire à un SFC, également appelé encéphalomyélite myalgique.
La possibilité de survenue d'un SFC après une maladie infectieuse est démontrée depuis longtemps par des études épidémiologiques, et elle est donc tout à fait vraisemblable dans le contexte actuel. A titre d'exemple bien documenté, Carmen Scheibenbogen évoque l'épidémie de SARS qui a frappé Toronto en 2003, infectant 273 personnes par un coronavirus appartenant à la même famille que le SARS-CoV-2. L'épidémie avait fait 44 victimes, et 10% des survivants (soit 22 patients, quasi tous des soignants) montraient une symptomatologie de SFC trois ans plus tard. Ils étaient devenus incapables de travailler à cause de myalgies diffuses, de faiblesse générale, de fatigue persistante, d'état dépressif et de sommeil non réparateur. Au travers d'une étude cas-contrôle, des chercheurs ont comparé ces patients post-SARS à des patients fibromyalgiques. Ils ont observé une superposition de ces deux troubles sur le plan de nombreuses caractéristiques, dont l'enregistrement ECG au cours du sommeil.
Un phénomène déjà observé à Toronto en 2003
Les suites persistantes de la maladie s'expliqueraient par une action directe du virus et par le traumatisme psychologique qu'aurait provoqué l'infection. Les études ultérieures ont fait émerger l'hypothèse que le trouble pourrait s'étendre à l'ensemble du cerveau et y provoquer une inflammation chronique.
La flambée de SARS observée à Toronto en 2003 faisait partie de la première épidémie provoquée par le SARS-CoV. Elle a frappé 8 000 personnes dans 29 pays et fait 774 victimes. « Sa gravité était donc nettement moindre que celle de la pandémie actuelle, mais elle avait tout de même entraîné une mortalité de 10% », rappelle le Pr Scheibenbogen. En comparaison, la mortalité liée au SARS-CoV-2 s'élève en moyenne à 6,4% des personnes infectées – mais avec des variations importantes d'un pays à l'autre.
Une fatigue chronique et des troubles psychiatriques
Un autre argument plaidant pour un lien entre le SARS et la fatigue chronique est fourni par une étude portant sur 233 survivants qui étaient passés par un hôpital de Hongkong : 40% d'entre eux se plaignaient encore de symptômes évoquant la fatigue chronique 4 ans après l'épidémie, et environ un quart d'entre eux ont été diagnostiqués porteurs d'un SFC.
Dans le cas du MERS, une fatigue chronique et des troubles psychiatriques ont été observés chez un nombre significatif de survivants. En 2015, le MERS-CoV a infecté 186 personnes en Corée du Sud, entraînant 36 décès. Un an plus tard, une étude prospective incluant 72 survivants a montré la présence d'une symptomatologie dépressive dans 27% des cas, d'après les réponses au Patient Health Questionnaire-9. Un an et demi plus tard, ce chiffre s'élevait encore à 17%. Quant à la proportion de personnes souffrant d'une fatigue chronique (diagnostiquée au moyen de l'échelle Fatigue Severity Scale), elle s'élevait, respectivement, à 48 et 33%. Les chiffres relatifs au stress post-traumatique provoqué par le MERS et estimés par l'échelle Impact of Event Scale-Revised étaient à peine inférieurs.
Des prévisions alarmantes
En se basant sur les données de l'étude du SARS à Toronto, le site d'information The Canary a calculé qu'aux Etats-Unis, un an après la pandémie de Covid-19, entre 408 000 et 3 570 000 personnes pourraient souffrir de symptômes semblables à ceux du SFC. Deux ans après l'infection, ces chiffres pourraient baisser d'environ 43%, en s'appuyant sur ce qui est observé dans la mononucléose. Autrement dit, entre 175 000 et 1 500 000 personnes présenteraient encore un SFC. Les chiffres se basent sur des estimations des CDC (Centers for Disease Control), selon lesquelles entre la moitié et les deux-tiers des 330 millions de citoyens américains se feraient infecter par le SARS-CoV-2, avec le décès de 200 000 à 1,7 million d'entre eux.
Les infections bactériennes peuvent aussi déclencher un SFC
« Nous savons au moins depuis 2006, au travers de l'étude Dubbo, que les infections bactériennes sévères peuvent également déboucher sur un SFC », ajoute Carmen Scheibenbogen. Cette étude prospective de cohorte incluait 253 habitants de Gubbo, une commune rurale d'Australie. Ils avaient été atteints de mononucléose, de fièvre Q ou d'une polyarthrite épidémique provoquée par des virus Ross River. Après 6 mois, 12% de ces patients souffraient encore d'asthénie, de myalgies et d'arthralgies, de déficits neurocognitifs et de troubles de l'humeur. Chez certains d'entre eux, la symptomatologie était tellement marquée qu'elle rencontrait les critères diagnostiques du SFC.
Il existe également un lien entre la grippe et le SFC, d'après une analyse rétrospective de cohortes de militaires touchés par la pandémie de grippe asiatique 1957-1958. Il en allait de même pour la vague de grippe H1N1 qui a sévi en 2009 : une étude norvégienne a montré un risque de SFC multiplié par deux. Par ailleurs, une "encéphalite léthargique" a été rapportée après la pandémie grippale de 1918.
Se ménager pendant les 3 premières années
La pandémie de Covid-19 nous montre déjà que de nombreuses personnes qui en ont guéri ne récupèrent pas rapidement leur énergie et leur état de santé antérieur. Les patients infectés par le SARS-CoV-2 doivent être suivis pendant 24 mois. Certaines observations indiquent que les 3 premières années joueraient un rôle clé dans une possible chronicisation, d'après un communiqué de la Lost-Voices-Stiftung, qui s'intéresse tout particulièrement aux personnes atteintes de SFC. Pour éviter ce passage à chronicité, il serait capital de respecter les (faibles) limites d'énergie qui découlent de la maladie, au lieu d'essayer de les relever par de l'entrainement physique.
Le syndrome de fatigue chronique
Un article de consensus décrit le SFC comme une maladie multisystémique, avec une dérégulation du métabolisme énergétique, du système immunitaire et du système nerveux. Sa survenue est généralement soudaine, souvent après une infection – surtout par le virus d'Epstein-Barr, mais aussi par des bactéries comme les chlamydias, les légionelles ou les coccidies. Les études ont montré une réaction immunitaire constante et renforcée, comme si l'organisme se battait contre quelque chose qui n'existe pas.
Le SFC s'observe le plus fréquemment au cours de deux tranches d'âge : 10-19 ans et 30-39 ans. Sa prévalence serait estimée à 0,3%, et il toucherait 3 fois plus les femmes que les hommes.
Ce qui doit faire penser à un SFC :
Les plaintes sont présentes depuis au moins six mois.
Les patients éprouvent des difficultés à effectuer leur travail et leurs tâches privées, ainsi qu'à rester en contact avec d'autres personnes.
Une charge mentale ou physique légère suffit à leur donner l'impression d'être épuisé.
Présence de symptômes (pseudo-)grippaux, avec douleurs nucales et ganglions hypertrophiés
Troubles du sommeil, sommeil non réparateur
Tensions musculaires, membres douloureux, céphalées
Nausées et symptômes gastro-intestinaux
Modification du poids corporel
Perte de la libido
Plaintes cardiovasculaires
Dyspnée
Résistance limitée à l'effort, avec aggravation de l'état (Post Exertional Malaise PEM, "Crashes")
Troubles de l'humeur, anxiété, crises de panique
Troubles de la concentration et de la mémoire
Le SFC ne peut se diagnostiquer que par la clinique, et il n'existe aucun marqueur spécifique de la maladie. Il faut exclure d'autres diagnostics possibles, comme les cancers, la sclérose en plaques, le diabète, les apnées du sommeil, les effets indésirables de certains médicaments, les maladies psychiques et les affections hépatiques. Le diagnostic différentiel avec la dépression est parfois difficile, à cause d'une certaine similitude symptomatique. Les éléments qui plaident plutôt pour une dépression sont l'installation insidieuse de la maladie, sans signes associés comme la fièvre, une amélioration par les activités physiques ou mentales, ou encore le retrait plutôt que la recherche d'une aide.
Il n'existe actuellement aucun traitement du SFC. L'objectif principal de la prise en charge est d'atténuer les symptômes, par exemple à l'aide d'antalgiques ou d'une thérapie comportementale. La ME-Association conseille l'auto-management : une routine quotidienne bien réglée, une alimentation de qualité, une activité physique modérée, le recours aux méthodes de relaxation et l'appel à des structures d'entraide comme l'ASFC.
Cet article a été initialement publié sur l’édition allemande de Mescape sous le titre Droht nach der Corona- die CFS-Pandemie? Experten befürchten, dass die Häufigkeit durch SARS-CoV-2 stark ansteigt . Traduit et adapté par le Dr Claude Leroy.
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Citer cet article: Après l’épidémie de COVID-19, les spécialistes redoutent une vague de fatigue chronique - Medscape - 2 juil 2020.
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