POINT DE VUE

Votre pire dilemme éthique ? Les médecins ont répondu

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

23 juin 2020

France ― Les questionnements éthiques sont nombreux dans la pratique médicale. Dans le cadre de notre enquête 2020, nous avons posé une ultime question aux médecins français : quel a été le dilemme éthique le plus marquant auquel vous avez été personnellement confronté dans votre carrière? Fin de vie, acharnement thérapeutique, maltraitance… plusieurs thèmes ressortent des nombreux témoignages que nous avons recueillis auprès de 900 praticiens.

La fin de vie

Comment accompagner le patient que l’on n’a pas pu sauver? La fin de vie, même hors contexte exceptionnel du Covid-19, pose des dilemmes éthiques, et est sans conteste le sujet le plus souvent évoqué par les répondants au sondage 2020. Certains ont été profondément marqués par la décision d’interrompre les soins, que ce soit en raison de l’avancée inéluctable de la maladie ou à la demande même des patients, en accord ou non avec les familles. En première ligne, réanimateurs, anesthésistes, urgentistes, dont c’est le quotidien, mais aussi pédiatres, gériatres, oncologues, généralistes… Toutes les spécialités y sont confrontées. Que le patient soit une personne âgée, un individu en pleine force de l’âge, ou un enfant, c’est avec émotion que les médecins racontent. Mon plus grand dilemme éthique a été … :

 « La poursuite d'une chimiothérapie chez une jeune fille de 16 ans dont je m'occupais depuis 10 ans, sans famille présente en France. L'issue fatale de sa maladie était certaine, la chimio étant proposée à visée antalgique. Mais elle souffrait terriblement... et me parlait sans cesse de ses projets d'avenir puisque j'étais son interlocutrice privilégiée. Toute l'équipe me demandait d'arrêter, je n'arrivais pas à m'y résoudre. Un anesthésiste, sollicité pour la soulager, lui a donné une dose euthanasiante. Je ne m'en remets pas. C'était une époque où on était bien seul pour ce genre de décision... » ― Pédiatre

« Débrancher une enfant trachée-ventilée sans autonomie, avec une atteinte neurologique majeure, sur réunion collégiale et comité d'éthique bien sûr, mais contre l'avis des parents, ultra-religieux. L'enfant a été débranchée un lundi après-midi, en l'absence des parents qui avaient été prévenus la semaine précédente. J'en ai été très triste. » ― Pédiatre

« Assurer la fin de vie de bébés porteurs d'une malformation cardiaque ou d’enfants en phase terminale, avec des parents dans le déni… Continuer une réanimation sur un nouveau-né au-delà de 10 minutes… Poursuivre les soins chez un nourrisson qui malheureusement a subi trop de réanimations et qui souffre d'une infirmité motrice cérébrale sévère... » ― Pédiatre

« Arrêter les soins c’est chez un jeune homme de 18 ans, en coma dépassé depuis plusieurs jours, sur avis collectif médical et avis de la famille concordants » ― Anesthésiste

« La demande d’euthanasie d’un jeune homme de 30 ans. » ― Oncologue

 « L’euthanasie d'une jeune femme atteinte de carcinose péritonéale sur cancer de l'ovaire récidivé, en échappement thérapeutique. » ― Stomatologue

« Une patiente en perte d'autonomie, mais pas en fin de vie, qui demandait une euthanasie active. » ― Gériatre

« La demande de retrait d'un masque de ventilation non invasive d'un patient avec une sclérose latérale amyotrophique, demandeur de mourir. » ― Gériatre

Lorsque le patient est un proche, une connaissance, ou un collègue, la situation est particulièrement dramatique.

« L’arrêt des traitements chez un collègue traumatisé crânien. » ― Anesthésiste

 « La supplique d'un patient en phase terminale, que je connaissais en dehors de l'exercice de ma profession, et dont l'état de santé était fort dégradé. » ― Anesthésiste

Les praticiens sont nombreux à se questionner sur « le dilemme entre soulager le patient de l'évolution inéluctable de sa maladie et le respect de la Loi. ». Pour ce réanimateur en service néonatal, « classer les patients par gravité de la situation n'est pas éthique, car chaque cas est différent et concerne un Individu. Ces dilemmes éthiques sont quotidiens. »

Dans notre sondage, 42% des médecins se sont prononcés en faveur de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté pour les patients dont les souffrances ne peuvent être atténuées, et ce même s’ils pouvaient survivre encore plusieurs années.

L’acharnement thérapeutique

« A quel moment faut-il arrêter les traitements chez le patient en fin vie, afin d'éviter l'acharnement thérapeutique ? » ― Gériatre

Si l’arrêt des soins constitue l’un des plus grands dilemmes éthiques, la poursuite, envers et contre tout, des traitements, interroge également les médecins. Dans notre sondage, 80% des répondants estimaient que la décision d’arrêter les soins de maintien artificiel de la vie n’était pas prise trop tôt en France, bien au contraire.

« La population n’accepte pas la mort, même de patients très âgés ou dont l’issue fatale est évidente. La pression sociale et médicale pousse à réanimer des patients que l’on sait hors de toute ressource thérapeutique, ou à dépenser de l’énergie et des moyens disproportionnés par rapport à l’évolution attendue des patients » ― Urgentiste

« Je travaille dans un centre de transplantation : quand faut-il stopper les soins chez les patients sous ECMO, p.ex. pour arrêt cardiaque? Jusqu'où aller chez des patients non autonomes pour le suivi des traitements du fait de pathologies psychiques? Est-il licite de greffer en sachant que par la suite, une IDE à domicile devra passer 2 à 3 fois par jour pour s'assurer de la prise des traitements? » – Réanimateur

 « Maintenir en vie un patient de 18 ans en état de mort cérébrale pour le week-end, à la demande de la famille – pour que le date de décès du patient ne concorde pas avec celle d’un mariage ayant lieu dans la famille ce moment là ― alors que des collègues étaient contre cette décision. » ― Cardiologue

« Poursuivre des soins d'un patient en réanimation sous la contrainte violente de la famille (pour des raisons religieuses alléguées) et sur demande de la direction de l'hôpital pour ne pas compromettre la sécurité de l'équipe soignante. » ― Anesthésiste

« Arrêter les soins de réanimation à un homme de 60 ans avec une tumeur cérébrale opérée maintes fois. Famille très demandeuse de soins lourds et dans le déni de la situation désespérée. Sachant que les deux dernières interventions neurochirurgicales étaient déjà quasi inutiles, mais la famille a insisté... » ― Anesthésiste

La balance bénéfique-risque, cruciale à l’exercice de la médecine, est ainsi souvent questionnée. Certains témoignent de la pression à laquelle ils sont soumis pour prolonger des traitements, qu’ils savent pourtant inutiles.

« Pratiquer des actes médicaux très douloureux, alors qu’on sait que c’est plus à but diagnostic que curatif, et cela n’apporte rien au patient en terme de guérison. » ― Anesthésiste

« Entreprendre un traitement alors que je le savais vouer à l'échec. » ― Cancérologue

« Des anesthésies pratiquées pour des actes chirurgicaux qui n’apportent pas de bénéfices chez les patients en terme de qualité de vie. » ― Anesthésiste

« Chez des patients très âgés, le problème est qu’ils ne peuvent être opérés sans risque majeur. La discussion avec la famille et les anesthésistes est complexe. Parfois, on se demande si on n’aurait pas dû insister davantage pour opérer le patient quand même, et parfois on se dit qu’on n’aurait pas dû l’opérer. Ce sont des questions qu’on se pose quasiment toutes les semaines dans cette population. » ― Chirurgienne vasculaire

Le refus des soins

À l’inverse, lorsqu’un patient renonce au traitement, c’est pour beaucoup de médecins un aveu d’échec qui est parfois vécu avec culpabilité.

« Le plus difficile à gérer dans ma pratique est le refus de soins, qu’il soit de la part d’un adulte en pleine possession de ses moyens, mais encore plus d’un parent pour son enfant. » ― Généraliste

 « Accepter qu'un patient avec une hépatite C active refuse le traitement, l'accompagner dans la cirrhose puis l'hépatocarcinome. À ce moment, il avait accepté la chimiothérapie, mais trop tard. Puis faire le certificat de décès, alors que des traitements de plus en plus pertinents apparaissent. Je n'ai pas su le convaincre et à la fin il m'a dit ‘ah, si seulement je vous avais écouté.’ » ― Généraliste

« Un patient coronarien grave qui a refusé le traitement. » ― Cardiologue

« Faire face à un patient jeune, à qui j'avais pris le temps de tout expliquer, qui refusait toute prise en charge thérapeutique sur une maladie aortique sévère. » ― Cardiologue

« Ma propre famille qui a refusé des soins vitaux dans des circonstances mortelles. » ― Dermatologue

« Accepter par défaut le refus d'un patient (et de sa famille) d'être soigné d'un cancer potentiellement curable. » ― Oncologue

Le refus des soins de la part des patients en raison de leurs convictions religieuses est un des cas les plus fréquemment cités. Bien que troublés, les médecins sont unanimes pour respecter le consentement des patients. A contrario, aucun doute n’est permis dans les cas pédiatriques, ce qui peut conduire à des situations conflictuelles avec les familles.

« Il m'est arrivé de transfuser un mineur de 12 ans dont les parents étaient témoins de Jéhovah, après en avoir demandé l'autorisation (de nuit, par fax) au procureur de la république. Sauver un enfant malgré ses parents ne m'a pas empêché de dormir. » ― Cardiologue

« Un jeune patient de 16 ans, drépanocytaire, dont les parents, témoins de Jéhovah, refusaient la transfusion. Le patient voulait être sauvé mais n'osait pas s'opposer à ses parents, ni à son dieu. J'ai transfusé contre l'avis des parents. Le patient m'a remercié, en cachette de ses parents. » ― Endocrinologue

 « La transfusion d’un patient témoin Jéhovah en réanimation (finalement transfusé avec son accord, sans le dire à sa famille / communauté). » ― Néphrologue

« Le refus de transfusion, par la famille, d'un patient témoin de Jéhovah qui présentait une hémoptysie massive. La famille avait apporté un papier signé du patient la semaine précédente. Après rapide discussion avec plusieurs confrères, nous avons accepté ses volontés et le patient est décédé. » ― Généraliste

« Une patiente témoin de Jéhovah avec une leucémie aiguë… que l'on n'a pas pu traiter. » ― Hématologue

Secret médical et VIH

Le secret médical, un des piliers de la pratique de la médecine, peut être parfois remis en question lorsque l’état de santé d’un patient peut nuire à autrui. C’est l’avis de plus de la moitié des médecins ayant répondu à notre sondage. L’impossibilité de révéler la séropositivité de leurs patients VIH qui ont des conduites à risque, a été citée de multiples fois comme étant le dilemme éthique les ayant le plus marqué.

« Ne pas pouvoir révéler la séropositivité du mari à son épouse car il s'y opposait… » ― Anesthésiste

« Un patient connu HIV+ depuis longtemps, qui n'a pas mis au courant sa compagne avec qui il avait 3 jeunes enfants. » ― Réanimatrice

« Entretien avec la femme d'un patient HIV+, ignorant tout du statut sérologique de son mari, hospitalisé et décédé très vite en réanimation sur infection fungique fulminante. Dire ou ne pas dire la cause du décès ? » ― Anesthésiste

« Ne pas révéler à une mère de famille, inquiète de la santé de sa fille, que cette dernière était porteuse du VIH au stade SIDA... » ― Réanimateur

« Le cas d’un homme ayant trompé son épouse lors d'une virée entre potes avec passage chez des prostituées, qui était en refus de prévenir son épouse de son atteinte par le VIH, et qui ne voulait pas prendre de précautions. » ― Gériatre

« Sérologie positive et mariage. Comment dealer profession médicale et police. » ― Urgentiste

La maltraitance

Même si 83% des médecins indiquent n’avoir jamais hésité à signaler un cas de violence conjugale, nombreux sont ceux qui ont voulu témoigner de la maltraitance, en particulier intrafamiliale, dont ils ont été témoins au cours de leur carrière. Il en ressort un sentiment d’impuissance et du long chemin qu’il reste à parcourir pour que ces patients soient pleinement pris en charge.

« La dénonciation d'un grand-père soupçonné de violences sexuelles sur son petit-fils. » ― Chirurgien

« Me savoir incapable de travailler en psychothérapie avec un homme incestueux avec sa fille. » ― Psychiatre

  « Parents qui ne mettent pas en place les soins pour leurs enfants... Des enfants condamnés à une scolarité pénible, car leurs parents ne font pas le nécessaire. » ― Pédiatre

« Dans un cadre anonyme, la prise en charge des mineurs qui refusent de porter plainte ou de parler de situations difficiles à leurs tuteurs. » ― Dermatologue

 « Accepter de laisser repartir, avec son mari ivre, une femme visiblement maltraitée car elle devait récupérer ses enfants eux-mêmes en danger. J’ai gardé le certificat de CBV (coups et blessures volontaires) dans le dossier en espérant qu’il n’irait pas un jour trop loin … PMI prévenue pour les enfants, mais pour l’adulte je ne pouvais rien imposer. »

« Savoir qu’une femme battue ne dénoncerait pas son mari malgré une longue discussion en consultation. »  ― Diabétologue

« La question du signalement d'un enfant en danger parce que sa mère était victime de violences conjugales s'est posée et a été discutée en équipe. » ― Gynécologue

Interruptions de grossesse

Les IMG représentent un peu moins de 1% des naissances en France. La décision de procéder ou non à cette intervention se prend le plus souvent dans un contexte particulièrement dramatique, qui tourmente encore certains praticiens.

« Un avortement thérapeutique chez une femme atteinte d’un glioblastome, qui avait dû attendre longtemps pour avoir un enfant. Avis pris avec le comité d’éthique de l’hôpital. » ― Oncologue

« Une femme poly handicapée, MMS effondré, enceinte d’un proche parent. Les gynécologues avaient décidé de garder l'enfant. Nous devions la prendre en charge secondairement en réanimation. » ― Urgentiste

« Une femme enceinte victime d'un traumatisme crânien extrêmement sévère. Le futur père demandant l'arrêt des soins et que l'enfant décède avec elle. L'équipe soignante a choisi de garder la patiente en vie jusqu'à la naissance de l'enfant. Les suites ont été très dures… le père ne pouvant prendre soin de l’enfant. La vie à tout prix ! Quelle souffrance infligée ! » ― Urgentiste

« Refuser, contre l'avis unanime de mon équipe, de pratiquer une interruption de grossesse et une stérilisation forcées à une schizophrène plusieurs fois enceinte, tabagique, alcoolique, ayant abandonné tous ses enfants à la naissance. » ― Psychiatre

« Refuser d'interrompre une grossesse à la demande des parents pour un fœtus suspect d'être atteint de sclérose tubéreuse de Bourneville, mais sans certitude d'avoir fait le bon diagnostic avant la naissance. La décision au final a été la bonne, les tubes du fœtus ont régressé et l'enfant était indemne de la maladie. » ― Gynécologue

Environ 225 000 IVG sont pratiquées en France. Dans notre sondage, 75% des médecins ont déclaré qu’ils accepteraient de pratiquer une IVG, dans les délais prescrits, quels que soient leurs principes. Certains praticiens ont pourtant listé comme dilemme éthique premier, le choix de certaines patientes à interrompre une grossesse non désirée. Rappelons que les raisons de procéder à une IVG sont multiples et le plus souvent non révélées ni à l’entourage, ni au soignant, en particulier dans le contexte de violences conjugales où les femmes sont parfois dans l’impossibilité de maintenir une contraception.

« La participation aux consultations d’anesthésie IVG, alors que je refuse d’endormir les patientes qui font ce choix. » ― Anesthésiste

« Généralement pour adresser à un centre d'avortement des écervelées qui sont enceintes pour la énième fois et qui refusent toute contraception même mécanique. » ― Généraliste

« Réalisation du dixième IVG chez la même patiente. » ― Gynécologue

« L’IVG devenue simple moyen contraceptif. »  ― Généraliste

 « J'ai pu être choqué par des demande d'IVG par des patientes en cours de traitement de PMA pour des raisons de dates d'accouchement. Mais j'ai répondu à la demande des patientes. » ― Gynécologue

Signaler un confrère

Pour beaucoup de médecins, ce sont les relations inter-professionnelles qui ont pu être la source d’un questionnement éthique majeur. Dénoncer un confrère? Oui, pour 70% des répondants lorsqu’il s’agit de harcèlement moral ou sexuel. Si la pratique d’un médecin collègue ou ami était impactée par la drogue, l’alcool, ou la maladie, 56% praticiens confirment qu’ils signaleraient la situation. Les erreurs médicales, les pratiques frauduleuses et les doutes sur les compétences des confrères sont également des dilemmes éthiques récurrents.

 « Un collègue était régulièrement en état d'ivresse pendant ses gardes, et le chef de service ne faisait rien. Devais-je passer par-dessus et faire un signalement au Conseil de l'ordre? ― Psychiatre

« Signaler ou non au Conseil de l’ordre un praticien hospitalisé dans mon service avec des troubles cognitifs, mais qui pratiquait encore la médecine générale en libéral? » ― Gériatre

« Dénoncer ou pas mon supérieur hiérarchique qui travaillait sous l’emprise de l’alcool, notamment en astreinte. » ― Anesthésiste

 « J’ai signalé un médecin remplaçant avec de graves troubles psychiatriques au Conseil de l'ordre. » ― Généraliste

« Signaler un soignant qui usait de toxiques à des fins personnelles et dont le comportement avec les patients devenait agressif. » Médecin en soins de support

« J’ai refusé de participer à des pratiques frauduleuses de la part d’un chef de service… Une enquête a finalement confirmé ce que j’ai signalé et a abouti à une sanction de ce chef qui était protégé... » ― Chirurgien cardiaque

« Révéler à une jeune patiente qu'elle avait été opérée et avait reçu une chimiothérapie pour un cancer qu'elle n'avait pas (erreur d’anapath). » ―Oncologue

« Ne pas avoir dénoncé un médecin urgentiste harceleur. » ― Cardiologue

 « La dénonciation d’un collègue ayant volé mes ordonnances pour prescrire des tranquillisants dans le cadre d’une toxicomanie conjugale. Aucune sanction de la part de la Sécu ou de l’Ordre. » ― Anesthésiste

« Devoir me taire devant une prise en charge inadaptée (interne versus universitaire). » ― Radiologue

« Adresser un patient à un collègue avec des doutes sur ses compétences. » ― Cardiologue

« Devoir endormir pour des opérateurs non compétents pour des pathologies complexes nécessitant un avis spécialisé. » ― Anesthésiste

« Falsification d'un résultat de prise de constante pour protéger un infirmier, sans conséquence sur la vie du patient. » ― Addictologue

Des patients pas comme les autres

Certaines expériences, plus rares, rappellent que pratiquer la médecine est un art psychologiquement à risque.

« Quand une patiente m’a parlé de sa ‘’super nouvelle rencontre’’ et que j’ai compris que c’était mon ex-mari, je lui ai expliqué que je ne pouvais plus la suivre et je l’ai adressée à un confrère. » ― Psychiatre

« Soigner en service ouvert un patient détenu, gardé par deux officiers de police judiciaire en armes qui l’avaient littéralement enchaîné à son lit et qui ne le quittaient pas des yeux. Est-ce vraiment soigner? Aucun contact possible avec ce patient réputé dangereux. » ― Brûlologue

« Un patient que j'avais diagnostiqué aux urgences avec un néo du pancréas multi métastasé, donc avec pronostic très sombre. ll m'avait demandé s'il pouvait venir me revoir pour discuter (en dehors de tout contexte romantique), mais j'ai évité car je ne pouvais plus l'aider professionnellement, et j'ai eu du mal à établir mes barrières humaines envers lui. Un mois plus tard, quand je me suis décidée à demander de ses nouvelles, j'ai appris qu'il était déjà décédé... La barrière de ma blouse blanche avait été touchée par une personne qui demandait l'humain, la personne en qui il faisait confiance dans ce nouvel univers qui s'ouvrait devant lui, et j'ai dit non… » ― Urgentiste

 « Endormir des fillettes pour une excision en Afrique. J'ai refusé d'anesthésier la première, je l'ai entendue hurler… j'ai endormi les suivantes. » ― Anesthésiste

« Amputation ou non des 2 bras et 2 jambes d’un patient dans les suites d’un choc septique avec nécrose des 4 membres. » ― Urgentiste

 « Aux urgences, un femme enceinte de 6 mois, arrivée illégalement en France, ne parlant pas français. Le mari avait été intercepté et renvoyé dans son pays. Cancer du sein polymétastique d’évolution rapide. Qui pour s’occuper de son enfant? Aucune structure prévue pour cela. Le traducteur, bouleversé, refuse de traduire la vérité (non guérissable, avec atteinte poumon-foie-os.) Je propose un retour dans son pays pour qu’elle puisse mettre au monde son bébé et décéder entourée de son mari et de ses autres enfants.  Mais le centre anti-cancéreux finit par l’accepter malgré la non-prise en charge financière. Résultat : une petite de 3 ans en foyer d'accueil, un avortement thérapeutique, 4 lignes de chimiothérapies non efficaces et décès en 7 mois, seule.  Pas de rapatriement du corps au pays, fille récupérée par son père à la frontière 2 mois plus tard. J’ai été ulcérée et bouleversée par cette prise en charge. C’était il y plus de 10 ans, je me souviens encore de son nom, de son prénom. On ne doit pas faire « tout ce qu’il est possible de faire », mais ce qu’il est « raisonnable » de faire. » ― Oncologue

Confrontés à des situations professionnelles bouleversantes, les médecins ne font que très rarement appel à l’aide d’un professionnel pour partager leurs doutes, leurs interrogations et leur colère, voire atténuer leurs symptômes de dépression. De telles structures existent sous forme de plateformes d’écoute et de standards téléphoniques, mais peut-être ne répondent-elles pas complètement aux besoins des soignants. Les cellules éthiques de soutien qui se sont mises en place ou ont été renforcées pendant l’épidémie de Covid, de même que les espaces de bien-être et de parole créés au sein même de l’hôpital constitueront peut-être des réponses plus adaptées, si elles perdurent au-delà de la crise.

 

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