ASCO 2020 : changements de pratique dans le cancer colorectal

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

11 juin 2020

Paris, France—Lors de l’ASCO 2020, plusieurs études importantes ont été présentées dans le cancer colorectal qui devraient amener les oncologues à changer leurs pratiques à plus ou moins court terme.

Nous en avons sélectionné cinq :

  • L’étude KEYNOTE-177 a montré l’intérêt de l’immunothérapie pembrolizumab en première ligne dans le cancer colorectal métastatique (CCRm) Micro Satellite Instable (MSI) et ou Mismach repair déficient (dMMR). Elle a été présentée en session plénière.

  • L’étude MEDITREME suggère un signal positif de la double immunothérapie dans les cancers colorectaux métastatiques non MSI.

  • L’étude PRODIGE-23 valide la chimiothérapie néodjuvante comme nouveau standard de traitement dans le cancer du rectum.

  • Les données de survie globale de l’étude IDEA chez les patients atteints d’un cancer du côlon de stade III montrent que, pour un bénéfice pratiquement équivalent, 3 mois de chimiothérapie sont beaucoup moins toxiques que 6 mois.

  • Le suivi de l’étude BEACON CRC présente l’intérêt des associations thérapeutiques dans le cancer colorectal métastatique avec mutation BRAF ayant progressé malgré une ou deux lignes de traitement.

KEYNOTE-177 en late breaking trial

Chez des patients atteints de cancer colorectal métastatique (CCRm) Micro Satellite Instable (MSI) et ou Mismach repair déficient (dMMR), l’immunothérapie pembrolizumab en première ligne améliore significativement la survie sans progression par rapport au traitement standard : chimiothérapie ± thérapie ciblée (16,5 mois versus 8,2 mois), d’après les résultats de l’essai international de phase III KEYNOTE-177 présentés en session plénière lors du congrès virtuel de l’ASCO 2020 [1].

Pr Thierry André

« Dans le passé, aucun traitement médical n'a montré une telle différence en termes d'amélioration de la survie sans progression dans le CCRm. Le pembrolizumab doit donc devenir le traitement de référence de 1ère ligne des patients atteints d’un cancer CCRm MSI. Il s’agit d’une population représentant environ 1250 nouveaux patients par an en France, pouvant être sélectionnée facilement par la biologie moléculaire et/ou immunohistochimie de la tumeur colorectal, et chez laquelle, la probabilité d’efficacité du pembrolizumab est très importante. L'espoir est qu'après avoir arrêté le pembrolizumab, certains patients soit guéris de leur maladie métastatique », a indiqué l’intervenant et premier auteur de l’essai, le Pr Thierry André (chef de service du service d’Oncologie Médicale de l’hôpital Saint Antoine, Unité INSERM Instabilité des Microsatellites et Cancer, UMRS 938).

 
L'espoir est qu'après avoir arrêté le pembrolizumab, certains patients soit guéris de leur maladie métastatique. Pr Thierry André
 

Contexte et protocole de l’étude

L’orateur précise que les cancers du côlon MSI représentent 15% des CCR localisés et 5% des formes métastatiques. Dans les CCR localisés de stade I et II, le statut MSI est un facteur de bon pronostic, et de pronostic intermédiaire pour les stades III. En revanche, c’est un facteur de mauvais pronostic pour les stades métastatiques, les chimiothérapies conventionnelles étant moins efficaces.

Dans l’étude, les patients ont été randomisés pour recevoir soit du pembrolizumab toutes les 3 semaines par voie intraveineuse pendant 2 ans ou jusqu’à progression ou toxicité inacceptable (n=153), soit le traitement de référence (n=154), c’est à dire une chimiothérapie par FOLFOX 6 modifié ou FOLFIRI, associée ou non au bévacizumab ou à du cétuximab (option possible selon le statut moléculaire RAF). 

Une réduction de 40% du risque de progression sous pembrolizumab

Les résultats rapportent une amélioration significative de la survie sans progression avec un doublement de la médiane dans le groupe pembrolizumab, de 16,5 mois versus 8,2 mois dans le groupe chimiothérapie, soit une réduction de 40% du risque de progression sous pembrolizumab (versus chimiothérapie ; HR=0,60 [0,45-0,80] ; p=0,002).  A 24 mois de la randomisation, 48,3% des patients traités par pembrolizumab n’avaient pas progressé et ont pu arrêter tout traitement vs 18,6% pour ceux traités par chimiothérapie.

« Au total, 36% des patients initialement traités par chimiothérapie ont pu avoir un cross-over et recevoir du pembrolizumab à la progression comme cela était proposé dans le protocole de l’étude, et 35 autres patients sortis de l’étude ont aussi reçu secondairement un inhibiteur de PD-1/L1. Les données de survie globale non encore matures au moment de l’analyse seront communiquées ultérieurement », précise le Pr André.

Quelle tolérance ?

Le profil de tolérance est plus favorable sous pembrolizumab avec 22% d’évènements indésirables de grade 3 ou 4 versus 66% sous chimiothérapie. Comme pour l’ensemble des inhibiteurs de PD-1, les principaux évènements indésirables de grade 3-4 étaient immuno-médiés avec le pembrolizumab, et essentiellement de type colite (3%) et hépatite (3%).

« Ces résultats devraient permettre l’obtention d’une Autorisation de Mise sur le marché (AMM) européenne pour le pembrolizumab en 1ère ligne dans le traitement des cancers du côlon métastatiques MSI. Il y un triple gain pour le patient : une amélioration de la PFS, une moindre toxicité et un schéma d’administration beaucoup plus léger qu’avec la chimiothérapie », conclut le Pr André.

 
Ces résultats devraient permettre l’obtention d’une Autorisation de Mise sur le marché (AMM) européenne pour le pembrolizumab en 1ère ligne dans le traitement des cancers du côlon métastatiques MSI. Pr Thierry André
 

« La seule petite inquiétude est qu’au début de l’étude, on observe un petit groupe de « progresseurs » précoces sous immunothérapie qui bénéficieraient plus de la chimiothérapie. Il faudra donc bien cibler les patients. Mais pour tous les autres, les résultats sont très impressionnants », a commenté le Pr Frédérique Penault-Llorca (Vice-présidente Unicancer – Directrice générale du Centre Jean Perrin de Clermont-Ferrand) lors d'un point presse Unicancer.

MEDITREM : signal positif de la double immunothérapie dans les CCRm non MSI

L’analyse intermédiaire de l’étude française MEDITREME [2] présentée à l’ASCO par le Pr Francois Ghiringhelli (unicancer Dijon) a montré que dans les cancers colorectaux métastatiques non MSI (soit la grande majorité des cancers colorectaux métastatiques), la combinaison de la double immunothérapie durvalumab (anti-PD-L1) et tremelimumab (anti ctlA4) à la chimiothérapie (FOLFOX) permettait 87% de contrôle de la maladie. « Chez ces patients, la combinaison de la chimiothérapie avec deux immunothérapies pourrait être très intéressante même si les résultats finaux sont attendus pour dans un an. C’est un signal majeur », a commenté le Pr Frédérique Penault-Llorca

PRODIGE-23 : la chimiothérapie néodjuvante nouveau standard de traitement dans le cancer du rectum

Pr Thierry Conroy

Lors de l’ASCO 2020, le Pr Thierry Conroy (Institut de Cancérologie de Lorraine, Nancy) a présenté les résultats positifs de l’étude PRODIGE 23 , étude de phase III menée en France chez 461 patients avec un diagnostic récent de cancer du rectum localement avancé (stades II ou III) [3]. Ils valident la stratégie de chimiothérapie première par FOLFIRINOX en amont de la radiochimiothérapie préopératoire de référence.

« Cette chimiothérapie première améliore significativement la survie sans progression et va changer nos pratiques en France. C’est une étude majeure », a commenté le Pr Frédérique Penault-Llorca.

 
Cette chimiothérapie première améliore significativement la survie sans progression et va changer nos pratiques en France. Pr Frédérique Penault-Llorca
 

Il ressort des résultats présentés que 3 mois de FLOFIRINOXm (6 cycles) en pré-opératoire permettent d’améliorer la survie sans maladie de 31 % dans le bras « chimiothérapie première » (75,7% vs 68,5%, p=0,034).

Aussi, pour ces cancers du rectum de stade II/III, la chimiothérapie néoadjuvante par FOLFIRINOXm augmente significativement la probabilité de réponse histologique complète (28% vs 12 %, p<0,01) et de chirurgie à visée curative (laparotomie non thérapeutique : 0% dans le bras chimiothérapie première et 3,7% dans le bras contrôle, p=0,007).

« La chimiothérapie première mFOLFIRINOX s’est avérée un protocole sûr avec des toxicités gérables. Elle n’impacte ni la faisabilité de l’ensemble du traitement, ni sa tolérance, ni la qualité de vie globale, plutôt en faveur du bras mFOLFIRINOX », a commenté le Pr Conroy lors de sa présentation.

« La chimiothérapie première suivie de radiochimiothérapie doit être à présent considérée comme une nouvelle option de traitement dans la prise en charge initiale des patients atteints de cancer du rectum de stades T3-4 », a conclu le Pr Conroy.

IDEA : les résultats de SG confirment l’intérêt d’une chimiothérapie raccourcie

Les données de survie sans progression de l’étude IDEA (International Duration Evaluation of Adjuvant Chemotherapy) présentés à l’ASCO l’année dernière suggéraient que 3 mois de chimiothérapie adjuvante faisaient pratiquement aussi bien que 6 mois, avec beaucoup moins d’effets secondaires chez les patients porteurs d’un cancer du côlon de stade III.

Les résultats finaux de l’étude IDEA ont été présentés à l’ASCO 2020 [4]. Ils analysent la survie globale et « ne permettent pas de conclure formellement et statistiquement que les durées de chimiothérapie adjuvante de 3 et 6 mois sont strictement équivalentes en population générale chez les patients porteurs d’un cancer du côlon de stade III (règles statistiques étaient particulièrement strictes). Mais, 6 mois par rapport à 3 mois, n’améliorent que de 0,4% la survie globale à 5 ans et sont responsables d’une augmentation considérable de la toxicité et du cout pour le système de santé », indique le Pr Thierry André, co-auteur de l’étude.

Le traitement standard actuel des cancers du côlon de stade III repose sur la chirurgie suivie de 6 mois de chimiothérapie (FOLFOX6 modifié ou XELOX) dont l’efficacité a été largement confirmée. Cependant, délivrée sur une période de 6 mois, cette chimiothérapie présente une toxicité dont une neuropathie sensitive parfois définitive, des diarrhées, nausées, manques de globules blancs et de plaquettes, de la fatigue, des mucites et des syndromes main-pied.

Cette toxicité a incité 12 pays à initier 6 études prospectives académiques, avec la planification d’une analyse poolée internationale appelée IDEA afin d’évaluer l’intérêt de raccourcir la durée de la chimiothérapie adjuvante à 3mois. Au total, 12 834 patients atteints d’un cancer du côlon de stade III ont été inclus.

Une survie globale pratiquement identique et beaucoup moins d’effets secondaires

La nouvelle analyse des résultats réalisée après un suivi médian d’environ 5 ans indique qu’une durée de chimiothérapie de 3 mois impacte la survie globale, mais avec une différence très faible, de 0,4% entre les deux groupes de traitement (3 mois et 6 mois), avec des taux de survie globale à 5 ans de 82,4% (3 mois) et de 82,8% (6 mois) (HR=1,02 ; IC95% : 0,95-1,11 ; p=0,058) et une toxicité diminuée d’un facteur 2 à 6 entre 3 et 6 mois de traitement.

Les analyses de la survie globale dans différents sous-groupes :

  • Il n’y a pas de perte d’efficacité chez les patients avec tumeurs à faible risque (T1 à T3, N1) avec 3 mois de CAPOX

  • Il y a une minime perte d’efficacité (1 à 2% sur la survie globale) avec 3 mois de CAPOX chez les patients avec tumeur à haut risque (T4 et/ou ou N2) et avec 3 mois de FOLFOX pour les patients avec tumeurs à faible risque

  • Il y a une perte d’efficacité certaine avec 3 mois de FOLFOX chez les patients avec tumeur à haut risque.

« Grace, aux résultats de cette étude, en France, environ 6 000 à 8000 patients par an pourront voir leur durée de traitement passer de six à trois mois. La conséquence est double : moins de séquelles et environ 50 millions d’euros économisés chaque année par la Sécurité Sociale française », conclut le Pr André.

 
Grace, aux résultats de cette étude, en France, environ 6 000 à 8000 patients par an pourront voir leur durée de traitement passer de six à trois mois. Pr Thierry André
 

BEACON CRC : Intérêt des associations thérapeutiques dans le cancer colorectal métastatique avec mutation BRAF

Les données actualisées à 6 mois de l’étude de phase 3 BEACON ont été présentées lors du congrès de l’ASCO 2020 [5].

Elles montrent que l’association d’un inhibiteur de BRAF (encorafénib) et d’un anticorps monoclonal anti-EGFR (cétuximab), avec ou sans inhibiteur de MEK (binimétinib) améliore la survie globale et le taux de réponse objective chez des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique avec mutation BRAFV600 (5 à 10 %), ayant progressé malgré une ou deux lignes de traitement.

En tout, 224 patients ont reçu la triple association encorafénib/cétuximab/binimétinib, 220 patients la double association encorafénib/cétuximab et 221 patients un protocole laissé au choix des investigateurs (irinotécan et cétuximab ou FOLFORI et cétuximab).

Il en ressort que la survie globale médiane était de 9,3 mois avec la triple association (HR 0,60, 0,47-0,75) et la double association (HR 0,61, 0,48-0,77) versus 5,9 mois dans le groupe traitement standard.

En termes de tolérance, les taux d’effets indésirables de grade 3 ou plus étaient respectivement de 65,8%, 57,4% et 64,2%.

 

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