Des initiatives pour prendre soin des soignants ont vu le jour pendant le COVID…et après ?

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

10 juin 2020

France – Ces dernières semaines ont été très éprouvantes pour les professionnels du monde de la santé, au sens large, mais en particulier pour les aides-soignant.e.s et les infirmier.e.s qui ont été en première ligne tout au long de la crise. Heureusement, très rapidement, des dispositifs originaux ont émergé dans les hôpitaux, à l’initiative même de soignants, pour accompagner et soulager au mieux leurs collègues éprouvés.

Ainsi, des espaces d’écoute informels ont été créés spécifiquement à leur attention, dans les services mêmes, soit au plus près de ceux qui en avaient besoin. Autre nouveauté née de cette crise : des « bulles » de bien-être où les soignants (et parfois des administratifs) ont pu souffler, trouver une oreille attentive et professionnelle, papoter ou encore bénéficier d’un soin relaxant (hypnose, sophrologie, …) ont été improvisées, à la manière d'un sas de décompression.

Des initiatives conçues par ou pour les hospitaliers, qui souhaitent désormais qu’elles perdurent au-delà de la crise du COVID. Témoignage du Dr Marguerite d’Ussel, responsable de la consultation douleur à l’Hôpital Saint-Joseph (Paris) et du Pr Marie-Rose Moro, psychiatre et directrice de la Maison de Solenn à l’hôpital Cochin (Paris).

A l'hôpital Saint-Joseph à Paris, un espace de consultation inutilisé est réaménagé en lieu de détente et box de consultation (Crédit photo : Dr Marguerite d'Ussel)

Pour les soignants, un tunnel de 2 mois ou plus

Toutes ces dernières semaines, les professionnels du monde de la santé, ont été en première ligne dans la gestion de l'épidémie de Covid-19. Sous pression, dans des services qui leur étaient parfois inconnus, ils ont été soumis à nombre de facteurs stressants voire traumatisants, comme faire face à de nombreux décès ou gérer le risque de contaminer leur famille. « Pour les infirmier.e.s et les étudiants, cette crise a été comme la traversée d’un tunnel de 2 mois, parfois plus. Ils ont donné le maximum en termes d’énergie, à n’investir sur rien d’autre que leur travail, et à apprendre des choses nouvelles. Ils ont fourni de nombreux efforts pour canaliser leurs forces sur ce qu’ils faisaient » raconte le Pr Moro.

Aller au-devant des personnels soignants

Pour soutenir les soignants, des plateformes d’écoute psychologique ont été mises en place, jouant leur rôle, mais peut-être pas aussi efficacement que l’ont été des dispositifs créés spécifiquement pendant cette crise du COVID et consistant à aller au-devant des soignants au sein même de l’hôpital. « Les plateformes d’écoute sont nécessaires, mais elles ne sont pas toujours adaptées aux besoins et certaines reçoivent, au final, peu d’appels. Cela semble souvent lointain et impersonnel aux soignants, témoigne le Pr Moro. C’est pour cela que l’hôpital Cochin a mis en place le dispositif « AVEC » pour « aller vers les équipes COVID ». En clair, des psychiatres et des psychologues issus de la Maison de Solenn (Maison des adolescents de Cochin) ont pris 5/10 minutes matin, midi et soir pour rencontrer les personnels soignants (médecins, infirmières, étudiants) dans leurs services et discuter avec eux de façon informelle de leurs inquiétudes. « C’est un système qui fonctionne bien » juge le Pr Moro.

Pause-café, yoga, massage

Autre innovation liée à la crise du COVID : la création de « bulles » de bien-être à l’intérieur des hôpitaux. Dans le 14ème arrondissement de Paris, la Fondation Hôpital Saint-Joseph fait office de précurseur. Dès la fin du mois de mars, le Dr Marguerite D’Ussel, médecin spécialiste de la douleur dans l’établissement, sait, de par les retours d’expérience en Italie et dans le Haut-Rhin, que les personnels vont être sursollicités et épuisés. Elle s’interroge alors sur la façon d’utiliser ses compétences – celles qu’elle a l’habitude de mettre à profit des patients douloureux chroniques – pour soutenir les services qui en auraient besoin. Un appel à bénévoles et à matériel est lancé sur le réseau professionnel Linkedin. Une semaine après, le 27 mars, un espace de consultation inutilisé est réaménagé en lieu de détente et box de consultation. On peut venir faire une pause, en buvant un café ou une tisane, faire une sieste dans un fauteuil relaxant, prendre part à la fresque participative, participer à un cours de yoga ou déstresser avec l’hypnose. En cas de difficultés rencontrées dans les équipes, de troubles du sommeil ou de troubles anxieux, des rendez-vous peuvent être pris avec la psychologue de l’équipe (formée à l’EMDR) ou avec le kinésithérapeute pour un soin de thérapie manuelle.

Une initiative qui a en inspiré d’autres

Quand on demande au Dr d’Ussel qui a profité de la « bulle », elle indique que « tous les services ont été représentés, y compris le service informatique, très sollicité quand il s’est agi de mettre en place la téléconsultation, ou encore les assistantes médicales très occupées à rappeler les patients. En créant du lien, cet espace hétérogène est devenu homogène ». En pleine crise du CIVID, la réponse proposée par le Dr d’Ussel a essaimé dans d’autres établissements hospitaliers. A l’hôpital Cochin, on a aussi investi deux salles d’un ancien cloître pour y créer une « bulle » de décompression, sous la houlette du Dr Hervé Lefèvre, pédiatre à la Maison des Adolescents. Même principe, les équipes viennent au moment des changements, toutes professions confondues, pour discuter, partager et profiter de soins psycho-corporels (massage, shiatsu) ou faire de la boxe, de la méditation de pleine conscience ou du yoga. « Au cours de cette petite parenthèse d’une demi-heure, on porte une vraie attention aux personnels, c’est notre façon de prendre soin d’eux » explique le Pr Moro. D’autres espaces de ce type, ouverts la plupart du temps en journée, de 7h à 21 heures environ, ont émergé au CHI de Villeneuve-St-Georges (94) et à celui de Créteil (94) ou encore au CHU du Kremlin-Bicêtre (94) sous l’impulsion du Dr Isabelle Nègre, chef de service du Centre d’Étude de la Douleur (CETD).

Quid de l’après COVID ?

Très appréciés, ces nouveaux lieux de détente dans les établissements hospitaliers créés à la faveur de la pandémie ont sans nul doute aidé les personnels soignants et administratifs à faire face plus efficacement à l’épidémie. « D’ailleurs, le personnel, à la fois touché et porté par cet endroit bienveillant où se ressourcer, en redemande » remarque le Dr D’Ussel. Au vu de leur succès, on ne peut qu’imaginer, voire souhaiter, qu’ils perdurent au-delà de l’épisode COVID. Et ce d’autant que retourner aujourd’hui dans leur service d’origine, alors que le pic est passé, ne signifie pas moins d’adrénaline, moins de stress… « L’après COVID peut être bien plus difficile, considère le Pr Moro, avec beaucoup de nouvelles contraintes et de précautions. Il va aussi se produire un décalage dans le fait de retourner dans des services qui n’ont pas connu la crise du COVID. Arrivent aussi les questions de sens sur le travail passé et futur. Il y a les patients qui sont morts seuls, les familles à qui on a dû dire non, les moments où on s’est dit « je n’ai pas fait assez bien ». De même, des questions sur les conditions concrètes d’organisation du travail, le manque de soutien, vont apparaître ».

Faire perdurer la bulle

De son côté, le Dr d’Ussel précise que des études récentes menées dans différents pays ont confirmé ce que l’on savait déjà de précédentes épidémies à coronavirus de type SARS et MERS, à savoir que les troubles du sommeil, les troubles anxieux, les troubles dépressifs et addictifs, et que le syndrome de stress post traumatique étaient largement majorés chez les personnels soignants dans les suites de l’épidémie, mais surtout pouvaient se manifester à distance parfois un ou deux ans après l’épidémie. « Raison de plus pour anticiper la suite et que la bulle perdure » assure-t-elle.

A ce jour, les démarches entreprises par le Dr d’Ussel auprès de la Fondation de France et de la Fondation Hôpitaux de Paris assurent des financements qui vont permettre à la bulle de se maintenir pendant encore au moins 6 mois. La spécialiste de la douleur réfléchit déjà à enrichir l’offre, avec des sessions nocturnes pour les équipes de nuit, en proposant des séances de réflexologie et en se dotant de casques de réalité virtuelle.

Même constat à l’hôpital Cochin et même volonté de prolonger des dispositifs mis en place dans l’épidémie et qui fonctionnent. « Cette crise a amplifié et mis en évidence les manques, mais elle a aussi permis de prendre soin, de réfléchir de façon pluridisciplinaire, et il en restera quelque chose » espère le Pr Moro.

 

Crédit photos : Dr Marguerite d'Ussel

 

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