Des avancées majeures dans le cancer de la prostate avec deux études sur l’utilisation du PSMA en diagnostic et thérapeutique (TheraP et CONDOR), et une nouvelle hormonothérapie orale avec le rélugolix (étude HERO) : le point avec Constance Thibault et Manuel Rodrigues.
[Voir la 2e partie : les cancers de la vessie et du rein]
TRANSCRIPTION
Manuel Rodrigues — Bonjour et bienvenue sur le site de Medscape Édition française. Je suis le Dr Manuel Rodrigues et nous allons commenter, aujourd’hui, le congrès de l’ASCO 2020, qui était virtuel. Nous allons parler de cancer urologique, et en particulier de cancer de prostate, avec trois études : deux sur le PSMA [antigène membranaire spécifique de la prostate] et une 3e sur une nouvelle hormonothérapie. Nous avons avec nous le Dr Constance Thibault, oncologue médical à l’hôpital européen Georges Pompidou, à Paris. Dr Thibaut, le PSMA, qu’est-ce que vous en dites ?
Utilité du PSMA en diagnostic et en thérapeutique : études TheraP et CONDOR
Constance Thibault — Le PSMA est une molécule qui est très spécifique des cellules prostatiques et qui est actuellement en cours d’évaluation dans le cancer de la prostate avec deux dimensions : l’une à visée diagnostique, avec le TEP [tomographie à émission de positons] lorsque le PSMA est couplé au gallium, et une autre thérapeutique lorsque le PSMA est couplé par exemple au lutétium.
Cette année à l’ASCO, il y a eu deux présentations que j’ai trouvées très intéressantes.
La première est TheraP[1], une étude une phase 2 qui évaluait le LuPSMA à visée thérapeutique en comparaison au cabazitaxel chez les patients qui avaient été prétraités par docétaxel, et pour 90 % d’entre eux, ils avaient aussi reçu une nouvelle hormonothérapie. Le critère de jugement principal était le taux de réponse biologique. Résultats : ils sont en faveur du luPSMA par rapport au cabazitaxel, avec un profil de tolérance tout à fait acceptable — avec comme principaux effets secondaires du luPSMA : de la xérostomie dans 60 % des cas (c’était des grades 1 et 2) et une sécheresse oculaire (grade 1 et 2, avec seulement 35 % de grade 3-4).
La deuxième étude est CONDOR[2] qui utilisait le PSMA cet fois à visée diagnostique, donc dans le cadre d’un TEP scanner. Il était étudié dans le cadre d’une phase 3 de patients qui présentaient une rechute biologique après un traitement local. 208 patients ont été inclus dans cette étude qui avait été faite à la demande de la FDA avec à peu près les deux tiers des patients qui avaient un TEP PSMA positif et l’examen standard de comparaison au TEP PSMA pour identifier, justement, ces rechutes biologiques, était composite. C’est-à-dire que soit c’était un TEP-choline, qui est aussi utilisé dans cette indication, soit c’était une preuve histologique, soit c’était d’autres examens qu’on va considérer comme plus standards (par exemple l’IRM). Résultats : en comparaison à ce standard, la spécificité du TEP PSMA était de 97 %, la sensibilité de 44 %, avec une localisation correcte du site de la récidive d’entre 85 % et 87 %. Ce range-là s’explique par le fait qu’il y avait trois médecins nucléaires qui interprétaient les TEP PSMA, et ce qui est quand même très intéressant, c’est que pour les deux tiers des malades, les résultats de ce TEP ont modifié la prise en charge de cette rechute biologique. Donc on espère que cela permettra de pouvoir accéder à ce TEP PSMA qui, malheureusement, n’est encore pas utilisé en pratique courante en France, avec des accès à cet examen diagnostique très limité.
Manuel Rodrigues — Et on peut associer les deux : dépister, trouver la rechute. En l’occurrence, en thérapeutique, c’était utilisé après docétaxel, donc le patient était déjà métastatique prouvé, mais on peut faire le TEP diagnostique PSMA, et ensuite faire du thérapeutique PSMA, et le suivre sur le TEP-gallium […]?
Constance Thibault — J’ai omis de dire effectivement que dans le cas de l’étude TheraP, qui évaluait le PSMA à visée thérapeutique couplé au lutétium, pour être inclus, il fallait que les patients aient un TEP PSMA positif. Et ils avaient aussi tous un TEP FDG. Cette fois-ci il fallait que les lésions secondaires ne fixent pas au TEP FDG. Donc en couplant le TEP PSMA avec, s’il est positif, le PSMA à visée thérapeutique, c’est vrai qu’on a à la fois du diagnostic et du thérapeutique. Donc c’est ce qui est très séduisant avec cette molécule.
Manuel Rodrigues — Très bien. La troisième étude, c’était pour nouvelle hormonothérapie ?
Nouvelle hormonothérapie orale avec le rélugolix – étude HERO
Constance Thibault — C’est une étude de phase 3 qui s’appelle HERO[3] et qui évaluait le rélugolix, un antagoniste de la LH-RH [hormone de libération de la lutéinostimuline], comparé à un agoniste de la LH-RH, le leuprolide.
Cette étude a fait l’objet d’une publication simultanée dans le New England Journal of Medicine . C’est très intéressant parce que la seule molécule antagoniste de la LH-RH qu’on utilise actuellement était le Firmagon [degarelix] qui présente l’inconvénient d’être administré uniquement de manière mensuelle, et surtout ce sont des injections qui peuvent être douloureuses au point de ponction et entraîner parfois des réactions inflammatoires qui peuvent être assez gênantes pour les patients.
Là, c’est un antagoniste de la LH-RH qui se prend de manière orale, tous les jours — c’est un comprimé — et qui a été comparé à l’agoniste de la LH-RH, avec un objectif principal qui était l’obtention d’une castration persistante à 48 semaines, c’est-à-dire un taux de testostérone émis inférieur à 50 ng/dL. C’était une étude de non-infériorité.
Résultats : non seulement c’était non inférieur, mais c’était même supérieur, avec un taux de castration à 48 semaines de 96,7 % sous rélugolix versus 89 % chez les patients qui avaient le leuprolide, avec l’absence, évidemment, de flare-ups — c’est aussi l’avantage des antagonistes par rapport aux agonistes — et surtout, une récupération du taux de testostérone à un seuil au-dessus du seuil de castration de 50 ng/dL, en quelques semaines seulement après l’arrêt du traitement.
Un autre point très intéressant : le risque cardiovasculaire, parce qu’on sait que les hormonothérapies augmentent le risque d’événements cardiovasculaires, dans les mois qui vont suivre l’introduction de ce traitement. Avec cet antagoniste de la LH-RH par voie orale, le risque d’événements cardiovasculaires majeurs (c’est-à-dire infarctus, AVC) était diminué de moitié par rapport au leuprolide. Donc des résultats vraiment très intéressants, et on espère qu’on pourra utiliser cette molécule très rapidement.
Manuel Rodrigues — Oui, ce sont des résultats majeurs, parce que c’est vrai que les agonistes sont nécessairement en injection sous-cutanée, habituellement, et cela peut être assez pénible. Et j’avais vu aussi, si je me souviens bien, que le taux de testostérone s’effondrait très vite après quelques jours de prise. Je ne sais pas si c’est pertinent, mais c’est très impressionnant.
Constance Thibault — Exactement. Après, c’est vrai qu’avec l’antagoniste en injection, ce sont aussi des diminutions assez rapides, mais là, non seulement il y a une diminution rapide et on diminue le risque d’événements cardiovasculaires, mais en plus il y a une récupération très rapide du taux de testostérone, donc c’est vrai que c’est très séduisant pour les malades qui vont avoir besoin de l’hormonothérapie, soit sur une courte période, soit de manière discontinue, parce qu’ils vont récupérer un taux de testostéronémie et ne plus avoir cette castration qui impacte, évidemment, la qualité de vie de nos malades.
Manuel Rodrigues — Il faudra espérer que ce ne soit pas trop cher, parce qu’effectivement cela représente énormément de malades. Il faudra qu’on puisse l’assumer. Très bien. Merci et à bientôt pour une autre vidéo sur les cancers de la vessie et du rein.
Discussion enregistrée le 17 juin 2020
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Citer cet article: Cancer de la prostate : 3 études marquantes de l’ASCO 2020 - Medscape - 9 juin 2020.
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