Transcription/adaptation—Vidéo enregistrée le 2 juin 2020
Paris, France —Bonjour. Gilles Pialloux — je suis professeur de maladies infectieuses à l’université Paris-Sorbonne et à l’hôpital Tenon, à Paris, dans le 20e. Je suis ravi de retrouver le public de Medscape pour ce vidéoblogue. Évidemment, on est encore dans le COVID-19, même si la marée est clairement descendante en réanimation, nous avons eu deux entrées ces jours-ci en réanimation de patients COVID+.
Un imbroglio d’informations et de contre-informations
C’est compliqué d’y voir clair dans cet imbroglio et dans ce déferlement d’informations, de contre-information et, surtout, de communication grand public, donc on va quand même commencer avec hydroxychloroquine avec ou sans macrolides.
La première question est : est-ce que l’étude du Lancet parue le 22 mai est une étude « foireuse » issue de « Big data » ? [NB : l’étude n’a pas encore été retractée à la date où a été filmée cette vidéo ] Je rappelle, pour ceux qui n’auront pas suivi le dernier déroulement, c’est une étude rétrospective sur des registres, donc on ne connaît pas tout à fait l’origine, ce qui est un petit problème, mais on va peut-être le savoir. Ce qui était percutant dans le papier du Lancet du 22 mai, c’était le fait qu’on avait 96 032 patients dont un groupe était non traité, majoritairement, et il y avait 14 888 patients qui étaient sous traitement : 1868 recevaient la chloroquine, 3783 recevaient chloroquine et macrolides, 3016 recevaient hydroxychloroquine seule et 6221 recevaient le cocktail dit marseillais, c’est-à-dire l’hydroxychloroquine plus macrolides.
Les résultats sont assez spectaculaires sur l’analyse de base de données, puisque non seulement il n’y a pas de différence d’action sur le COVID-19, mais surtout – et c’est ça surtout qui a été le plus commenté – c’est qu’il y a une augmentation très significative des décès liés à des arythmies ventriculaires puisqu’on passe de 0,3 % dans le groupe contrôle à 6,5 % dans le bras recevant chloroquine et macrolides, ce qui est assez important, et 8,1 % dans le bras hydroxychloroquine plus macrolides. Tout ça, bien sûr, avec de nombreux biais qui sont en partie discutés dans le papier.
Risque CV : de nombreux biais mais un faisceau de signaux et un rationnel biologique
Mais je pense qu’on ne peut pas, dans l’attente, bien sûr, des méta-analyses, oublier un autre article dans une revue à haut impact factor qui a été peut commentée et un peu oublié, qui est une étude du JAMA datée du 11 mai, qui est une étude rétrospective, bien sûr, sur des patients hospitalisés — 1438 patients hospitalisés — et, là aussi, cet article des équipes de New York concluait que le risque d’arrêt cardiaque était significativement plus important avec un odds ratio à 2,13, intervalle de confiance allant de 1,12 à 4,05 chez les patients recevant l’association hydroxychloroquine plus azithromycine. Si vous rajoutez à ça les données qu’on peut fournir en annexe de ce blog de la pharmacovigilance de la région des Alpes maritimes, il y a une vraie préoccupation.
Et ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est normal que ce débat ait lieu puisque si on regarde les RCP des macrolides, d’une part, de l’hydroxychloroquine d’autre part, on a dans les deux une alerte sur les troubles du rythme. Et évidemment, dans les deux il est marqué clairement qu’il ne faut pas associer des molécules allongeant le QT — c’est la première chose — et, troisièmement, évidemment, c’est probablement le cocktail hydroxychloroquine plus azithromycine plus une pathologie avec un tropisme cardiaque, puisqu’on a déjà dit dans une vidéo précédente — on a des séries de formes sévères avec 20 % de myocardites.
Forte prescription d’HCQ… pas seulement dans la région PACA
Je voudrais aussi revenir, peut-être, sur un document que vous pouvez télécharger, qui est public, qui est un document du groupe EPI-PHARE qui est, un groupe de travail conjoint de l’agence du médicament, de l’ANSM, et de la caisse nationale d’assurance-maladie, qui a fait un énorme travail sur les prescriptions durant la période de janvier au 19 avril et les consommations de médicaments en fonction de l’analyse des ordonnances adressées à l’assurance-maladie. C’est tout à fait édifiant et tout à fait intéressant. Évidemment, il y a tout ce qui concerne la surconsommation d’antidépresseurs, etc., et la baisse de consommation de certains antibiotiques, mais vous avez, évidemment, un segment de ce rapport très copieux qui est consacré à l’hydroxychloroquine. Durant les cinq semaines de confinement, les prescriptions sont montées de plus de 7000 % à la semaine 13 — et l’analyse ce travail de l’ANSM et de la caisse nationale d’assurance-maladie fait état de l’ordre de 10 000 patients traités, ce qui est tout à fait spectaculaire. Et puis l’autre chose qui est intéressante à savoir, c’est que dans cette analyse on a les taux de prescription pour 100 000 habitants. Eh bien, finalement, quand on regarde — et je reprends mes chiffres — on est, en région PACA, à 47 prescriptions d’hydroxychloroquine pour 100 000 habitants, ce qui est au-dessus de la moyenne, mais vous êtes, dans le Grand Est, qui résiste pas mal, à 25 pour 100 000 habitants, on est à 37 en Île-de-France pour 100 000 habitants et, en Corse, on est à 31 pour 100 000 habitants de prescriptions d’hydroxychloroquine. Ça veut dire quoi ? Eh bien, ça veut dire que cette prescription a été nationale et qu’évidemment, opposer ce qui s’est passé en région PACA et dans le reste de la France doit tenir compte de cet élément.
Un espoir avec l’anakinra
Un autre élément plus positif et moins conflictuel est la publication le 29 mai, donc il y a quelques jours à peine dans Lancet Rhumatology, mais Medscape s’en est déjà fait l’écho, d’un bras de l’étude CORIMUNO qui est une étude, comme vous le savez, avec peu de patients inclus rapidement dans des essais contre groupe contrôle et là, il s’agissait de l’anakinra. L’anakinra est un inhibiteur de l’interleukine 1. Nous avons un critère composite qui est l’admission en réanimation et/ou les décès et on a très clairement une diminution avec un hazard ratio de 0,22 en faveur de l’anakinra, qui est un élément tout à fait encourageant.
Un doublement des morts subites en IdF pendant le confinement
Je voudrais terminer par un point moins polémique, mais tout à fait nouveau, qui est une publication du Lancet Public Health du 27 mai, qui est une étude faite par les cardiologues de l’hôpital Georges Pompidou et les pompiers sur un registre des morts subites à Paris. Et ce registre des morts subites a été analysé dans la période qui est celle du confinement — les six semaines de la période de confinement — et il montre très clairement, en comparant cette même période sur les années précédentes, parce que c’est un registre qui existe depuis 2011, qu’il y a eu une augmentation très importante, puisqu’on est passé d’une incidence de 13,42 morts subites par millions d’habitants à 26,64 — cela a doublé —. Il y a une discussion très intéressante sur les causes de cette augmentation par deux du nombre de morts subites avec, notamment, moins de patients qui sont arrivés en réanimation ou dans les services d’urgence. Et l’explication en est assez simple — c’était probablement la saturation du 15 — et, dans cette étude, évidemment, est discuté le rôle du COVID et le rôle du COVID « jouerait » pour un tiers dans l’augmentation de l’incidence de ces morts subites. Et je crois que c’est un travail assez important et qui ouvre une nouvelle ère : celle, à la fois, des manifestations post-COVID, dont nous parlerons la prochaine fois, et celle du poids indirect qu’a eu cette pandémie COVID sur les autres pathologies. Je vous remercie.
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Citer cet article: HCQ, anakinra, confinement et morts subites… Le point sur l’actualité du COVID-19 - Medscape - 8 juin 2020.
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