Paris, France — La vaste étude observationnelle du Lancet suggérant un excès de mortalité chez les patients hospitalisés recevant de l’hydroxychloroquine avec ou sans azithromycine a porté un sévère coup de frein à la recherche sur l’hydorxychloroquine comme potentiel traitement du COVID-19[1].
Cette réponse est-elle justifiée, proportionnelle ? Certains en doutent.

Pr Christian Funck-Brentano
Nous avons posé la question au Pr Christian Funck-Brentano, cardiologue, pharmacologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et co-auteur d’une récente analyse de pharmacovigilance portant sur plusieurs millions de rapports d’effets indésirables émis au niveau international (base OMS). Ce travail a confirmé que l’hydroxychloroquine, mais surtout l’azithromycine et la combinaison des deux, avaient bien un impact délétère sur le système cardiovasculaire, même si cette toxicité reste rare [2].
Selon lui, les autorités ont celui raison de suspendre les inclusions dans les bras hydroxychloroquine des études en cours, mais des questions demeurent. Il explique pourquoi …
Réactions disparates aux résultats du Lancet
En France, dans la foulée des résultats du Lancet, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a recommandé de ne pas utiliser l’hydroxychloroquine (seule ou associée à l'azithromycine) dans le traitement du Covid-19, chez les patients, ambulatoires ou hospitalisés, et ce quel que soit le niveau de gravité. Aussi, l’ANSM a annoncé, par mesure de précaution, la suspension des inclusions de patients infectés par le SARS-CoV-2 dans les 16 essais cliniques autorisés en France pour évaluer l’hydroxychloroquine. Enfin, le gouvernement a abrogé le décret permettant la délivrance de l’HCQ par les pharmaciens dans l’indication de COVID-19.
De son côté, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a annoncé suspendu temporairement le bras hydroxychloroquine de son essai international SOLIDARITY, visant à trouver un traitement efficace de la COVID-19 [3].
Pourtant certaines voix questionnnent la méthodologie de l’étude et demandent à avoir accès aux données brutes comme l’épidémiologiste James Watson (université d’Oxford), à l’origine d’une lettre ouverte aux auteurs qui a regroupé plus de 180 signataires ou le Pr Didier Raoult (IHU, Marseille) qui a qualifié l’étude de «foireuse». Ce dernier, dans un entretien accordé à Sud Radio, a rapporté avoir lui-même soumis un article sur la cohorte traitée à l’IHU au Lancet, qui l’aurait « rejeté sans revue ». Le résumé, disponible sur internet, mentionne un taux de létalité (proportion de patients positifs au Covid-19 décédés) de 0,9 %, 0,67% d’allongements du QT et aucune torsades de pointe.
Aussi, de par le monde, les essais cliniques visant à mesurer l’efficacité de l’hydroxychloroquine n’ont pas tous été interrompus après la publication de l’étude du Lancet. Contrairement à l’OMS, l’université McGill de Montréal, au Canada, a décidé de maintenir le sien, aucun des 1 000 patients inclus n’ayant présenté jusqu’à présent d’arythmie cardiaque. Et, au Royaume-Uni, la National Health Service a également décidé de reprendre son essai RECOVERY après avoir constaté l’absence de problème de sécurité.
Certains dénoncent l’arrêt des prescriptions d’hydroxychloroquine et un excès de principe de précaution, d’autres saluent des actions de bon sens. Nous avons demandé son avis au Pr Christian Funck-Brentano, cardiologue, pharmacologue à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris.
Medscape : Le risque cardiovasculaire associé à l’hydroxychloroquine, l’azithromycine et à l’association des deux produits peut-il être plus important chez les patients COVID-19 que dans les indications habituelles de ces traitements ?
Pr Christian Funck-Brentano : Oui, c’est probable, car les patients atteints de Covid-19 présentent des facteurs favorisant l’apparition de troubles du rythme cardiaque. Un tiers des patients infectés par le SARS-CoV-2 développent des lésions cardiaques et beaucoup présentent déjà un allongement de l’intervalle QT, qui pourrait se retrouver accentué sous l’effet de ces traitements.
A votre avis, fallait-il arrêter les essais testant l’hydroxychloroquine dans le Covid-19 ?
Pr Funck-Brentano : Les autorités se montrent responsables en demandant de suspendre les études cliniques. En ce sens, elles ont raison. Mais, si les analyses des études en cours sont rassurantes, il faut espérer que les essais cliniques randomisés pourront rapidement reprendre. Le risque CV associé apparait faible. J’espère que les essais randomisés vont reprendre sous le contrôle d’un comité de surveillance indépendant, qui peut recommander l’arrêt de l’étude en cas de signal d’alerte. C’est l’unique moyen de clore le débat sur l’intérêt de l’hydroxychloroquine dans cette indication.
Selon vous, les autorités ont-elles eu raison d’interdire la délivrance de l’hydroxychloroquine par les pharmacies dans l’indication Covid-19 ?
Pr Funck-Brentano : Il est justifié de ne plus délivrer l’hydroxychloroquine en pharmacie pour des indications liées au Covid-19. Le bénéfice n’étant pas démontré, prendre un risque, même minime, n’est pas acceptable. Et, cela permet de garder ce traitement pour les patients atteints de lupus et de polyarthrite rhumatoïde.
Le risque cardiovasculaire lié à l’hydroxychloroquine étant confirmé, faut-il s’attendre à un changement de pratique en rhumatologie ?
Pr Funck-Brentano : Je ne pense pas et je ne le souhaite pas. Le traitement est efficace dans cette indication et la mise en place d’une surveillance cardiaque fait partie des pratiques habituelles pour ces patients.
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Citer cet article: COVID-19 et arrêt des essais avec l’hydroxychloroquine : une réponse proportionnée ? - Medscape - 29 mai 2020.
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