Ile-de-France : doublement des arrêts cardiaques extra-hospitaliers pendant le confinement

Dr Jean-Pierre Usdin

2 juin 2020

Paris, France – La prise en charge des urgences a été indirectement profondément bouleversée par les mesures indispensables prises pour contenir la pandémie Covid-19. Le doublement de l’incidence des arrêts cardiaques extra-hospitaliers (ACEH) associé à une réduction de la survie révélée par une étude observationnelle menée en Ile-de-France à partir du registre Paris-Sudden Death Expertise Center (Paris-SDEC) en témoignent. Si le Covid-19 est peut être à l’origine de certains de ces décès, l’infection n’explique pas tout. L'étude suggère que la prise en charge initiale et le pronostic immédiat de ces cas ont par contre drastiquement changé pendant le confinement. Avec les commentaires du Dr Nicole Karam (service de cardiologie Hôpital Georges Pompidou Paris), qui a codirigé l'étude.

Du 16 mars au 26 avril 2020

L’équipe du Prs Eloi Marijon (service de cardiologie Hôpital Georges Pompidou Paris) vient de publier dans le Lancet la première grande étude épidémiologique observationnelle donnant une idée de l’impact de la pandémie sur nos systèmes de santé [1]. L’équipe parisienne s’est appuyée sur le registre Paris-Sudden Death Expertise Center (Paris-SDEC) qui répertorie systématiquement tous les arrêts cardiaques extra-hospitaliers en Ile-de-France depuis sa création le 15 mai. Soit au 26 avril, 30 768 d’ACEH (moyenne d’âge 68,4 ans 62% d’hommes) pour Paris et les départements limitrophes (6,8 millions d’habitants) sur la base des données des pompiers et des hôpitaux privés et publics. Ici, les chercheurs ont comparé l’incidence et l’évolution des ACEH pendant la période pandémique du Covid-19 sur les semaines 11-17 (16 mars-26 avril 2020) par rapport aux mêmes périodes les années précédentes.

Deux fois plus d’ACEH, deux fois plus graves

L’incidence hebdomadaire des ACEH a doublé pendant la période pandémique. Pendant la période de pandémie (du 16 mars au 26 avril 2020), 521 ACEH se sont produits, soit une incidence maximale hebdomadaire de 26,64 (IC95% 25,72–27, 53) par million d’habitants (semaines 13 et 14). C’est-à-dire le double de l’incidence maximale hebdomadaire à la même période entre 2012 et 2019, qui était de 13,42 (IC95% 12,77-14,07) par million d’habitants.

Par ailleurs, ces ACEH ont été significativement beaucoup plus graves : la proportion de patients vivants admis a diminué de 22,8% en période non pandémique à 12,9% en période pandémique (P<0,001).

« Notre analyse montre que le nombre de morts subites en Île-de-France a dramatiquement augmenté et la mortalité a doublé lors du maximum de la pandémie » commente le Dr Nicole Karam pour Medscape. « Ce qui est également remarquable c’est la survenue de la quasi-totalité des cas à domicile où peu de malades ont bénéficié des manœuvres de réanimation immédiates.»

Retard de la prise en charge à domicile

Les circonstances de survenue, les prises en charge, la survie lors de la période étudiée ont été manifestement modifiées, comparées aux périodes de référence, influençant de façon néfaste le pronostic. 90% des arrêts sont survenus à domicile (vs 77%), avec moins de manœuvres de réanimation 49% (vs 64%), moins de troubles du rythme relevant d’un choc électrique 9% (vs 19%), pas d’utilisation du défibrillateur semi-automatique 0,4% (vs 4%) et les équipes de secours arrivant plus tard.

Le retard des soins a été extrêmement préjudiciable à la survie. « Des études ont précédemment montré que la famille présente débutait peu souvent les manœuvres, Il y avait des témoins mais ils étaient tétanisés. De surcroît, et même si cela n’a pas pu être évalué dans notre étude, au bout de combien de temps l’appel aux services d’urgence a-t-il été entendu ? » précise le Dr Karam.

Cela pourrait expliquer le nombre moindre de rythmes cardiaques ayant pu bénéficier d’un choc électrique externe.

Après ajustement sur les facteurs confondants, la période pandémique reste significativement associée à un taux de survie plus faible à l’arrivée à l’hôpital (OR=0,36 ; IC95% : 0,24-0,52, P<0,001) bien que l’âge et le sexe des victimes soient identiques pendant les périodes comparées. Les auteurs rapportent 16 (soit 25%) patients admis ayant quitté vivants l’hôpital soit 3% de survie (16/571), un chiffre significativement plus faible que celui noté hors pandémie (5,4%).

Arrêts cardiaques en Lombardie : même effets mais le Covid-19 est plus souvent en cause

Dans la discussion, les auteurs ont mené une comparaison avec la situation en Italie. E Baldi et coll ont, en effet, publié une correspondance dans le New England Journal of Medicine faisant état des ACEH en Lombardie, région particulièrement touchée par la pandémie [2]. Leur constat concernant la majoration des ACEH, comme celui sur leur sévérité, et les circonstances de survenue (domicile et absence de manœuvres de réanimation), sont les mêmes. Mais selon eux, 77% des ACEH étaient directement en rapport avec le Covid-19.

Dans le registre parisien, 42 cas confirmés ou probables d’infection au SARS CoV-2 ont été répertoriés (17 et 25 respectivement) et pour les auteurs. Les auteurs ont pu estimer qu’environ 33 % du surplus de décès observé est directement lié au Covid-19.

« Contrairement à la Lombardie, tout en étant dans un contexte de sévérité et de nombre de cas importants, notre étude montre que le système de santé a été capable de prendre en charge sans critère de sélection tous les patients sans limitation spécifique » indiquent les chercheurs.

 « Il y a un nombre important de patients dont le décès n’est pas expliqué par l’affection virale. On peut penser que cela inclut nombre de patients avec un syndrome coronarien aigu victimes des effets collatéraux du Covid-19 » ajoute N. Karam pour Medscape.

D’autres facteurs ont probablement eu un impact : le suivi moins régulier de personnes cardiaques et/ou présentant des facteurs de risque pendant l’épidémie, la saturation de la médecine de ville et des services préhospitalier et hospitalier, les changements comportementaux de certaines personnes pendant cette épreuve de confinement bien particulière, voire éventuellement des effets délétères de certains médicaments utilisés par les patients pour pour traiter le Covid-19 [3].

Les auteurs ont pu estimer qu’environ 33 % du surplus de décès observé est directement lié au Covid-19.

Prévention et suivi, des stratégies pour le futur

Pendant les deux dernières semaines de l’étude malgré la persistance de la pandémie, les auteurs ont constaté une diminution de l’incidence des ACEH. Il faut voir dans cette relative amélioration l’effet d’une inversion des annonces diffusées au public : importance de la poursuite de la prise en charge des maladies chroniques, l’intérêt des téléconsultations.

« L’augmentation de l’incidence des ACEH souligne l’importance des décès collatéraux, qui ne sont pas pris en compte dans les statistiques du Covid-19 et qui devront être considérés quand il faudra établir les stratégies de santé publique lors de la pandémie » concluent les auteurs.

 

Cette étude a reçu des fonds de l’INSERM.

Les auteurs ne rapportent pas de conflit d’intérêt.

 

 

 

 

 

 

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