La prise en charge des maladies CV est-elle passée au second plan pendant le pic de l’épidémie ?

Dr Jean-Pierre Usdin

26 mai 2020

Paris, France — L’épidémie de COVID-19 a bouleversé notre système de santé et nos habitudes médicales, accaparant les capacités des services médicaux, des hôpitaux, des soins intensifs, ainsi que l’énergie des soignants qui se sont mobilisés pour prendre en charge les patients infectés par le virus. Les autres urgences médicales n’avaient pas disparu pour autant, mais peut-être ont-elles été brièvement reléguées en second plan en raison de l’émergence de l’épidémie de SARS-CoV-2. C’est le cas notamment des affections cardiovasculaires.

Plusieurs études, tant européennes que nord-américaines, montrent que la prise en charge des pathologies cardiovasculaires a été défavorablement impactée par l’épidémie de SARS-CoV-2. Une baisse des admissions pour syndrome coronarien aigu (SCA) a notamment été rapportée en Italie [1], tandis qu’aux Etats-Unis, la réalisation des IRM cérébrales a chuté de 40% pendants le pic de l’épidémie [2]. Nous les résumons ici.

En prévision de la seconde vague d’infections, de nouvelles recommandations ont été émises pour améliorer cette prise en charge [3]. Ces changements de la prise en charge cardiologique liés à la pandémie sont commentés pour Medscape édition française par le Dr Nicole Karam (service de cardiologie, hôpital Georges Pompidou, Paris) qui a participé à la rédaction des recommandations.

Décès en excès

Plusieurs études rapportent une hausse des décès, qui n’est pas forcément en lien avec l’épidémie. A New York, qui a concentré de nombreux cas d’infection survenus aux Etats-Unis, on a recensé un total 32 100 décès entre le 11 mars et le 2 mai 2020, dont plus de 24 000 en excès par rapport à l’année précédente, sur la même période, selon un récent bilan du New York City Department of Health and Mental Hygiene (DOHMH) [1].

Parmi ces décès en excès, 13 800 sont survenus chez des patients après un diagnostic d’infection par le SARS-CoV-2 et 5 000 chez des patients probablement infectés par le virus. Il reste 5 300 en excès qui « pourraient être attribués directement ou indirectement à l’épidémie », avancent les auteurs, évoquant le cas des patients souffrant de maladie cardiaque, de diabète ou autre pathologie chronique, dont l’état a pu s’aggraver en raison d’un manque de soins.

Dans une étude italienne, Dr Ovidio De Filipo (Hôpital universitaire de Turin, Italie) et ses collègues se sont intéressés à l’évolution des hospitalisations pour syndrome coronarien aigu (SCA) dans les 15 hôpitaux de la région de Lombardie [1]. Entre le 20 février 2020, date du premier cas déclaré de Covid-19 et le 31 mars 2020, ces hôpitaux ont enregistré 547 admissions pour SCA, soit 13,3 admissions quotidiennes.

Les résultats de leur étude montrent une baisse du taux d’admission pendant cette période marquée par le confinement de la population pour tenter de contrôler l’épidémie. En effet, l’année précédente, pendant la même période, on enregistrait 18,9 admissions par jour, tandis que les mois précédents l’épidémie, 18 personnes étaient admises quotidiennement pour un SCA.

+58% d’arrêts cardiaques hors hôpital

Dans cette même région de Lombardie, le nombre d’arrêts cardiaques extra-hospitaliers (ACEH) a augmenté de 58% pendant la pandémie. C’est ce révèle une autre étude italienne menée par l’équipe du DrEnrico Baldi (Université de Pavie, Italie), qui rapporte 362 arrêts cardiaques hors hôpital entre le 21 février et le 31 mars 2020, contre 229 à la même période en 2019 [4].

L’évolution de l’incidence des arrêts extra-hospitaliers a suivi celle des cas de Covid-19, notent les auteurs. Parmi ces arrêts cardiaques, les chercheurs ont identifié 103 cas survenus chez des patients infectés ou suspectés d’être infectés par le coronavirus. L’infection par le SARS-CoV-2 serait ainsi responsable de 77% des cas supplémentaires d’ACEH.

En Lombardie, le nombre d’arrêts cardiaques extra-hospitaliers (ACEH) a augmenté de 58% pendant la pandémie.

Concernant la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC), une étude menée par le Dr Akash Kansagra (Université de Stanford, Etats-Unis) et ses collègues révèle une baisse de 40% des examens par IRM cérébral pendant le pic de l’épidémie (entre le 26 mars et le 8 avril), comparativement au mois précédent [2].

Dans cette étude, les chercheurs ont analysé les données d’un registre concernant 230 000 patients potentiellement atteints d‘un AVC, admis dans 856 hôpitaux des Etats-Unis. En février 2020, on recensait 1,18 examen par IRM par jours et par hôpital. Du 26 mars au 8 avril 2020, ce taux est tombé à 0,72 examens par jour.

Les patients stables déprogrammés

Interrogée par Medscape édition française, le Dr Nicole Karam (service de cardiologie, hôpital Georges Pompidou, Paris) a confirmé une évolution dans la prise en charge des patients atteints de maladie cardiovasculaire. « Nous avons eu moins de patients dans la salle d’angiographie dédiée aux urgences non Covid-19. Les patients stables avaient été déprogrammés. En revanche, nous avons vu des patients arriver tardivement avec des complications (telles que rupture de pilier de la valve mitrale, perforation septale, choc cardiogénique) mais surtout ceux ayant souffert d’un arrêt cardiaque extra-hospitalier. »

La cardiologue explique qu’une salle d’angiographie a été spécialement dédiée aux patients porteurs du virus, avec une entrée et une sortie séparées. Le personnel médical et paramédical devait porter du matériel de protection adapté. La salle a depuis été décontaminée et sert à nouveau pour tous les patients.

« Nous allons en avoir besoin: il faut reconvoquer rapidement les patients qui ont été déprogrammés pour une exploration cardiaque car non considérés à l’époque comme étant à haut risque. Et, en même temps, il va falloir faire face aux accidents aigus », a précisé le Dr Karam.

Il faut reconvoquer rapidement les patients qui ont été déprogrammés pour une exploration cardiaque Dr Nicole Karam

De nouvelles recommandations en cas de 2ème vague

Pour améliorer la prise en charge des patients atteints d’un SCA pendant l’épidémie de SARS-CoV-2 et en prévision de la seconde vague d’infections, semble-t-il inévitable, l’European Association of Percutaneous Cardiovascular Interventions (EAPCI) a publié des recommandations.

Ces recommandations prennent en compte la présentation clinique, gravité du patient, les disponibilités hospitalières et du fait qu’une infection par le Covid-19 soit suspectée ou non [3]. La protection des soignants y apparait également comme une priorité.

« Pour un patient souffrant d’un SCA ST+, l’équipe assurant le transport effectue un triage clinique. Si le patient n’est pas suspect d’infection par le Covid-19, il ira dans la salle d’angiographie habituelle. En cas de doute, le transport sera adapté et le patient sera admis en salle de cathétérisme dédiée au Covid-19 », indique le Dr Karam, qui a participé à la rédaction de ces recommandations.

« Chez les patients ayant un SCA ST- non menaçant, le protocole prévoit si possible de différer l’exploration après le résultat du test sur échantillon nasopharyngé. »

 

 

 

 

 

 

 

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