Avec cette crise d’ampleur inédite, la recherche de traitements préventifs et curatifs potentiels a battu son plein. Face à l‘épidémie de Covid-19, toutes les pistes ont été évoquées, voire testées, des plus sérieuses aux plus anecdotiques, et celle de la vitamine D n’échappe pas à la règle, sans savoir dans quelle catégorie elle devait être classée.
La pré-publication d’une étude par des chercheurs de l’université Northwestern (Etats-Unis) montrant que les patients atteints du Covid-19 carencés en vitamine D ont deux fois plus de risque de développer une forme grave de la maladie, a relancé le débat, comme le montre cet article traduit de l’édition internationale de Medscape. SL
Royaume-Uni, Etats-Unis -- Les médias grand public ont été submergés la semaine dernière d’articles spéculant sur le rôle potentiel de la vitamine D pour réduire la sévérité de l’infection par le Covid-19.
Des données observationnelles comparant les résultats dans différents pays suggèrent une relation inverse entre taux de vitamine D et sévérité de la réponse au Covid-19, voire la mortalité, en supputant des effets de la vitamine D sur la réponse immunitaire à l’infection. Tandis que d’autres études s’interrogent sur un lien, voire même une association, entre la concentration de vitamine D et des différences dans la sévérité de l’infection selon les groupes éthniques.
Alors que des chercheurs et des cliniciens pensent que les gens – en particulier les professionnels de santé qui sont en première ligne – devraient être testés pour vérifier leur taux de vitamine D pendant la pandémie la plupart des médecins estiment que la meilleure façon de s’assurer d’avoir des taux suffisants est de prendre des compléments vitaminiques (?) aux concentrations recommandées. Ce d’autant que pendant le confinement, les gens ont passé plus de temps à l’intérieur.
Absence de preuves
Le Dr Clifford Rosen (Maine Medical Center's Research Institute, Scarborough) est un scientifique américain qui mène des recherches sur la vitamine D depuis plus de 25 ans. Interrogé par Medscape, il reconnait que sur le sujet de la vitamine D et du Covid, « nous ne disposons pas d’études randomisées et contrôlées, qui constituent le gold standard » , et « comme les données observationnelles sont très confuses, il est très difficile de se faire une idée » .
Que ce soit grâce àl’alimentation ou à une supplémentation, avoir un taux de vitamine adéquat est important, en particulier chez ceux qui sont les plus à risque, ajoute-t-il. Néanmoins, des données solides en faveur d’un rôle préventif de la vitamine D, ou de toutes actions « curatives » que ce soit, sont absentes.
Le Dr Rose Anne Kenny, professeure de gérontologie (Trinity College Dublin, Irlande), est co-autrice d’un article détaillant une corrélation inverse entre taux de vitamine D et mortalité par Covid-19 dans les pays européens.
« En aucune façon, nous ne disons que c’est un fait établi, mais il existe une probabilité pour que la vitamine D – une solution facile – soit un facteur contributif, et nous pouvons agir dès maintenant » a-t-elle expliqué à Medscape Medical News.
Le Dr Kenny a même interpelé le gouvernement irlandais pour qu’il modifie les recommandations en la matière. « Nous avons demandé à ce qu’il mette à jour les recommandations en urgence et préconise à tous les adultes de prendre des suppléments en vitamine D pendant la crise du Covid-19 » . L’Irlande du Nord, qui dépend du Royaume-Uni, n’a pas encore pris de telles résolutions, indique-t-elle.
Pour le Dr Harpreet S. Bajaj, endocrinologue à l’hôpital Mount Sinai à Toronto : « La vitamine D pourrait avoir trois effets possibles vis-à-vis du Covid-19 et/ou de sa sévérité : ne jouer aucun rôle, être juste un marqueur, ou être un facteur causal. »
Selon le Dr Bajaj — comme pour les Drs Rosen et Kenny — des études contrôlées et randomisées sont nécessaires pour s’assurer d’un rôle spécifique de la vitamine D.
« En attendant, nous devrions continuer à recommander une supplémentation en vitamine D, en plus de mesures préventives et thérapeutiques contre le Covid-19 ».
Quel rôle de fortification joue vitamine D ?
Dans leur étude publiée dans le Irish Medical Journal, le Dr Kenny et ses collègues remarquent qu’en Europe, malgré un bon degré d’ensoleillement, l’Espagne et le nord de l’Italie ont des niveaux de carence en vitamine D importants, et ont connu parmi les plus hauts taux de mortalité dans le monde liés au Covid. Mais ces pays ne recommandent pas formellement une alimentation fortifiée [supplémentée en vitamine D, ndlr] ou une supplémentation en vitamine D.
A l’inverse, on trouve des taux plus élevés de vitamine D dans les pays scandinaves comme la Norvège, la Finlande et la Suède, en dépit d’une exposition plus faible aux UVB. Les populations consomment plus fréquemment des suppléments en vitamine D ou des aliments fortifiés en vitamine D (lait, beurre, céréales…). Ces pays ont connu des taux d’infection et de mortalité plus faibles.
Globalement, la corrélation entre des taux faibles de vitamine D et la mortalité associée au Covid-19 était statistiquement significative (P = 0,046), rapportent les investigateurs irlandais.
« Optimiser les statuts en vitamine D via des recommandations nationales et internationales de santé publique auraient certainement… des bénéfices potentiels vis-à-vis du Covid-19 » concluent-ils.
« Nous ne disons pas qu’il n’y a pas de facteurs confondants. Cela peut tout-à-fait être le cas, mais ces résultats doivent être pris en compte parmi l’ensemble des preuves » affirme le Dr Kenny.
Le Dr Kenny note aussi que les pays de l’hémisphère sud ont eu des taux de mortalité liés au Covid-19 relativement bas, mais reconnait que le fait que le virus se soit propagé plus tardivement dans ces pays pourrait expliquer ces chiffres.
Le Dr Rosen a, quant à lui, des doutes sur cet argument.
« Bien sûr, la supplémentation en vitamine peut avoir fonctionné pour les pays nordiques, l’infection Covid-19 a été mieux contrôlée chez eux, mais il n’y a pas, ici, de causalité. Il faut une étape supplémentaire pour le prouver. D’autres facteurs peuvent jouer » dit-il.
« Regardez le Brésil, c’est à l’équateur, mais la maladie dévaste le pays. Donc au jour d’aujourd’hui, je n’y crois pas ».
La vitamine D joue-t-elle un rôle dans la modulation de la réponse immunitaire ?
Une des théories qui circule est que, si la vitamine D joue le moindre rôle dans la modulation de la réponse immunitaire au Covid-19, cela peut être en émoussant la réponse du système immunitaire au virus.
Dans une étude récente publiée en preprint, le chercheur Ali Daneshkhah et ses collègues de l’Université de Northwestern à Chicago, ont colligé des données hospitalières provenant de Chine, de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Iran, de Corée du Sud, d’Espagne, de Suisse, du Royaume-Uni et des Etats-Unis.
Le risque de cas de Covid-19 sévère parmi les patients avec une forte carence en vitamine D était de 17,3%, alors que qu’il était de 14,6% pour les patients avec un taux normal de vitamine D (soit une réduction de 15,6%).
« Cet effet potentiel pourrait être lié à la capacité de la vitamine D à supprimer le système immunitaire adaptatif, en régulant les taux de cytokine, et donc en réduisant le risque de développer un Covid-19 sévère » selon les chercheurs.
Le Dr JoAnn E. Manson, cheffe du département de médecine préventive du Women's Hospital à Boston, dans un récent commentaire à Medscape, a fait remarquer que des données d’une étude observationnelle de trois hôpitaux du sud asiatique montrent que la prévalence de la déficience en vitamine D était plus élevée parmi les patients avec une infection à Covid-19 sévère comparé à ceux avec une maladie de sévérité moyenne.
« Nous savons aussi que la vitamine D a un effet immuno-modulateur et peut diminuer l’inflammation, cela pourrait être pertinent concernant la réponse respiratoire pendant l’infection à Covid-19 et la tempête cytokinique » note-t-elle.
« Je suis très sceptique depuis le départ, et j’ai fortement critiqué les données qui n’apportent rien. Mais je me surprends moi-même à dire qu’il pourrait y avoir un effet » a indiqué leDr Rosen à Medscape Medical News.
« Clairement, tous les patients ne connaissent pas cette tempête cytokinique, et pour ceux qui la subissent, on ne sait pas très bien pourquoi. Peut-être que si vous avez assez de vitamine D, cela peut avoir un impact sur votre réponse à l’infection » considère le Dr Rosen. « La vitamine D peut activer des protéines importantes pour moduler le fonctionnement des macrophages du système immunitaire ».
Les minorités ethniques affectées de façon disproportionnée
Il est aussi bien établi que le Covid-19 affecte de façon disproportionnée les individus appartenant aux minorités ethniques noires et asiatiques.
Sur la question de la vitamine D dans ce contexte, une récente étude ayant utilisé les données de la Biobank UK n’a trouvé « aucune preuve qui indique un potentiel rôle de la concentration en vitamine D pour expliquer la susceptibilité à l’infection, que ce soit de façon globale, ou pour expliquer les différences entre les groupes ethniques ».
« La vitamine D n’est pas susceptible d’être le mécanisme expliquant le risque plus élevé observé dans les populations issues des minorités ethniques, et la supplémentation en vitamines n’est pas non plus susceptible de procurer une intervention efficace » concluent la chercheuse Claire Hastie (Université de Glasgow) et ses collègues.
Mais cela n’a pas empêché deux endocrinologues d’écrire un courrier aux membres de l’Association britannique des médecins d’origine indienne (BAPIO) les appelant à tester leurs taux de vitamine D.
« Les populations issues des minorités ethniques noires et asiatiques, en particulier les personnels en première ligne, devraient faire vérifier leur taux de vitamine D3, et avoir une supplémentation adaptée si nécessaire » considèrent les Drs Parag Singhal, du Weston General Hospital à Weston-Super-Mare (Royaume-Uni), et David C. Anderson, un endocrinologue à la retraite, dans une lettre aux membres du BAPIO.
De fait, ils suggèrent une dose de « boost » de 100 000 IU pour les soignants issus des minorités ethniques qui devrait élever leurs taux de vitamine D pour 2 à 3 mois. Ils se réfèrent à une revue systématique de la littérature qui conclut que « des doses uniques de vitamine D3 ≥ 300 000 IU sont les plus efficaces pour augmenter le statut en vitamine D pendant au moins 3 mois. »
Le Dr Rosen fait remarquer qu’en général, une forte dose – 50 000, 100 000, 500 000 IU – donnée en une unique occasion ne confère pas plus de bénéfices qu’une simple dose de 1000 IU par jour, si ce n’est que le taux sanguin s’élève plus vite et plus haut.
« Il n’y a vraiment pas de preuves qu’obtenir des taux super hauts de vitamine D confère un plus grand bénéfice que des taux normaux » dit-il. « De fait, si les professionnels de santé pensent avoir une déficience en vitamine D, des doses quotidiennes de 1000 IU semblent raisonnables ; et même, s’ils ratent des doses, les taux sanguins resteront relativement stables. »
Sur la question spécifique de la vitamine D dans les minorités ethniques, le Dr Rosen considère que si des individus ont réellement des taux bas de vitamine D, le problème est plutôt de savoir si cela a des implications cliniques significatives.
« La vraie question est de savoir, si les minorités ethniques se sont adaptées physiologiquement à cet état de fait, car ils ont peut-être ces taux bas de vitamine D depuis des centaines d’années. Si les afro-américains ont effectivement des taux de vitamine D bas, ils ont aussi indéniablement de meilleurs os que les caucasiens » fait remarquer le Dr Rosen.
Nécessité d’un dosage ?
Les recommandations du National Institutes of Health américain conseillent généralement une prise de 400 IU à 800 IU de vitamine par jour, en fonction de l’âge, les personnes de 70 ans requérant, elles, une dose quotidienne plus élevée. Ce qui résulte en des taux sanguins qui sont suffisants pour maintenir la santé des os et un métabolisme normal du calcium chez des gens en bonne santé.
Aucune recommandation additionnelle relative à la vitamine D n’a été émise pendant la pandémie de Covid-19.
Le Dr Rosen fait remarquer qu’il n’y a pas non plus d’arguments pour un dépistage de masse de la vitamine D parmi la population américaine.
« Les recommandations datent d’avant le Covid, et je pense que les individus à haut risque, comme par exemple ceux avec une maladie inflammatoire des intestins, ou une pathologie pancréatique ou hépatique, vont peut-être vouloir connaitre leur taux de vitamine D. Ces personnes sont de toute façon plus à risque, et cela pourrait être dû à une vitamine D basse ». Néanmoins, « ne faites pas le test mais assurez-vous que vos taux de vitamine D sont corrects, soit via l’alimentation, soit grâce à une supplémentation [400-800 IU] journalière » suggère-t-il. « Cela ne peut pas faire de mal ».
Au Royaume-Uni, le Public Health England (PHE) a clarifié ses conseils sur la supplémentation en vitamine D pendant le Covid-19. Alison Tedstone, nutritionniste en chef au PHE a indiqué : « Beaucoup de personnes passent plus de temps à l’intérieur et ne produisent peut-être pas toute la vitamine D dont elles ont besoin de l’exposition au soleil. Pour protéger la santé de leur os et de leurs muscles, elles devraient penser à prendre une supplémentation quotidienne de 10 microgrammes [400 IU] de vitamine D ».
Néanmoins, « il n’y a pas suffisamment de preuves pour recommander la vitamine D pour réduire le risque de Covid-19 » insiste-t-elle.
Quid de la France ?
Si la France n’a pas connu un tel débat autour de la vitamine D dans l’épidémie de Covid-19, elle n’a pas pour autant négligé cette piste. Pour preuve, l’hôpital d’Angers a lancé une étude dans laquelle elle a fait l’hypothèse qu’une supplémentation avec une dose élevée de vitamine D améliorerait le pronostic chez des sujets âgés infectés par le Covid versus une dose standard de vitamine D.
Côté recommandations, l’Anses a signalé sur son site Internet le 17 avril « l’importance de veiller à un apport suffisant en cette période de confinement, mais aussi tout au long de l’année, notamment pour les personnes âgées, les personnes à peau mate voire foncée et les femmes ménopausées ». Elle a, par ailleurs, indiqué qu’« en cas de confinement à domicile, a fortiori lorsqu’on ne dispose pas de jardin, la synthèse de vitamine D liée à l’exposition au soleil se trouve limitée » et rappelé qu’« à défaut de jardin, de terrasse ou de balcon, il est possible de s’exposer au soleil depuis votre fenêtre ouverte, tout en prenant des précautions face à ses effets néfastes (coups de soleil) ». SL
Bajaj est intervenant pour Amgen, AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Janssen, Merck, Novo Nordisk, and Sanofi; has received research grants from AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Eli Lilly, Janssen, Merck, Novo Nordisk, Sanofi, et Valeant; Il a reçu de l’argent (plus de $250) d’Amgen, AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Canadian Collaborative Research Network, CMS Knowledge Translation, Diabetes Canada Scientific Group, Janssen, LMC Healthcare, mdBriefCase, Medscape, Meducom, Merck, Novo Nordisk, sanofi-aventis, et Valeant.
Les Drs Kenny, Rosen, et Singhal n’ont déclaré aucun lien d’intérêt.
Cet article a été publié sur medscape.com sous l’intitulé “Vitamin D: A Low-Hanging Fruit in COVID-19?”. Traduit et complété par Stéphanie Lavaud pour Medscape édition française.
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Citer cet article: La vitamine D peut-elle aider à lutter contre le COVID-19 ? - Medscape - 22 mai 2020.
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