Paris, France – Situation tout-à-fait inédite, pour contrer la propagation du coronavirus, toutes les crèches, tous les établissements scolaires et les universités de France ont fermé le 16 mars. Aujourd’hui, l’école reprend progressivement, du moins pour les plus jeunes, après au minimum deux mois passés à la maison. Une reprise qui ne fait pas l’unanimité. Certains au sein des famille, du corps enseignant et des scientifiques la jugent prématurée. D’autres, comme la Société française de pédiatrie et les différentes Sociétés de spécialités pédiatriques ont pris position pour un retour des enfants dans leur établissement scolaire, y compris pour ceux ayant une maladie chronique.

Dr Alexandre Hubert
Du côté des enfants, le sentiment peut être lui aussi mitigé. Il y a ceux qui sont ravis de retrouver enseignant et copains, et ceux chez qui cette « rentrée » créée une véritable angoisse, pouvant aller jusqu’au refus de s’y rendre.
Nous avons demandé au Dr Alexandre Hubert, (service de pédopsychiatrie du Pr Richard Delorme, Hôpital Robert Debré, Paris), quelles étaient les origines possibles de cette angoisse du retour à l’école – chez des enfants qui ne présentaient pas de problèmes psychiatriques avant le confinement – et comment y remédier. Nous conseillons, par ailleurs, la lecture de la fiche Mon enfant refuse de retourner à l’école après la fin du confinement ! Que faire ? , l’une des 60 fiches rédigées par le service de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert Debré ( Voir Des fiches pour aider les parents d’enfants en difficulté pendant le confinement).
Medscape édition française : Pourquoi les enfants seraient-ils angoissés à l’idée de retourner à l’école ?
Dr Alexandre Hubert : Il y a différents types d’angoisses, certaines sont propres à l’enfant, et d’autres peuvent avoir une origine familiale. On peut imaginer que, des parents stressés à l’idée que leur(s) enfant(s) reprennent l’école, transmettent leur angoisse et « contaminent » en quelque sorte les enfants. Par ailleurs, pour beaucoup d’enfants, le confinement a été l’occasion de se retrouver avec leurs parents 24 heures sur 24, et de fait, l’idée de les quitter pour retourner à l’école peut ré-activer des angoisses plus anciennes, comme l’angoisse de séparation qu’ils ont pu éprouver plus petits lors des premières rentrées (maternelles ou scolaires). Les études ont aussi montré qu’il existait des angoisses, soit liées au virus, soit aux conséquences du confinement, soit à la détresse que cela a pu engendrer pour soi et pour les proches. On peut tout-à-fait imaginer qu’un enfant, dont les parents auraient mal vécu le confinement ou chez qui le confinement a eu des répercussions financières importantes, soit très inquiets pour ses proches.
Qu’avez-vous observé à l’approche du déconfinement ?
Dr Alexandre Hubert : Nous avons observé que les tensions ont eu tendance à s’accentuer au long du confinement. Pendant les dix derniers jours, tout le monde était à bout, les adultes comme les enfants. Il y a eu un relâchement des gestes barrières et beaucoup de parents nous ont dit que les enfants dormaient moins bien, étaient plus irritables. En même temps, il faut savoir que pendant le confinement, certains parents sont sortis (faire des courses, du jogging…) mais ont gardé leurs enfants protégés à la maison, donc un certain pourcentage d’enfants ne sont pas du tout sortis et ont fait deux mois de confinement « franc ».
Peut-on imaginer des difficultés à se ré-adapter à la vie sociale ?
Dr Alexandre Hubert : Sur des périodes d’enfermement plus longues, on peut observer des difficultés à se ré-adapter à la vie sociale. Je ne pense pas que ce sera le cas ici, car les liens amicaux et avec la famille ont été maintenus via les réseaux sociaux. Néanmoins il est probable qu’il y ait un retentissement et que certains aient besoin d’une ré-adaptation à l’extérieur. Par ailleurs, pour les plus petits, il n'est pas évident de comprendre que l’on peut sortir à nouveau, mais avec de nouvelles règles : « jouer à distance raisonnable, ne pas prendre ses amis par la main, les embrasser… ». Je pense qu’il ne leur sera pas facile d’intégrer tous ces changements et en particulier les règles de distanciation sociale. Cela peut leur sembler très abstrait.
Certains ont-ils peur de tomber malade ou de transmettre la maladie ?
Dr Alexandre Hubert : On a beaucoup dit, au début de l’épidémie surtout, que les enfants transmettaient le virus, donc si leurs parents ou grands-parents sont tombés malades après leur avoir rendu visite quelques jours auparavant, une certaine culpabilité peut être présente chez les parents, mais aussi chez les enfants. Quant à la peur de tomber malade, elle peut être en lien avec l'exposition aux médias. Il a ainsi été démontré lors des attentats de Boston que le fait de regarder une chaine d’informations en continu pouvait entrainer un équivalent de syndrome de stress post-traumatique. De plus, les contenus proposés par les chaînes télévisées peuvent être très chargés émotionnellement. S’il est important d’être bien informé, il ne sert en revanche à rien, et peut même être délétère, de visionner les chaines d'information en boucle. Il faut être prudent car les enfants sont souvent dans la pièce lorsque l'on regarde les informations et ils perçoivent les messages transmis par les médias, les parents doivent être vigilants.. Pour autant, rien ne sert de mentir aux enfants. Car si les enfants se rendent compte en allant à l’école qu’on ne leur tient pas le même discours, ils sont alors susceptibles de s’interroger « est-ce que mon parent est crédible ? Puis-je avoir confiance dans sa parole ? ». Le mieux est de leur fournir une réponse adaptée à leur questionnement, sans être obligé de tout dire.
Quelles sont les plus grandes inquiétudes dans cette reprise de l’école ?
Dr Alexandre Hubert : D’après mon expérience, le plus angoissant pour les enfants, c’est l'inconnu, le flou important sur le fait de se retrouver ou non dans son école, dans sa classe, avec ses camarades, son enseignant d’avant le confinement. Il y a aussi beaucoup d’interrogations sur l’organisation des journées (école 1 jour sur deux, le matin, etc…) à la fois pour les parents et pour les enfants.
Il a y aussi une anxiété liée au fait qu’on avance pas à pas, sans certitude. Les messages contradictoires ou changeants sur les masques ou les tests en sont un bon exemple.
Revoir ses camarades de classe est-il un argument en faveur du retour à l’école ?
Dr Alexandre Hubert : La plupart des enfants sans problème de sociabilisation sont restés très attachés à leurs amis et ont très envie de les revoir. Il n’est malheureusement pas impossible que certains parents prononcent des phrases comme « tu ne vas pas jouer avec untel parce qu’il (ou ses parents) a (ont) eu le coronavirus ». D’où l’importance de lutter contre la stigmatisation, qui relève d’ailleurs souvent plus de la crainte et de la méconnaissance que de la malveillance.
Que proposez-vous pour ces enfants angoissés à l’idée de reprendre l’école ?
Dr Alexandre Hubert : D’abord, leur apprendre les gestes barrière à la maison en appliquant des mesures à chaque âge. Par exemple, chez les plus jeunes (maternelles/primaires), il est surtout question du lavage des mains. Ensuite, essayer de répondre aux questions des enfants car souvent l’angoisse vient du manque de connaissances ou de connaissances approximatives. Par exemple, ne pas laisser croire que « le virus est dans l’air » mais leur monter comment se fait la diffusion du virus, à partir d’exemples concrets, voire d’expériences. Un document de l’OMS propose ainsi aux enseignants d’utiliser un spray avec de l’eau colorée pour montrer à quelle distance vont les gouttelettes quand on parle. On peut aussi anticiper les différentes étapes de la journée d’école (le transport, le repas, etc) avec l’enfant pour lui permettre de se rassurer.
Le confinement peut-il avoir des conséquences plus graves ? Quand faut-il consulter ?
Dr Alexandre Hubert : La littérature scientifique fait état de possibles symptômes de stress chronique chez 20 à 30 % des enfants après une période de confinement. Ces conséquences psychologiques vont dépendre de l’anxiété de l’adulte et des conditions dans lequel a lieu le confinement (présence de violences intra-familiales par exemple). En cas de symptômes légers, si un enfant dort moins bien ou reste irritable malgré le déconfinement, et que cela persiste encore pendant 10 à 15 jours, mieux vaut en parler à un médecin et ne pas attendre septembre pour consulter.
Retrouvez les dernières informations sur le COVID-19 dans le Centre de ressource Medscape dédié au coronavirus.
Actualités Medscape © 2020
Citer cet article: Comment aider des enfants angoissés à l’idée de retourner à l’école ? - Medscape - 19 mai 2020.
Commenter