COVID-19 : les oubliés de Grande-Synthe

Stéphanie Lavaud

15 mai 2020

Dunkerque, France – En pleine crise du Covid-19, Médecins du Monde ainsi que plusieurs autres ONG et associations ont interpellé les autorités sur la situation des migrants de Calais (62) et Grande-Synthe (59), à la frontière franco-britannique où des centaines d’exilés vivent dans des conditions indignes [1]. La réponse n’a pas été à la hauteur, notamment à Grande-Synthe où, en plein confinement, plus de 500 migrants ont dû se partager un seul point d’eau potable, alors que les ONG ont dû stopper ou ralentir les maraudes pour respecter les mesures de protection.

600 personnes vivent dans des conditions indignes

Le camp de Grande-Synthe situé à 12 kilomètres de Dunkerque est désormais l’un des plus ancien camp de réfugiés regroupant des personnes désireuses de se rendre au Royaume-Uni mais bloquées à la frontière franco-britannique, tout comme à Calais. Leur situation est totalement dramatique : « 600 personnes, dont 50 familles avec enfants, des femmes enceintes, qui vivent dans des conditions indignes marquées par l’absence de douches et de toilettes, un accès limité à l’eau potable, et ce depuis des mois » décrit Médecins du Monde dans son communiqué du 4 avril dernier [1] . La majorité vivent dans les bâtiments désaffectés du site de la Linière dans une grande promiscuité, d’autres ont trouvé refuge dans le bois de la base de loisir du Puythouck.

En temps normal, et depuis une dizaine d’années, Médecins du Monde (MdM), avec d’autres associations et acteurs du milieu associatif, intervient régulièrement avec une clinique mobile, en donnant des soins et en proposant des accompagnements à l’hôpital le plus proche, celui de Dunkerque, situé à 12 km.

Camp pakistanais du Puythouck (Jean-Philippe Huguet pour Médecins du Monde, mardi 12 mai 2020 à Grande-Synthe)

Activités humanitaires stoppées

Mais, avec l'apparition du Covid, les ONG ont dû stopper ou revoir leurs activités d’aide aux exilés sur le champ. « Au tout départ, il y avait beaucoup d’inconnues sur la puissance de ce virus, le risque de contagion, et la définition des personnes à risque, explique Franck Esnée, coordinateur régional Hauts-de-France pour MdM, à Medscape édition française. Beaucoup de bénévoles sont des retraités, à qui nous avons demandé de se retirer du terrain par mesure de précaution ». L’ONG n’était, par ailleurs, pas en capacité à ce moment-là d’assurer une désinfection des véhicules, et donc, dans un premier temps, dans l’incapacité de maintenir la clinique mobile, ajoute-t-il. De fait, dans les premiers temps de la crise et du confinement, plus aucune présence médicale n’était assurée sur le camp, si ce n’est de façon ponctuelle, sur la base d’initiatives individuelles (voir témoignage de Stéphanie, médecin généraliste belge, en fin d'article).

Une citerne d’eau potable avec 4 robinets et du savon

Rapidemment, en s’associant avec la Croix-Rouge, MdM a fait une proposition de réponse sanitaire coordonnée pour Calais et Grande-Synthe auprès des préfectures du Nord et du Pas-de-Calais. « Mais autant à Calais, nous avons réussi à mettre en place assez rapidement une maraude sanitaire avec la présence de médecins, infirmiers, médiateurs et traducteurs auprès des exilés pour informer de la question du Covid et assurer la continuité des soins hors Covid, décrit Franck Esnée, autant à Grande-Synthe, nous avons été écartés de toute réponse coordonnée par la sous-préfecture de Dunkerque qui a choisi de mettre en place un dispositif qu’elle a jugé suffisant, à savoir une citerne d’eau non potable avec 4 robinets et du savon, en sachant que les personnes à Grande Synthe n’ont ni douche, ni toilette et ne disposaient jusqu’à présent que d’un robinet d’eau sur une borne incendie. La deuxième réponse de la sous-préfecture a été d’affecter deux secouristes de la Protection Civile pour prendre la température des personnes ».

Expulsions : une « politique ratée, dangereuse et inefficace »

Une réponse jugée insuffisante par MdM et dénoncé publiquement, puisque ne proposant, en pleine épidémie de coronavirus, ni infirmiers ni médecins à la Linière. La seule réaction de la préfecture du Nord, courant avril, a été de forcer les expulsions de migrants. Du coup, « les bâtiments de la Linière se sont vidés au profit de centres d’hébergements, tandis que des exilés, dont on estime le nombre le nombre à 450 personnes, ont fui, se sont cachés et dispersées sur 6 endroits différents à Grande-Synthe » s’insurge Franck Esnée. Pour le coordonnateur humanitaire, cette stratégie qui vise à éloigner les gens et à ne pas répondre à leur besoin complexifie énormément le travail. Il ne mâche d’ailleurs pas ses mots, évoquant de la part du gouvernement une « politique ratée, dangereuse et inefficace ». Pour lui, « chaque expulsion non accompagnée d’hébergement ou de logement pérenne précarise un peu plus les personnes et provoque la perte de confiance envers les dispositifs de l’Etat » - une situation indigne dénoncée par le défenseur des droits en France et par les Nations Unis.

Reprise progressive et coordonnée des maraudes

Une chose est sûre sur ce terrain où la situation s’enlise de plus en plus : « aucun acteur sanitaire n’est en capacité d’agir seul d’où la nécessité de se coordonner avec d’autres » considère Franck Esnée. C’est la raison pour laquelle « assez rapidement, la Croix-Rouge a décidé de remettre en place un infirmier et un médecin dans un petit dispositif de clinique mobile, auquel nous sommes venus en appui ; la Croix-Rouge s’occupant de soins à proprement parlé, et nous, faisant un travail de médiation et d’information avec la possibilité de détecter d’éventuels signes de Covid en prenant la température et d’orienter vers la Croix-Rouge en cas de problèmes médicaux. »

Y-a-t-il eu des cas de Covid chez les exilés ? Difficile de savoir. Franck Esnée rapporte quelques cas à Calais, mais avoue ignorer si d’autres ont été confirmés à Grande-Synthe. « Les populations exilées ne sont pas des populations à risque, même si les migrants multiplient les vulnérabilités. En revanche, la politique mise en place sans mesure barrière, avec un confinement à la rue augmente considérablement les risques de transmission et de contagion » affirme-t-il. Aujourd’hui, Médecins du Monde organise 2 maraudes par semaine, idem pour la Croix-Rouge qui dispose, elle, d’une clinique mobile. « Cela permet de faire de la détection mais n’est pas suffisant pour assurer un accompagnement vers l’hôpital si nécessaire et soigner les personnes sur place, qui ont besoin. Mais on va reprendre, nous aussi, la clinique mobile très rapidement » assure-t-il.

En attendant les migrants tentent toujours d’accéder à leur « projet de vie », à savoir passer clandestinement en Angleterre – et réussissent, pour certains.

 

Médecin généraliste belge, Stéphanie apporte son aide aux migrants

Avant le Covid, Stéphanie, médecin de famille belge, avait pris l’habitude de se rendre à Grande-Synthe une fois par mois avec des vêtements, des articles sanitaires « mais sans aide médicale car il y a déjà Médecins du Monde et la Croix-Rouge » raconte-t-elle à Medscape édition française. Pendant la période de confinement, elle a appris que les associations n’y allaient plus et a considéré qu’il était « absurde, habitant à 25 km de Dunkerque, de ne pas pouvoir venir en aide ». Alors seule d’abord, puis avec des amies médecins et infirmières, elle a collecté du matériel et passé « facilement » la frontière franco-belge pour se rendre dans le camp toutes les semaines. « Le lundi de Pâques, nous étions une dizaine, avec beaucoup de matériel médical basique. Bien protégées, nous avons installé une table, dit que nous étions médecins et demandé s’il y avait des problèmes. Il y a notamment une femme belge qui vit désormais dans le camp et sert de relais avec les migrants. Sur place, nous assurons beaucoup de soins pour des plaies et des blessures. La linière est une ancienne usine et les migrants se plantent régulièrement des clous dans les pieds. Il y a aussi beaucoup de problèmes rénaux, de gale, d’infections et de surinfections en tout genre, de maux de tête, de diabète, de dépression et des troubles psychiatriques. Sur le front du Covid, j’ai connaissance d’une personne du camp qui est allée à l’hôpital de Dunkerque avec un problème respiratoire. Il est revenu au bout de 2 semaines, avec une lettre où il était écrit « étiologie inconnue ». Difficile d’en savoir plus car il ne parle que le kurde, mais je n’ai pas connaissance de décès par Covid. Je n’ai pas remarqué de symptômes suspects mais c’est compliqué car si les jeunes ont une petite grippe, ils ne vont pas le dire car ils ne veulent pas être mis en quarantaine et manquer une occasion de passer en Angleterre. Ce qu’on fait à Grande-Synthe, c’est minimal. Si on voit un problème, on va essayer d’envoyer la personne vers un médecin que l’on connait à l’hôpital de Dunkerque. J’ai appris que Médecins du Monde allait revenir dans le camp, l’idée c’est de travailler ensemble, il n’y a pas de frontière dans la solidarité ».

 

Crédit photos : Jean-Philippe Huguet pour Médecins du Monde, mardi 12 mai 2020 à Grande-Synthe

 

 

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....