COVID-19 : la piste de l’antipsychotique chlorprozamine

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

13 mai 2020

Paris, France- En constatant que leurs patients hospitalisés étaient notablement moins contaminés que leurs soignants, des psychiatres du Groupe Hospitalier Universitaire Paris/Sainte-Anne se sont d'abord étonnés – eux qui s'attendaient à ce que l'épidémie soit particulièrement sévère parmi leurs patients présentant le plus souvent plusieurs comorbidités. En cherchant une explication, ils ont mis en évidence le rôle possiblement protecteur contre le Covid-19 de médicaments largement prescrits dans leur spécialité, et en particulier la chlorpromazine (Largactil®), le premier ancien psychotique encore utilisé aujourd'hui. A l'instar d'autres médicaments déjà disponibles, la chlorpromazine pourrait être repositionnée dans le traitement du Covid-19. Les arguments en faveur de cette voie de recherche et de la mise en place d'un essai clinique (ReCoVery) sont détaillés dans L'Encéphale[1] .

« Une de nos premières patientes atteintes du Covid-19 a contaminé les deux-tiers des soignants mais aucun patient. C'était aussi étonnant qu'inattendu », se souvient le Pr Raphaël Gaillard, chef de pôle à l'hôpital Sainte-Anne (Paris), dont une tribune dans le quotidien Le Monde avait alerté le 23 mars dernier sur le manque de moyens, notamment en masques, dans son hôpital. Finalement, ce sont environ 4% des patients qui ont présenté des formes symptomatiques de COVID-19, contre environ 14 % des infirmiers et des médecins.

 
Une de nos premières patientes atteintes du Covid-19 a contaminé les deux-tiers des soignants mais aucun patient. Pr Raphaël Gaillard
 

Et le même constat a été fait ailleurs. A Marseille, la faible incidence de l'infection parmi les patients en psychiatrie a aussi été observée. « Même si l'infection en général a été bien moindre ici, on a remarqué que les pavillons de psychiatrie ont été épargnés, à la différence de ceux de gériatrie. Evidemment, nous nous sommes également demandés si cette situation pouvait s'expliquer par les traitements médicamenteux de nos patients », explique le Dr Guillaume Fond, psychiatre à l’hôpital de la conception à Marseille (AP-HM), interrogé par Medscape édition française.

Les psychotropes ont-ils une action antivirale efficace contre le COVID-19 ?

Les médecins-chercheurs de Sainte-Anne se sont mis en quête d'une explication en menant une analyse bibliographique qui a fait état de « propriétés antivirales connues de plusieurs psychotropes utilisés couramment en psychiatrie, au premier rang desquels la chlorpromazine », écrivent les auteurs.

De fait, deux études in vitro datant de 2014 ont mis en évidence les actions anticoronavirus (anti-MERS-CoV et anti-SARS-COV1) de la chlorpromazine. Au niveau cellulaire, la molécule empêche l'entrée et l'excrétion des virus par les cellules.

Retrouve-t-on les mêmes effets avec le SARS-CoV-2 ? Menée à l'Institut Pasteur, une étude in vitro sur des cellules animales et sur des cellules humaines a en effet montré que c'était bien le cas.

« D'un côté, il y a ce résultat in vitro, d'autre part, la chlorpromazine a une distribution satisfaisante dans l'organisme puisqu'elle se concentre principalement au niveau des poumons », commente le Pr Gaillard, dernier auteur de l'étude, interrogé par Medscape édition française.

 
La chlorpromazine a une distribution satisfaisante dans l'organisme puisqu'elle se concentre principalement au niveau des poumons. Pr Raphaël Gaillard
 

« Il y a la question de la dose qui devra être adaptée à la situation clinique. Reste qu'avec ce médicament, déjà prescrit à des millions de personnes, on a presque 70 ans de recul », indique Guillaume Fond. « A Marseille, nous l'utilisons peu chez nos patients atteints de schizophrénie mais la chlorpromazine garde sa place dans l'arsenal thérapeutique étant donné sa bonne tolérance ».

Un essai clinique de preuve de concept

Pour tester l'hypothèse que la chlorpromazine diminuerait l'évolution défavorable du COVID-19 de patients non-atteints d'un trouble psychiatrique, l'équipe de Sainte-Anne propose de mener l'étude ReCoVery (repurposing of chlorpromazine in CoVid-19 treatment), essai thérapeutique pilote de phase III multicentrique, contrôlé, randomisé en simple insu incluant 40 patients oxygénorequérants hospitalisés dans des services de médecine et ne nécessitant pas une réanimation. Il s'agit de comparer le pronostic de 20 patients traités avec de la chlorpromazine + traitement standard (SOC) avec 20 patients traités avec le seul traitement standard.

Les patients du groupe CPZ + SOC recevront jusqu’à 300 mg par jour de CPZ jusqu’à ce que les critères de guérison soient remplis (définis par l’avis du 16 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique), dans une limite de 21 jours maximum.

Les participants bénéficieront d’un suivi des effets indésirables potentiellement graves bien connus de la chlorpromazine. : dosages réguliers des CPK pour dépister un syndrome malin des neuroleptiques, examens cliniques quotidiens, ECG réguliers (risque de torsades de pointe). Sur le plan de la tolérance, les chercheurs soulignent que la chlorpromazine est déjà utilisée à des posologies élevées dans des indications non psychiatriques et parfois chez des populations fragiles, notamment dans le traitement des vomissements pharmacorésistants en cancérologie ou hématologie et chez des patients avec sepsis et parfois défaillance d’organes. Les posologies utilisées peuvent alors être de 12,5 mg à 100 mg IVSE toutes les quatre heures. Enfin, ils rappellent que la chlorpromazine n’étant pas un dépresseur respiratoire, ce médicament n’est pas contre-indiqué chez les patients souffrant d’une insuffisance respiratoire sévère, contrairement à d’autres anxiolytiques comme les benzodiazépines.

« Nous proposons d'abord la mise en place d'une petite étude qui pourrait faire preuve de concept. Notre idée est que d'autres s'en emparent », considère Raphaël Gaillard qui indique que des confrères non-psychiatres s'intéressent déjà à cette nouvelle voie.

 
Nous proposons d'abord la mise en place d'une petite étude qui pourrait faire preuve de concept  Pr Raphaël Gaillard
 

 

 

Les auteurs de l’étude et le Dr Fond n’ont pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.

 

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