Bordeaux, France – Nouvelles habitudes de travail, nouvelles organisations sociales et familiales, incertitudes quant à l’avenir, restriction de liberté liée au confinement... la situation sans précédent que nous connaissons peut induire ou exacerber les problèmes de sommeil. Mais elle peut être aussi l'occasion d'améliorer son sommeil. C'est la thèse défendue par la chercheuse Ellemarije Altena et ses collègues de l'université de Bordeaux qui viennent de publier un article intitulé Dealing with sleep problems during home confinement due to the COVID‐19 outbreak: Practical recommendations from a task force of the European CBT‐I Academy dans le Journal of Sleep Research [1]. Les auteurs listent quelques recommandations très pratiques à destination des personnes et des familles.
Epidémie, stress et sommeil
Une grande variété de sources de stress peut affecter le sommeil pendant les mesures de distanciation sociale liées à l'épidémie de Covid-19, notamment des « changements majeurs dans la routine, l'incertitude », l'angoisse pour sa santé, la situation économique, ou encore la supposée durée de cette situation inédite.
Etre confiné au domicile, c’est aussi être moins exposé à la lumière naturelle, et s’accompagne d’une réduction de l'activité physique, d’une augmentation des apports en nourriture. Même si, « l'effet du stress lié au confinement, la perte de l'emploi et les inquiétudes sur la santé doivent être individualisés et sont difficilement généralisables » rappelle le Dr Sundar.
La solitude est évidemment un risque supplémentaire pendant cette période, avec ou sans interaction sociale en ligne.
« Etre obligé de rester au domicile, de travailler depuis la maison ou encore de faire l'école à la maison, de réduire drastiquement ses interactions sociales ou de travailler des heures dans un environnement stressant, tout en essayant de contenir les risques sanitaires, peut avoir un impact majeur sur notre fonctionnement pendant la journée mais aussi sur notre sommeil » écrivent Ellemarije Altena et ses collègues.
Les parents doivent jongler entre le travail, l'école à la maison et les tâches ménagères habituelles. En même temps, les entrepreneurs, les commerçants et ceux qui travaillent dans l'industrie du spectacle, des loisirs et de la restauration sont inquiets pour leur emploi et leur sécurité financière.
« Plus vos horaires de sommeil sont réguliers, meilleure est la qualité de votre sommeil, mais c'est un casse-tête quand on ne peut pas séparer les espaces de travail et de parentalité... » explique l’un des auteurs.
Pa ailleurs, pour ceux qui télé-travaillent, et doivent donc conjuguer le travail et les tâches domestiques, être à la maison n’est plus forcément synonyme de « relaxation ».
Au final, « passer beaucoup de temps en famille dans un espace limité a pu induire aussi du stress, d'autant plus en cas de difficultés familiales préexistantes au confinement ».
S’y ajoute le fait que « dans la plupart des familles les tâches ménagères ou s’occuper des enfants sont encore réalisées de façon prédominante par les mères » ajoutent les auteurs.
Quelles solutions ?
Les auteurs indiquent aussi que pour beaucoup de gens la frontière floue entre la vie de famille et le travail amoindrit la productivité et l'efficacité, et donc augmente le stress. « Un sommeil réparateur peut être un facteur clef pour affronter positivement ces défis, bien que les occasions de dormir peuvent être affectées par la pression liée à la moindre disponibilité pour le travail, la garde des enfants et les incontournables tâches domestiques ».
« Partager ces responsabilités entre les deux parents et ne pas se reposer sur un seul est la clef » explique le Dr Brandon M.Seay, pneumologue pédiatrique et spécialiste du sommeil (Children's Healthcare of Atlanta). Il recommande aussi d'essayer de travailler pendant la journée quand les enfants font leurs devoirs en ligne. Un partage de responsabilité entre les parents est idéal, mais constitue un défi plus grand pour les familles monoparentales évidemment.
L'occasion de remettre les pendules à l'heure
De fait, les auteurs soulignent aussi les possibles effets positifs sur le sommeil de cette situation. Dans la mesure où se sentir soutenu socialement améliore le sommeil, les interactions par les moyens technologiques peuvent être utiles, même si elles ne remplacent pas la rencontre « en vrai » et que l'exposition aux écrans avant le coucher peut altérer la qualité du sommeil.
Certaines personnes ont l'opportunité d'être plus exposées à la lumière naturelle et faire plus d'exercice physique, ce qui a pu améliorer leur sommeil. Certains, en particulier les couche-tard et les adolescents, peuvent faire coïncider leurs horaires avec leur rythme circadien physiologique. (Lire aussi Difficultés de sommeil chez l’adolescent : spécificités et prise en charge)
Pour les adultes, le Dr Seay conseille une durée de sommeil de 6 à 8 heures chaque nuit, en saisissant l'opportunité de dormir un peu plus tard le matin. « La possibilité de dormir tard et de reculer l'heure du lever est bénéfique pour beaucoup de mes patients adolescents » observe-t-il.
Traiter le stress, l'anxiété et l'insomnie
La thérapie comportementale et cognitive (TCC) est le traitement de première ligne pour l'insomnie chronique, et récemment son intérêt a été démontré dans l'insomnie aiguë liée à une situation stressante. Les éléments clef de la TCC pour l'insomnie sont l'hygiène de sommeil, le contrôle de stimulus, les techniques de relaxation, la réévaluation cognitive, l'intention paradoxale et la restriction de sommeil.
Les auteurs indiquent que la prescription médicamenteuse est généralement déconseillée étant donné le manque de preuve de son efficacité à long terme dans l'insomnie chronique. Elle peut toutefois être envisagée en deuxième ligne de traitement pour l'insomnie aiguë liée à des événements stressants tel que le confinement en cas d'échec ou d'impossibilité d'une TTC. Le traitement pharmacologique repose sur des benzodiazépines, des hypnotiques ou des antidépresseurs en cas de troubles de l'humeur associés.
« Les durées de sommeil peuvent aussi être plus importantes étant donné que la plupart des gens travaille à la maison avec plus de temps en famille et moins de stress lié au travail » considère le Dr Krishna M. Sunda r, directeur du Sleep-Wake Center de l'université de Utah (Etats-Unis). « Que ce soit sur le sommeil ou concernant l'aggravation de problèmes psychiatriques, l'effet global de cette situation n'est pas encore bien clair ».
« Certains patients dorment mieux car la situation se calme un peu » observe Anne C.Trainor, infirmière et formatrice spécialisée du sommeil (Oregon Health & Science University, Portland). « Conserver des horaires réguliers pour le sommeil et les repas, faire de l'exercice tous les jours de préférence en journée plutôt qu'avant de se coucher et recourir aux techniques de relaxation et de thérapie cognitive aident à lutter contre le stress » sont les messages principaux de cette étude.
Quelques recommandations pour les patients
Voici quelques recommandations que les médecins peuvent partager avec leurs patients :
Se coucher et se lever à peu près aux mêmes horaires chaque jour
Faire des pauses de 15 minutes pendant la journée pour faire descendre le stress et réfléchir à ces soucis et à la situation
Réserver son lit au sommeil et au sexe seulement : pas de travail, pas de TV ni d'ordinateur...
Essayer de suivre son rythme de sommeil naturel
Utiliser les réseaux sociaux comme moyen de lutte contre le stress, de communication avec ses amis et sa famille et comme distraction
Laisser les objets connectés en dehors de la chambre
Limiter son exposition à l'actualité sur l'épidémie
Faire de l'exercice quotidiennement à la lumière du jour
Trouver des façons de s'occuper et de se distraire, par exemple faire de son domicile un endroit confortable
S'exposer le plus possible à la lumière du jour pendant la journée, et garder la lumière faible ou éteinte la nuit
Faire des activités familières et relaxantes avant l'heure du coucher
En cas d'absence d'activité physique, manger un peu moins, idéalement deux heures avant l'heure du coucher
Quelques recommandations pour les familles
Partager les différentes taches- ménagères, enfants, corvées, entre adultes et s'assurer que tout n'incombe pas aux femmes
Maintenir une heure régulière de coucher pour les enfants et choisir une demi-heure avant le coucher une activité calme qui fait plaisir à la fois aux enfants et aux parents
Eviter ordinateur, tv, smartphone après le diner
S'assurer que ses enfants aient une activité physique chaque jour, qu'ils soient bien exposés à la lumière naturelle pendant la journée, conserver des routines et des horaires réguliers.
Rassurer les enfants s'ils se réveillent anxieux en pleine nuit
Risque de trouble de stress post-traumatique
La situation actuelle est propice aux interactions entre stress, sommeil, anxiété et risque de trouble de stress post-traumatique (SPT). « Les personnes sensibles aux perturbations du sommeil liées au stress ont tendance à développer une insomnie chronique », laquelle en cas de stress majeur, est un facteur de risque pour le trouble de SPT, écrivent les auteurs. Ils indiquent que 7 % des habitants de Wuhan, principalement les femmes, présentaient des symptômes de SPT après l'épidémie de Covid-19. L'anxiété était particulièrement importante chez les moins de 35 ans et ceux qui suivaient les informations sur le virus pendant au moins trois heures par jour.
Une meilleure qualité de sommeil et des réveils moins tôt le matin semblent protéger contre les symptômes de SPT. Les auteurs listent aussi d'autres facteurs de réduction du stress : l'exercice physique, les thérapies cognitives et les techniques de relaxation, dont la méditation.
Cet article a été initialement publié sur l'édition internationale de Medscape sous l’intitulé : Sleep in the Time of COVID-19. Traduit et adapté par Marine Cygler pour Medscape édition française.
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Citer cet article: COVID-19 : (re)trouver le sommeil pendant l'épidémie - Medscape - 12 mai 2020.
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