POINT DE VUE

COVID-19 et syndrome Kawasaki-like : quelles particularités ?

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

6 mai 2020

France— Depuis le 1er mars, un nombre inhabituel d’enfants a été hospitalisé en réanimation avec un syndrome inflammatoire proche de la maladie de Kawasaki : 144 selon Santé Publique France (Lire aussi Kawasaki : les 25 enfants d’Ile-de-France tous testés positifs au Covid-19 ). Que sait-on de cette maladie rare ? En quoi le tableau clinique des enfants actuellement hospitalisés diffère-t-il de la symptomatologie classique de la maladie ? Quelle est la prise en charge ? Le Dr Léa Cacoub, cardiologue à l’hôpital Lariboisière à Paris, fait le point.

Medscape édition française : Quelle est la prévalence habituelle de la maladie de Kawasaki ? Qui y-a-t-il d’étonnant avec ces nouveaux cas ?

Dr Léa Cacoub

Dr Léa Cacoub : Cette maladie, la première cause de maladie cardiaque acquise dans l’enfance dans les pays industrialisés, est très rare. Elle touche environ 1 enfant sur 6000 en France et aux États-Unis et 1 sur 12.000 au Royaume-Uni. Elle est plus fréquente au Japon avec une incidence à 1/1000. L’incidence est 2,5 fois plus élevée chez les patients d’origine asiatique que chez les patients d’origine caucasienne, ce qui suggère une prédisposition génétique. Il est d’ailleurs étonnant de n’avoir pas constaté de recrudescence des cas de Kawasaki en Asie dès le début de l’épidémie asiatique en décembre dernier, en tout cas, cela n’a pas été rapporté dans les séries chinoises ou japonaises.

Il existe un gradient saisonnier annuel avec une recrudescence hivernale et printanière de la maladie. Mais, il est devenu clair depuis environ 3 semaines qu’un nombre inhabituel d’enfants de tous âges a été hospitalisé dans un contexte d’inflammation multi-systémique associant fréquemment une défaillance circulatoire avec des éléments en faveur d’une myocardite. Nous sommes préoccupés du caractère épidémique de ces cas de maladie de Kawasaki-like sur nos réanimations d’Ile-de-France de 25 au moins en 3 semaines et de 9 sur Necker ces deux derniers jours (au 30 avril). D’autre part, le contact pris avec nos collègues londoniens, espagnols, italiens et belges confirme ce problème émergent.

Medscape : Quel rationnel entre maladie de Kawasaki et Covid-19 ?

Dr L. Cacoub : La pathogénie de la maladie de Kawasaki est encore inconnue, et plusieurs théories ont été proposées, incluant la possibilité d’une infection par micro-organisme sécrétant des toxines et d’un processus lié aux superantigènes*. L’implication du système immunitaire est donc très fortement suspectée, probablement médiée par un agent bactérien ou viral, et à ce titre, l’implication des virus de la famille des coronavirus avait déjà été évoquée depuis longtemps (ainsi que les adénovirus, l’herpès virus, l’EBV et d’autres).

* Un superantigène provoque l'activation massive des lymphocytes T de façon non spécifique d'un antigène.

Medscape : Vous a-t-il été demandé de réaliser une surveillance particulière dans vos services de cardiologie ?

Dr L. Cacoub : Au sein de la communauté médicale, des notes sont actuellement en cours de diffusion, afin d’être vigilants sur la survenue de tels tableaux cliniques chez les enfants puisqu’il s’agit d’une pathologie très majoritairement pédiatrique, mais également chez l’adulte, chez qui elle peut se manifester, et chez qui les atteintes cardiaques liées au Covid-19 ont été largement décrites dans les cohortes asiatiques et plus récemment européennes.

Le Pr Damien Bonnet de Necker nous a fait suivre à ce titre une note à la fois de vigilance à l’égard des présentations cliniques de nos patients admis en cardiologie porteurs du Covid, et un appel à la  communication, entre médecins, en cas de survenue de cas suspects, afin de colliger les données nationales et d’avancer sur cette piste d’association entre le Covid-19 et les vascularites dont le Kawasaki.

Medscape : Le syndrome actuellement observé en réanimation diffère-t-il de du tableau classique de maladie de Kawasaki ?

Dr L. Cacoub : Les formes cliniques sont assez similaires au Kawasaki « classique » (voir encadré ci-dessous).

Mais ; la présentation clinique des cas pédiatriques récemment pris en charge est pléomorphe et peut être une forme incomplète de la maladie de Kawasaki, ce d’autant que certains patients ont des dilatations coronaires.
Aujourd’hui, la vingtaine de cas identifiés dans les unités de cardiologie et de réanimation à Necker ont certaines particularités :

  • Sur les quelques cas décrits, les manifestations évocatrices de Kawasaki surviennent entre le 2ème et le 4ème jour de fièvre ;

  • Ils ont une présentation initiale respiratoire, hémodynamique, septique ou digestive ;

  • Ils ont une phase initiale pouvant évoquer un orage cytokinique éventuellement avec des signes d’activation macrophagique ;

  • Le collapsus est fréquent et la dysfonction systolique du ventricule gauche variable mais parfois profonde ;

  • L’élévation de la troponine est modérée ;

  • Les modifications de l’ECG sont ténues ;

  • La co-infection par le Covid-19 a été documentée.

Présentation clinique classique et complications

La maladie de Kawasaki est une vascularite fébrile aiguë systémique du jeune enfant et du nourrisson qui affecte les vaisseaux de moyen et petit calibre. Sa gravité est liée au fait qu’un pourcentage non négligeable des patients non traités (25 à 30 %) ont des séquelles cardiovasculaires, notamment des anévrismes coronaires qui peuvent être mortels.

La maladie de Kawasaki débute de manière aiguë avec une fièvre prolongée inexpliquée, supérieure à 38 °C, qui persiste au moins 5 jours et ne répond pas aux antipyrétiques ni aux antibiotiques. Elle dure 1 à 2 semaines chez les patients non traités, mais se résout généralement rapidement, avec l’administration d’acide acétylsalicylique par voie orale et d’immunoglobulines par voie intraveineuse.

Parallèlement à la fièvre, il existe 5 autres critères, le diagnostic de maladie de Kawasaki pouvant être retenu si la fièvre est associée à au moins 4 de ces 5 critères.

  • L’éruption cutanée est dans la majorité des cas polymorphe, non spécifique, diffuse et maculopapulaire. Le siège constitue une localisation caractéristique.

  • La conjonctivite apparaît avec la fièvre ; l’atteinte de la conjonctive bulbaire y est plus importante que l’atteinte palpébrale, et il n’y a pas d’exsudat. L’examen à la lampe à fente montre parfois une uvéite antérieure.

  • Les atteintes oropharyngées comprennent un érythème des lèvres, une sécheresse, des fissures et parfois des saignements. La langue est framboisée, avec des papilles saillantes et un énanthème.

  • Les adénopathies cervicales sont souvent antérieures, avec un diamètre supérieur à 1,5 cm, avec ou sans érythème.

  • Les atteintes des pieds et des mains comportent un érythème des paumes ou des plantes ainsi qu’un oedème. En phase subaiguë, on observe une desquamation périunguéale et des lignes transversales de Beau.

Il est caractéristique, même si cela ne fait pas partie des critères diagnostiques, que les enfants atteints de la maladie de Kawasaki soient extrêmement irritables, et aient un mauvais état général ; cela peut être lié à une méningite aseptique.

D’autres manifestations cliniques peuvent être attribuées à la maladie de Kawasaki, mais ne sont pas incluses dans les critères classiques : arthrite et arthralgies, douleurs abdominales, cholécystite alithiasique, urétrite abactérienne.

Les complications cardiaques surviennent chez 25 à 30 % des patients non traités. La complication la plus importante est représentée par des anévrismes coronaires, qui surviennent habituellement entre 10 et 30 jours après le début de la maladie.

Il existe des critères échographiques qui en permettent le diagnostic et la surveillance. Les patients ayant eu une maladie de Kawasaki à l’âge pédiatrique peuvent être atteints d’une artério et/ou athérosclérose précoce et de calcifications des artères coronaires à l’âge adulte. Il est aussi possible que certains infarctus du myocarde soient liés à une histoire ancienne de maladie de Kawasaki.

Medscape : Le traitement est-il le même?

Dr L. Cacoub : Il est le même. Le traitement doit être le plus précoce possible. Il repose sur la prescription d’acide acétylsalicylique (Aspirine) (50-80 mg/kg/j lors de la phase aiguë, puis 3-5 mg/kg/j) et sur l’administration d’immunoglobulines par voie intraveineuse (2 g/kg en une seule dose). La réponse à ce traitement est généralement très bonne, l’apyrexie étant obtenue en quelques heures. Il a été démontré que la prévalence d’anomalies coronariennes dépend de la dose d’immunoglobulines et non pas de la dose d’aspirine, le traitement par immunoglobulines par voie intraveineuse permettant de réduire la fréquence des anévrismes coronaires à moins de 5 %. L’administration des immunoglobulines doit être précoce, dans la mesure du possible au cours de la première semaine de la maladie; toutefois, en présence de signes d’inflammation persistants, on peut procéder au traitement même après la première semaine.

En cas d’échec après perfusion d’immunoglobulines, défini comme la persistance ou la récidive de la fièvre 36 heures après la fin de la perfusion, on peut procéder à un deuxième et même à un troisième cycle thérapeutique.

Les corticoïdes ont longtemps été contre-indiqués dans la maladie de Kawasaki, mais des données récentes montrent que la corticothérapie peut être aujourd’hui conseillée en cas d’échec initial des immunoglobulines.

L’acide acétylsalicylique est administré à dose anti-inflammatoire pendant la phase aiguë et à dose antiplaquettaire en phase subaiguë. En l’absence de complications cardiaques, une faible dose est maintenue jusqu’à la normalisation de la vitesse de sédimentation et de la numération plaquettaire.

Chez les enfants ayant des anomalies des artères coronaires, le traitement est continué jusqu’à la régression complète des anévrismes, et pour toute la vie si ces anévrismes persistent. En cas d’anévrisme géant, il y a parfois nécessité d’une anticoagulation par une antivitamine K ou par héparine et, dans des cas sélectionnés, d’une intervention chirurgicale (pontage, transplantation).

Le Dr Cacoub n’a pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.

Retrouvez les dernières informations sur le Covid-19 dans le  Centre de ressource Medscape dédié au coronavirus

 

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