COVID-19 : des recommandations pour réduire le risque thromboembolique

Vincent Richeux

30 avril 2020

Washington, Etats-Unis — Des experts internationaux ont publié un consensus visant à améliorer la prise en charge des patients infectés par le Covid-19 afin de réduire le risque de complications thrombotiques, notamment dans le contexte des soins intensifs [1]. Parmi les mesures préconisées : le traitement préventif par anticoagulant des patients présentant des difficultés respiratoires, en privilégiant la voie parentérale.

Publié dans le Journal of the American College of Cardiology (JACC), le document a été validé par des sociétés savantes internationales de médecine vasculaire, dont l’European Society of Vascular Medicine (ESVM), avec l’aval de l’European Society of Cardiology (ESC).

« La maladie thrombotique peut être un facteur aggravant chez les patients atteints par le Covid-19. L’utilisation de médicaments antithrombotiques à visée préventive ou thérapeutique doit être prise en compte pour réduire le risque d’événement thromboemboliques ou hémorragiques chez ces patients à haut risque », ont commenté les auteurs.

Dans ce document, les experts se sont concertés pour aborder le risque thromboembolique dans le cadre de la prise en charge des patients présentant des complications liées au Covid-19, en reprenant des données de la littérature. Ils évoquent notamment la question du diagnostic et du traitement des thromboses dans le contexte des soins intensifs.

Parmi les mesures préconisées : le traitement préventif par anticoagulant des patients présentant des difficultés respiratoires, en privilégiant la voie parentérale.

Risque de micro-thrombose

De plus en plus de données montrent que les patients atteints par le SARS-CoV-2 sont confrontés à un élevé de complications thromboemboliques, en particulier dans les formes les plus graves, qui peuvent être liées à la formation de micro-thromboses. Le développement d’une réponse inflammatoire excessive serait notamment en cause.

Des analyses menées par une équipe suisse ont ainsi suggéré que l’infection induit directement ou indirectement une dysfonction de l’endothélium vasculaire, augmentant alors le risque de thrombose et de vasoconstriction, ce qui expliquerait pourquoi certains patients admis en soins intensifs sont difficiles à soigner.

En France, l’équipe du Pr Eric Delabrousse a rapporté un taux d’embolie pulmonaire de 23% chez des patients présentant les signes d’une pneumonie.

Peu d’études font état de l’incidence des thromboses chez les patients infectés par le Covid-19, rappellent les auteurs. L’une d’entre elles, citée dans le document, montre un taux de thrombose veineuse effectivement préoccupant, puisqu’il s‘élève à 31% dans une série de 184 patients pris en charge en soins intensifs dans trois hôpitaux des Pays-Bas [2].

En France, l’équipe du Pr Eric Delabrousse du service de radiologie du CHU de Besançon s’est fait récemment remarquer en rapportant un taux d’embolie pulmonaire de 23% chez des patients présentant les signes d’une pneumonie [3]. Dans leur étude, qui a inclus 100 patients, l’objectif était d’évaluer l’intérêt de réaliser un angioscanner pulmonaire pour rechercher une éventuelle thrombose.

« L’imagerie montre qu’il s’agit d’embolies inhabituelles, liées à de petites obstructions veineuses diffuses, localisées à un niveau très périphérique. On ne retrouve pas les gros caillots provenant d’une thrombose veineuse des membres inférieurs », a indiqué le Pr Delabrousse, auprès de Medscape édition française.

Les résultats de cette étude ont conduit à un changement de pratiques au CHU de Besançon, où tous les patients infectés par le COVID-19 rentrant en animation sont désormais mis sous héparine, à des doses curatives. Un angioscanner pulmonaire est effectué en cas de suspicion de complications pulmonaires.

Au CHU de Besançon, tous les patients infectés par le COVID-19 rentrant en animation sont désormais mis sous héparine, à des doses curatives.

Héparine ou compression pneumatique

Dans le document de consensus, les experts estiment que le traitement préventif est à envisager selon le risque thromboembolique (scores de Padoue ou de Caprini). Il doit être administré de manière systématique en cas d’insuffisance respiratoire, de comorbidités, telle que l’insuffisance cardiaque, ou de prise en charge en soins intensifs.

L’administration d’héparine de bas poids moléculaire (HBPM) ou d’héparine non fractionnée est le traitement prophylactique standard recommandé, en suivant les recommandations habituelles. En cas de contre-indication, la compression pneumatique intermittente est à envisager. Les anticoagulants doivent être maintenus après la sortie d’hôpital chez les patients avec des facteurs de risque.

Etant donné que l’utilité du traitement par anticoagulant à visée thérapeutique contre les micro-thromboses n’est pas prouvée chez ces patients, la majorité des experts considèrent plus raisonnable de se restreindre à des doses prophylactiques. Certains estiment toutefois que des doses intermédiaires, voire des doses curatives peuvent être administrées pour réduire au maximum le risque. « Davantage de recherches sont à mener pour définir une stratégie préventive optimale », notent les auteurs.

Les anticoagulants doivent être maintenus après la sortie d’hôpital chez les patients avec des facteurs de risque.

« Au CHU de Besançon, on considère que l’approche prophylactique n’est pas suffisante, au vu des mécanismes physiopathologiques en jeu », souligne le Pr Delabrousse. « Des doses curatives d’héparine semblent plus adaptées, même si on ne sait pas encore très bien si ce sera aussi efficace que dans le cas d’une embolie pulmonaire classique ».

Selon le radiologue, les autres CHU seraient déjà en train d’adopter cette approche.

L’hypoxie, facteur de risque majeur

Concernant le diagnostic de la maladie thromboembolique, les experts précisent qu’un niveau élevé de D-dimères, fréquents chez les patients atteints du Covid-19, n’est pas un bon marqueur. En revanche, une importante hypoxie ou une insuffisance ventriculaire droite aiguë sont davantage les signes d’une thrombose, rappellent-ils.

« Ceci dit, nous n’avons pas observé de signes de souffrance au niveau cardiaque chez nos patients présentant une embolie pulmonaire, ce qui confirme un profil peu habituel. Les petites thromboses très périphériques n’ont pas de répercussion sur le cœur, mais se révèlent très hypoxémiantes », précise le Pr Delabrousse.

S’agissant de l’utilisation de l’imagerie pour poser le diagnostic, les experts estiment qu’elle représente un défi dans le contexte des soins intensifs mis en place pour les patients infectés, en raison notamment de leur état instable, de la nécessité de les maintenir allongés et du risque de contamination.

Au CHU de Besançon, une filière spécialement dédiée aux patients infectés par le Covid-19 a été mise en place. « Les scanners sont utilisés uniquement pour ces patients. Entre 20 et 50 examens sont effectués chaque jour. La question du risque de contamination se posera surtout lorsque les cas seront moins nombreux et qu’il faudra réaliser des examens pour d’autres patients ».

Au CHU de Besançon, une filière d’imagerie spécialement dédiée aux patients infectés par le Covid-19 a été mise en place.

Un traitement à faire évoluer

En cas de thrombose avérée, le consensus précise que le choix du traitement anticoagulant doit tenir compte des comorbidités (insuffisance rénale, insuffisance hépatique…) et de la présence de troubles gastro-intestinaux. « Le traitement devra probablement être modifié au cours de l’hospitalisation », notent les auteurs.

La voie parentérale doit être là aussi privilégiée, en optant pour l’HBPM. En effet, selon eux, cette voie n’est pas associée à un risque connu d’interaction avec les traitements envisagés pour lutter contre l’infection. Elle a toutefois l’inconvénient d’exposer davantage les soignants à un risque de contamination, estiment-ils. Les anticoagulants oraux directs (AOD) peuvent aussi être envisagés.

La voie parentérale doit être privilégiée, en optant pour l’HBPM.

Le document s’attarde par ailleurs sur les cas particuliers, notamment pour la prise en charge des patients infectés présentant un syndrome coronarien aigu. Le double traitement antiplaquettaire à dose optimale reste recommandé chez ces patients, si possible par voie parentérale. En cas de risque hémorragique, un traitement par clopidogrel est préférable.

Enfin, les experts évoquent la situation des patients non infectés, mais à risque élevé de pathologie thromboembolique, en rappelant la nécessité de s’assurer qu’ils peuvent poursuivre leur traitement préventif.

Ils soulignent également que les praticiens ont un rôle à jouer en encourageant leurs patients, en particulier les plus âgés et les plus à risque, à rester actifs et à maintenir un régime alimentaire équilibré pendant les périodes de confinement afin de réduire les risques de thrombose.

En cas de risque hémorragique, un traitement par clopidogrel est préférable.

 

 

 

 

 

 

 

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