COVID-19 modéré à sévère : le tocilizumab pourrait améliorer le pronostic

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

28 avril 2020

Paris, France—Dans la course aux traitements contre le Covid-19, certains font parfois naitre des lueurs d’espoirs. C’est le cas notamment du tocilizumab (Roactemra®, Roche), dont l’AP-HP a annoncé hier en e-conférence de presse des résultats préliminaires positifs, sans toutefois les divulguer, ceux-ci n’étant pas encore publiés dans une revue à comité de lecture [1].

Cette méthode inhabituelle de communication a été décidée en raison du contexte pandémique. Il a semblé « éthique » de les partager au plus vite, a indiqué le directeur général de l'AP-HP, Martin Hirsch« C'est la première démonstration dans des conditions contrôlées, avec un essai randomisé, pour des patients souffrant de formes sévères », a-t-il souligné.

Cet anticorps monoclonal, qui est déjà indiqué dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, de l'arthrite juvénile idiopathique et de l'artérite à cellules géantes, « améliore significativement le pronostic des patients avec pneumonie Covid moyenne ou sévère », selon les premiers résultats de l'essai randomisé contrôlé réalisé en ouvert CORIMUNO-TOCI, précise l’institution.

La molécule, qui empêche la liaison de l’interleukine-6 aux récepteurs membranaires permettrait de lutter contre l’orage cytokinique, la tempête inflammatoire, qui survient chez 5 à 10 % des patients atteints de Covid-19.

Elle diminuerait le taux de passage en réanimation et le taux de mortalité chez des patients déjà hospitalisés avec un COVID-19 et nécessitant une oxygénothérapie limitée, expliquent les coordinateurs de l’essai, les Prs Olivier Hermine (Hôpital Necker, AP-HP, Imagine Institute, INSERM U1163, Université de Paris) et Xavier Mariette (Hôpital Bicêtre, AP-HP, INSERM U1184, Université Paris-Saclay).

Anti-IL-6 : quel rationnel ?

Les inhibiteurs des récepteurs de l'interleukine 6, notamment le tocilizumab et le sarilumab (Kevzara®), ont déjà montré leur intérêt dans d'autres contextes de choc cytokinique. Le tocilizumab est notamment indiqué dans le traitement du syndrome de libération des cytokines provoqué par une immunothérapie par cellules CAR-T dans le traitement de certains lymphomes.

Les anti-IL-6 sont donc apparus comme des cibles thérapeutiques potentielles très rapidement. En Chine d’abord, avec des résultats préliminaires encourageants sur une vingtaine de patients hospitalisés pour un COVID-19 sévère[2] : baisse de la fièvre, de l’inflammation, bons résultats aux scanners, baisse des besoins en oxygène, sortie de 19 patients sur 20, 13,5 jours en moyenne après le début du traitement.

De nombreuses études cliniques se sont alors rapidement mises en place pour évaluer l'intérêt de ces inhibiteurs dans la prise en charge des formes graves de COVID-19. En France, mais aussi en Italie avec l’ étude TOCIVID-19 , au Danemark avec l’étude  TOCIVID, une étude comparative tocilizumab/sarilumab , en Chine, en Suisse, aux Etats-Unis, en Belgique, ou en Espagne. Un essai international étant également mené par les laboratoires Roche. Au 23 avril, au moins 19 essais étaient en cours avec cette molécule .

Le sarilumab (Kevzara®) est lui aussi évalué dans au moins 6 essais dont celui de l’AP-HP CORIMUNO 19 – SARI .

Enfin, un autre anticorps ciblant les récepteurs de l’IL6, le siltuximab, est évalué dans deux essais en Espagne et en Italie.

A noter que d’autres anti-inflammatoires comme l’anti-IL-1 (Anakinra®) ou la colchicine font également l’objet d’études.

En France, quelques jours avant l’annonce de l’AP-HP, des données suggérant l'intérêt du tocilizumab dans les formes graves de Covid ont aussi été rapportées par l'hôpital Foch à Suresnes mais, l’AP-HP est la première à communiquer sur un essai randomisé, ce dont elle s’enorgueillit.

CORIMUNO-TOCI : ce que l’on sait à cet instant T

De ce que l’on sait à ce jour, l’essai CORIMUNO-TOCI a été mené dans le cadre du bouquet d’essais thérapeutiques CORIMUNO, qui réunit plus de 420 patients Covid-19 et compte plusieurs « bras » (sarilumab, sérum de malades guéris…). En tout, 129 patients hospitalisés et nécessitant une oxygénation limitée ont été inclus dans l’essai, dont 65 dans le bras tocilizumab et 64 dans le bras « traitement classique ». L'objectif, qui était de diminuer le risque de ventilation et de diminuer la mortalité, a été atteint. Mais aucun chiffre n’a encore été communiqué.

Le tocilizmab a été donné à la dose de 8 mg/j en intraveineuse en une fois mais la perfusion a été répétée au troisième jour en cas d’absence de réponse immédiate. Cette dose de 8mg est la même que celle administrée tous les trois mois dans la polyarthrite rhumatoïde, a précisé le Pr Mariette.

Concernant la tolérance de la molécule, le Pr Mariette a rappelé les effets secondaires de la molécule connus dans la polyarthrite rhumatoïde : augmentation du risque d’infections bactériennes, des problèmes hépatiques, baisse des globules blancs, réactions au site de perfusion.  Toutefois, il a souligné que ces effets « étaient rares » et qu’il n’avait pas « été constaté plus de ces effets secondaires chez les patients traités par tocilizumab par rapport à ceux qui n’en avaient pas reçu ».

Pour la suite, les chercheurs ont indiqué qu’une publication serait probablement disponible dans moins d’un mois et que sur le plan de la recherche, il resterait à évaluer plus avant le profil des patients hospitalisés qui pourraient réellement profiter de cette possible thérapeutique.

Répondant à une question sur la disponibilité du tocilizumab, les chercheurs ont indiqué que les médecins hospitaliers pourraient décider de le dispenser à leurs malades graves dans un cadre collégial, notamment si le Haut Conseil de Santé Publique donnait son feu vert, sans avoir besoin d'une AMM.

Le choc cytokinique

En réaction à l’infection par le SARs-CoV-2, chez certains patients, les cellules immunitaires se multiplient et sécrètent des quantités importantes de cytokines (IL-2,-6,-7,-10, G-CSF, TNFα). C’est ce qu’on appelle le choc cytokinique où la production de cytokines s’emballe, devient incontrôlable et mène à un certain nombre de complications sévères : hypertension artérielle, troubles du rythme cardiaque, hypoxie, lésions de fibrose pulmonaire allant parfois jusqu’à un syndrome de détresse respiratoire aiguë, à une défaillance multi-organes et au décès. Le choc cytokinique touche surtout les adultes en milieu de vie. Les enfants, dont le système immunitaire est encore immature et les personnes âgées, dont l'immunité est affaiblie semblent plutôt épargnés.

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