Un nouveau test sanguin pourrait détecter jusqu’à 50 cancers différents

Roxanne Nelson

Auteurs et déclarations

29 avril 2020

Boston, Etats-Unis – Pouvoir détecter précocement un cancer grâce à un simple examen sanguin constitue le nouveau graal en oncologie, voire en médecine. Une étude parue début avril dans les Annals of Oncology apporte sa pierre à l’édifice [1]. Des chercheurs de deux instituts prestigieux (le Dana-Farber Cancer Institute et la Mayo Clinic) ont conçu un nouveau test sanguin capable de détecter plus de 50 types de cancer et d'informer sur l'origine histologique du cancer. Ce test, supporté par l’entreprise californienne GRAIL, utilise une méthode de séquençage de dernière génération qui analyse le profil de méthylation de l'ADN circulant retrouvé dans le sang, combinée à des techniques d’intelligence artificielle. La publication de ces résultats a toutefois entrainé des réactions contrastées au sein des oncologues qui soulignent qu’il ne s’agit pas, à ce stade, d’un test de dépistage.

En adhérant à des portions d’ADN spécifiques, ces groupes méthyls activent ou inactivent des gènes. Dans les cellules cancéreuses, l’emplacement de ces groupes méthylés, ou motifs de méthylation, est souvent très différent de ce que l’on trouve dans les cellules saines – ces motifs de méthylation particuliers sont encore plus spécifiques des cellules cancéreuses que ne peuvent l’être les mutations génétiques. Quand les cellules cancéreuses meurent, les brins d’ADN tumoral méthylés sont retrouvés dans le sang où ils peuvent être analysés par ce nouveau test, explique un communiqué de presse [2].

Ce test de détection du cancer a une spécificité de 99,3 % et un pourcentage de faux positif de 0,7%. Et lorsqu'un cancer a été détecté, le test identifie sans erreur le tissu d'origine dans 90 % des cas.

« Nos précédents résultats indiquent que les tests basés sur la recherche de méthylation font mieux que les approches traditionnelles de séquençage de l’ADN pour détecter différents types de cancer dans des échantillons sanguins, indique le Dr Geoffrey Oxnard (Dana-Farber Cancer Institute, Boston) [2]. Les résultats de cette étude suggèrent que ce type de tests de nouvelle génération serait un moyen de dépister la population pour une grande variété de cancers ».

Entrainer et valider un algorithme de classification

L'étude CCGA a utilisé l’ADN (débarrassé des cellules) issus de 6689 participants, 2482 avec un cancer connu et 4207 sans cancer connu. Les échantillons issus de patients avec un cancer provenaient de plus d’une cinquantaine de localisations différentes (colorectal, vessie, sein, œsophage, tête et cou, foie, poumon, ovaire, pancréas, estomac, myélome et lymphome).

L’étude comprenait 3 sous-études pré-spécifiées : une pré-étude pour tester la méthode (publiée en 2018), une deuxième analyse sur un échantillon plus large, avec une étape de validation et une étape de test (rapportée ici) , une troisième étude sur une population encore plus large est en cours. La deuxième sous-étude rapportée ici comprenait 4841 participants de l’étude CCGA divisée entre une partie « entrainement » (3133 patients : 1742 cancer et 1391 non-cancer) ; et un groupe de validation indépendant comprenant 1354 patients (740 cancer and 614 non-cancer); 354 échantillons pour les biopsies tumorales de référence. Une autre population contrôle issue de l’étude STRIVE a été utilisée pour aider à la classification et mesurer précisément la spécificité en raison de la variabilité de l’échantillon. Un algorithme de classification a été développé et validé pour la détection des cancers sur la base de la présence des groupes méthyls et l'identification de leur origine histologique. Les performances du test se sont révélées cohérentes pour les entraînements et les validations. La détection du cancer était meilleure pour les stades plus avancés.

92 % de sensibilité pour les 12 cancers les plus fréquents

Les résultats sont rapportés pour un groupe de douze cancers (anal, de la vessie, colorectal, œsophage, tête et cou, foie, poumon, ovaire, pancréas, estomac, myélome et lymphome) qui représente tout de même 63 % de l'ensemble des cancers. Pour ce groupe de douze cancers, la sensibilité du test était de 39 % au stade I, de 69 % au stade II, de 83 % au stade III et de 92 % au stade IV. Pour les 50 types de cancer pris ensemble, les pourcentages correspondants étaient respectivement de 18%, 43%, 81 % et 93%.

L'origine histologique du cancer a été prédite pour 96 % (344/359) des échantillons et a été pertinente dans 93 % (321/344) du groupe « validation ».

Réactions mitigées

La publication de ces résultats a entrainé des réactions contrastées au sein des oncologues américains interviewés par nos collègues de Medscape Medical News.

Ainsi, le Dr William Grady (Fred Hutchinson Cancer Research Center, Seattle), qui n'a pas participé à l'étude, nuance ces très bons résultats qu'il juge trop optimistes et dont la spécificité et la sensibilité ne sont pas retrouvées dans les études de suivi. Le chercheur explique ses réserves sur le protocole de l’étude : « Ceci est le résultat de l'effet de variables pré-analytiques, de facteurs confondants, d'une population contrôle inappropriée et d'un design faible des études de validation ayant eu recours à une cohorte de validation qui optimise les résultats ».

De son côté, le Dr Michael Seiden, président du US Oncology Network, et un des auteurs de l’article, précise qu'il ne s'agit pas d'un test de dépistage. « Le test a été évalué chez des patients dont le cancer est connu ainsi que chez quelques milliers de personnes qui ne sont pas censées avoir un cancer » a-t-il indiqué à Medscape Medical News. Les études cliniques pour évaluer le test sont en cours.

« Le test est prévu pour être complémentaire et non remplacer les tests de dépistage actuellement recommandés par les guidelines. Il pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour les cancers aujourd'hui dépourvus de test » a-t-il expliqué. Avant de poursuivre : « Nous pensons avoir plus d'information cette année. » Il a ajouté que si le test était commercialisé, cela nécessiterait qu’il fasse l’objet d’un processus bien contrôlé dans des laboratoires hautement spécialisés.

Le Dr Grady, lui, écarte la possibilité que ce nouveau test sanguin puisse être utilisé dans le cadre d'un dépistage du cancer. « Pour qu'un test de dépistage présente une utilité clinique, il doit avoir un effet sur la survie, correspondre à la population pour lequel il est élaboré, bénéficier de traitements cliniques, de tests de confirmation, ne pas trop peser financièrement sur le système de santé, et être accompagné d'un plan de gestion clair ».

Ces critères ne sont atteints aujourd'hui aux Etats-Unis que pour le cancer du sein et le cancer colorectal qui bénéficient de fait d'un dépistage généralisé. D'après le Dr Grady, il semble peu probable qu'un test de détection des cancers en général parvienne à réunir tous ces critères. Pour qu'un test de dépistage soit utilisé en clinique, « il doit présenter un très faible risque (d'erreur) parce qu'il est utilisé dans une population en bonne santé ». « Un dépistage « tout cancer » utilisé en population générale n'a pas ces prérequis » a-t-il conclu.

La guerre des tests ?

Il y a deux ans un autre test sanguin, CancerSEEK, avait été présenté comme capable d'identifier huit cancers fréquents (ovaires, foie, œsophage, pancréas, estomac, poumons, sein et colorectal) [3]

CancerSEEK mesure l'ADN circulant tumoral de 16 gènes ainsi que 8 protéines biomarqueurs.

Le Dr Seiden a expliqué que, même si CancerSeek est lui aussi un test sanguin, il évalue à la fois l’ADN et les protéines, et la technique ADN est différente de celle utilisée par le test de GRAIL.

« Une des particularités de notre test est la possibilité de remonter à l'origine histologique du cancer pour plus de 50 types de cancer, ce qui en pratique pourrait aider à développer une stratégie efficace pour les patients testés positivement » a rappelé le Dr Seiden, soulignant l'avantage du nouveau test.

Le Pr Anne Marie Lennon (Johns Hopkins University, Baltimore), qui, elle, a participé à l'étude Cancer SEEK, s'enthousiasme « de voir tout cet intérêt autour du développement de méthodes de détection plus précoce du cancer ».

«Dans les deux études, les cancers des patients avaient déjà été diagnostiqués. La prochaine étape décisive de ces deux approches sera un essai prospectif avec des individus avec un risque moyen dont on ne saura pas qu'ils ont un cancer avant l'analyse » a expliqué Anne Marie Lennon.

 

Cette étude a été financée par Grail, le fabricant du test. Le Dr Seiden a rapporté des liens d'intérêt avec McKesson, Grail, Merck et Bristol Myers Squibb. Les autres co-auteurs ont également rapporté des liens d'intérêt avec l'industrie. La Dr Lennon n'a pas rapporté de liens d'intérêt.

 

Cet article a été publié initialement sur l'édition US de Medscape sous l’intitulé Blood Test May Detect Multiple Cancer Types: Study. Traduction-adaptation de Marine Cygler.

 

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