Paris, France — Les patientes atteintes de tumeurs trophoblastiques gestationnelles (GTT) résistantes à la mono-chimothérapie sont traitées avec des schémas de chimiothérapie connus pour être efficaces, mais toxiques.
Or, PD-L1 est exprimé de manière constitutive dans tous les sous-types de GTT. Une équipe de chercheurs constituée autour du Centre National de Référence des maladies trophoblastiques a donc décidé d’évaluer l’intérêt de l'anticorps monoclonal anti-PD-L1 avélumab (Pfizer & Merck KGaA) chez des patientes atteintes de GTT chimiorésistantes.

Pr Benoît You
Les résultats de l'essai TROPHIMMUN, positifs, ont été présentés par l’auteur principal de l’étude, le Pr Benoît You (oncologue médical, Institut de Cancérologie des Hospices Civils de Lyon, France ) lors du congrès virtuel de l’ASCO 2020[1]. Il revient pour nous sur les principaux résultats de ce petit essai de phase 2 et sur les particularités de ces tumeurs gynécologiques rares.
Medscape : Pouvez-vous rappeler ce que sont ces tumeurs trophoblastiques ?
Pr B. You : Ce sont des tumeurs rares qui sont développées au sein du placenta à l’occasion d’une grossesse. La grossesse donne le plus souvent lieu à une fausse couche, mais il arrive parfois que la grossesse soit normale et que la tumeur se développe après l’accouchement. C’est très traumatisant pour les patientes.
Les maladies trophoblastiques, qui sont la forme bénigne de la tumeur trophoblastique, touchent une grossesse sur 1000. Ces tumeurs bénignes (môles hidatiformes) sont retirées par curetage de l’utérus.
Dans 10 % des cas, cette maladie trophoblastique devient une tumeur trophoblastique (une grossesse sur 10 000). Ces tumeurs initialement localisées dans l’utérus vont assez rapidement faire des métastases, les plus fréquentes étant les métastases pulmonaires.
Quel est le pronostic des patientes atteintes de ce cancer ?
Pr B. You : Le pronostic reste très bon. Avec les traitements actuels, nous guérissons entre 95 et 99% des patientes.
Quel est le traitement classique de ces tumeurs ?
Pr B. You : Toutes les patientes subissent un curetage, puis nous suivons l’efficacité de cette première intervention par le marqueur hCG qui est anormalement élevé lorsque la maladie trophoblastique est active. Si le hCG revient à zéro, la patiente est guérie, mais si cela n’est pas le cas, on parle de tumeur trophoblastique. Nous avons alors recours à la chimiothérapie avec deux situations. Lorsque l’on décide d’une chimiothérapie, nous calculons un score dans lequel sont pris en compte huit items parmi lesquels l’âge de la patiente, l’intervalle de temps entre le diagnostic et la prise en charge, le taux d’HGC et le nombre de métastases. Ce score nous indique si la tumeur trophoblastique est à bas risque de résistance à la monochimiothérapie. Dans ce cas, en Europe, nous donnons une mono-chimiothérapie, le méthotrexate en première intention, ou l’actinomycine-D. En revanche, si la maladie est à haut risque de résistance à la mono-chimiothérapie (score >7), alors elles sont traitées par poly-chimiothérapie ( protocole EMACO le plus utilisé). C’est probablement un des chimiothérapies les plus toxiques qui soit. En parallèle, les patientes qui ont résisté aux deux mono-chimiothérapies ou qui ont des valeurs d’hCG trop élevées (30% des patientes) vont, elles aussi, avoir recours à la poly-chimiothérapie. Le pourcentage de résistance à la poly-chimiothérapie n’est que de 5%.
Pouvez-vous revenir sur le rationnel de votre étude ?
Pr B. You : L’objectif de cette étude était de faire rentrer les tumeurs trophoblastiques dans le 21ème siècle, avec notamment les immunothérapies pour montrer que l’on pourrait se passer de chimiothérapie dans ces tumeurs trophoblastiques.
Nous avons voulu faire la preuve de concept que l’immunothérapie pouvait être efficace dans cette tumeur-là. Le deuxième objectif était de voir si cette immunothérapie pouvait être une alternative à la chimiothérapie et surtout aux chimiothérapies toxiques, telles que l’actinomycine-D et surtout la difficile poly-chimiothérapie. Même si l’immunothérapie est chère, cela vaut la peine de vouloir éviter cette toxicité pour les femmes.
Pourriez-vous nous décrire votre essai et ses principaux résultats ?
Pr B. You : En tout, 15 patientes (âge médian de 34 ans), suivies au Centre gestationnel trophoblastique français, ont été traitées de décembre 2016 à septembre 2019. 47% étaient au stade III avec métastases. Toutes les patientes avaient progressé avec un traitement au méthotrexate; une patiente avait également progressé sous actinomycine-D. Elles ont reçu en moyenne 8 cycles d'avélumab (2-11).
Sur les 15 patientes traitées, huit ont normalisé leur hCG (53%) et ont pu arrêter l’avélumab qui a été donné jusqu’à normalisation du hCG + 3 cures de consolidation supplémentaires. Nous avons un recul de 29 mois en moyenne pour nos patientes et aucune n’a rechuté de sa maladie trophoblastique. Il est donc raisonnable de penser qu’elles ont été guéries par l’immunothérapie. Les 7 patientes qui n’ont pas répondu à l’immunothérapie (47%), ont reçu l’actinomycine D ou la poly-chimiothérapie avec ou sans chirurgie, et ont toutes guéri. Pour l’instant nous n’avons pas d’explication à cette résistance. Le Dr PA Bolze réalise actuellement des recherches translationnelles pour comprendre quelles sont les caractéristiques des patientes qui ont répondu ou non ce qui permettrait de mieux sélectionner à l’avance celles chez qui il y a de grandes chances que cela marche et les autres.
L’immunothérapie a-t-elle été bien tolérée ?
Pr B. You : Les effets secondaires ont été généralement bénins, 93% des patientes ont eu des effets indésirables liés au médicament de grade 1-2. La fatigue était le plus fréquent (33% des patients), suivi des nausées et des vomissements (33%) et des réactions liées à la perfusion (27%). La tolérance aux médicaments était bien meilleure avec l'avélumab qu'avec la chimiothérapie.
Le fait que l’une des patientes ait pu avoir une grossesse normale suite à l’immunothérapie est une nouvelle particulièrement importante. Pourquoi ?
Le risque d’avoir une fertilité perturbée avec la poly-chimiothérapie est faible mais il n’est pas négligeable. Ce qui est intéressant avec cette nouvelle étude, c’est que jusqu’ici, nous ne savions pas quelles seraient les conséquences de cette immunothérapie sur les chances d’avoir une grossesse ultérieure. La question de l’impact de l’immunothérapie sur la fertilité ultérieure est majeure puisque ces thérapeutiques sont testées de plus en plus tôt dans la prise en charge des patientes atteintes de cancer, à des stades où ils deviennent curables. Dans notre étude, nos patientes ont rapidement voulu être enceintes après le traitement par avélumab, et une patiente a pu mener a bien une grossesse normale un an seulement après l’arrêt du traitement[2].
Dans la littérature médicale internationale, il n’y avait jusqu’ici aucun cas de description de grossesse normale après un traitement efficace et curatif après immunothérapie. Même si cela n’est pas une démonstration, c’est le premier cas et le premier cas est toujours important. Nous ouvrons une nouvelle voie, celle de la guérison après immunothérapie, mais aussi celle d’une grossesse possible après immunothérapie.
Sur le plan physiologique, l’immunotolérance de la grossesse se fait en partie par le biais de PDL1. Or, la grande majorité de nos immunothérapies reposent sur un blocage de PD1 ou PD-L1. Il était donc logique de se demander si après une immunothérapie anti-PD1 ou anti-PD-L1, il y avait des chances d’être enceinte ou pas. Personne ne le savait. Ce cas est rassurant.
L’étude a été financée par Merck Serono – Pfizer. Le Pr You a des liens d’intérêt avec Amgen; AstraZeneca; Bayer; Clovis Oncology; ECS PROGASTRIN; GSK; LEK; Novartis; Roche/Genentech; TESARO, Merck Serono (Inst).
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Citer cet article: Premières preuves de l’efficacité d’une immunothérapie dans les tumeurs trophoblastiques - Medscape - 30 mai 2020.
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