POINT DE VUE

Thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie : la France toujours à la traine

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

20 mai 2020

Paris, France -- Alors que la thérapie cognitive comportementale (TCC) est recommandée en première intention dans la prise en charge de l’insomnie chronique, peu d’insomniaques en bénéficient aujourd’hui en France. Lors de la journée nationale du sommeil le 13 mars dernier, les experts ont encore une fois dénoncé l’absence de remboursement de la TCC dans cette indication.

Joëlle Adrien

Dans un entretien pour Medscape édition française, la neurobiologiste Joëlle Adrien (Inserm), ex-présidente de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance (INSV), qui a instauré la TCC pour le sommeil à l’Hôtel Dieu il y a déjà plusieurs années, revient sur les bienfaits de cette technique, les avantages et les risques de la TCC en ligne et sur la question du remboursement.

Medscape édition française : La thérapie cognitivo-comportementale est recommandée en première intention pour traiter l’insomnie chronique. Pourquoi ?

Joëlle Adrien : La thérapie comportementale et cognitive (TCC) est recommandée en première intention, devant les hypnotiques, depuis les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) de 2006. La méthode a fait ses preuves pour traiter l’insomnie chronique dans de nombreuses études [1,2,3,4,5]. Et sur le terrain, les gens nous expliquent que « la TCC les a sauvés ». Ce qui est intéressant, c’est que son effet perdure.

Il est aussi important de noter que 60 % des insomniaques sont déprimés. Or, la TCC de l’insomnie traite aussi la dépression. La TCC de l’insomnie diminue les symptômes dépressifs en améliorant le sommeil et en agissant sur les mêmes leviers que les TCC de la dépression, notamment en encourageant à l’activité physique dans la journée.

 
60 % des insomniaques sont déprimés. Or, la TCC de l’insomnie traite aussi la dépression.
 

Quand penser à la TCC de l’insomnie et quel est son déroulement ?

Joëlle Adrien : Avant toute chose, il faut qu’un médecin diagnostique l’insomnie, écarte le syndrome d'apnées obstructives du sommeil (SAOS), le syndrome de jambes sans repos et des mouvements périodiques de jambe, la prise de toxiques ou d’autres troubles. Puis, il confie la prise en charge au psychologue pour une TCC.

La TCC dure 6 semaines avec une séance par semaine et il y a des séances de suivi (à deux mois, un an, deux ans).

Son déroulement est assez simple. Il s’appuie sur des questionnaires, un agenda du sommeil, le repérage des mauvaises habitudes de sommeil.

Le principe repose sur le fait qu’un insomniaque passe beaucoup de temps dans son lit sans dormir. La première action est de faire en sorte qu’il ne soit dans son lit que pour dormir. C’est la restriction du temps au lit.

Ce qui est important c’est d’arriver à expliquer pourquoi c’est important. Comment sont gérés le sommeil et l’éveil et comment on peut faire pour que ces mécanismes biologiques soient facilités.

Il faut établir une TCC ciblée, des horaires de réveil et de coucher précis. Les conseils généraux ne fonctionnent pas.

Quels sont les freins au développement de la TCC contre l’insomnie en France ?

Joëlle Adrien : Environ 15 % de la population aurait besoin de ces TCC de l’insomnie. Or, il n’y a pas assez de thérapeutes. La TCC est quasiment impossible d’accès en France.

La TCC, qui est en première ligne des recommandations, n’est toujours pas remboursée par l’assurance maladie. Cela n’incite pas les psychologues à se former.

 
La TCC, qui est en première ligne des recommandations, n’est toujours pas remboursée par l’assurance maladie.
 

Avec les méthodes internet, les mutuelles sont prêtes à rentrer dans le processus mais ce serait bien que la sécurité sociale se décide à le faire aussi.

Mais la prise en charge de l’insomnie et par la même la TCC ne permettent-elles pas de limiter les coûts associés à ce trouble du sommeil ?

Joëlle Adrien : L’insomnie a indubitablement un coût pour la société, via l’absentéisme mais aussi les accidents. Des études ont montré que la TCC diminue l’absentéisme. Il y a forcément un retentissement économique positif lié au fait que la vie des gens change dans le bon sens.

En outre, la e-TCC permet de diminuer le « temps thérapeute » sur l’ensemble de la prise en charge.

Medscape : Le développement des TCC par internet est-il une bonne solution ?

Joëlle Adrien : Il y a des initiatives qui se développent pour pratiquer ces thérapies par internet. Il s’agit à mon avis de solutions d’avenir si, toutefois, il y a un contact humain possible inséré dans le concept.

Il faut rester vigilant car si le protocole est mal fait, s’il n’y a pas de personnalisation, de prescription précise des horaires de lever et de coucher, par exemple, cela peut être grave, déclencher des épisodes de stress ou de manie. Il n’est pas anodin de manipuler le sommeil des gens.

Il faut donc que ces méthodes soient validées. C’est notamment ce qu’a fait le programme en ligne Thérasomnia développé par deux experts M. Billiard, spécialiste du sommeil et G. Apfeldorfer, psychothérapeute.

 

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