France – Alors que la crise sanitaire actuelle bouleverse nos habitudes et nos certitudes, comment gérer au mieux cette traversée ?

Dr François Bourgognon
Nous avons posé la question au Dr François Bourgognon, praticien à l’Institut de Cancérologie de Lorraine, directeur de l’institut Mindful-France et auteur d’un ouvrage intitulé « Ne laissez pas votre vie se terminer avant même de l’avoir commencée » qui met en lumière ce qu’est la thérapie d’acceptation et d’engagement, et la pleine conscience.
Le psychiatre et psychothérapeute nous explique comment cette méthode – qui préconise, plutôt que de s’épuiser à essayer, en vain, d’échapper à sa propre expérience, d’embrasser l’inconfort et de mettre son énergie au service de ce qui compte vraiment pour soi – est particulièrement adaptée à cette période de crise.
Medscape édition française : Praticien à l’Institut de Cancérologie de Lorraine à Nancy, vous vous êtes formé à des approches basées sur la méditation de pleine conscience (Mindfulness) et à la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT pour Acceptance and Commitment Therapy). De quoi s’agit-il ?
Dr François Bourgognon : La thérapie d’acceptation et d’engagement est une psychothérapie appartenant à la troisième vague des thérapies comportementales et cognitives (TCC). Elle a été développée par le psychologue américain Steven C. Hayes et ses collègues dans les années 1980. Les deux sources de l’ACT sont le comportementalisme et les pratiques méditatives d’origine bouddhiste. Ici, la méditation s’entend comme une technique d’entraînement attentionnel qui consiste à s’efforcer d’être pleinement présent à ce qui se passe ici et maintenant : à ce qui se passe autour de soi et en soi (pensées, émotions et sensations corporelles). L’ACT est une thérapie fondée dans la méthode scientifique, en lien constant avec la recherche, et qui a montré, à travers des centaines d’études, son efficacité pour toutes les catégories de troubles psychologiques.
En quoi la thérapie d’acceptation et d’engagement peut-elle aider dans la période actuelle ?
Dr François Bourgognon : On ne va clairement pas enrayer l’épidémie en un claquement de doigt. Ce bouleversement s’impose à nous et le refuser ne va pas le faire disparaitre. Le premier mouvement est donc de ne pas se laisser emporter par un réflexe de refus (ou d’évitement) de la réalité mais, au contraire, de l’observer bien en face de façon à faire la part des choses entre ce sur quoi on peut agir et ce avec quoi il faut faire. En résumé, il s’agit de sortir d’une position réflexe de refus, pour entrer dans le mode de la réponse, ce qui suppose un temps d’acceptation de ce qui ne peut être évité ou changé.
Ne pas réagir, mais répondre, c’est cela l’enjeu de la méditation. Cela consiste à dire « OK, la situation me déplait fortement mais c’est celle-là, alors comment vais-je pouvoir faire avec, que vais-je pouvoir faire d’utile dans cette réalité-là pour continuer d’avancer dans, ce qui est pour moi, la bonne direction ».
Pouvez-vous nous expliquer plus concrètement ?
Dr Bourgognon : Pour reprendre une métaphore que j’aime bien, ce que nous vivons en ce moment revient un peu à être emporté par un courant plus fort que nous. Plusieurs attitudes sont possibles. Chez certains, le premier réflexe sera un réflexe de refus et de lutte. Mais si je nage contre un courant plus fort que moi, je m’épuise et je coule. Une autre stratégie serait de se dire que puisque je ne peux pas aller là où je veux, alors cela ne sert à rien de se battre, je baisse les bras, je me résigne. Dans ce cas, je me laisse emporter passivement au large, où je risque également de couler. En fait, la seule stratégie qui permet de répondre habilement à cette situation, c’est de garder la tête hors de l’eau, de faire corps avec le courant et de mettre son énergie au bon endroit. Cela permettra de courber la trajectoire de façon à arriver quelque part – même si ce n’était pas l’endroit où l’on voulait aller au départ. Et peut-être que, dans un deuxième temps, on pourra rejoindre le lieu que l’on voulait atteindre et, peut-être même que l’on pourra faire de ce « détour », quelque chose de bien.
La notion d’acceptation est souvent mal comprise.
Dr Bourgognon : Le plus important, c’est de faire avec ce qui s’impose à nous et ce sur quoi il n’y a pas de prise possible. C’est la notion d’acceptation active, telle qu’on l’entend dans la thérapie d’acceptation et d’engagement. Ici, accepter, ce n’est pas se résigner ou être d’accord, mais « faire avec ». Car c’est à l’évidence de cette façon que l’on va tirer au mieux notre épingle du jeu.
Que se passe-t-il après l’acceptation ?
Dr Bourgognon : Observer et accepter ce que l’on ne peut changer constituent le premier mouvement pour pouvoir ensuite mettre son énergie au bon endroit et avancer du mieux que l’on peut dans la bonne direction. C’est ce qu’on entend par « engagement » : mettre son énergie dans des actions qui nous rapprochent de nos valeurs, c’est-à-dire ce que l’on estime être juste, bon et beau de faire.
Comment savoir ce que sont nos valeurs ?
Dr Bourgognon : Ce sont les orientations fondamentales de notre vie. En thérapie, il n’y a pas de consensus, c’est à chacun de trouver pour soi-même quelles sont ses propres valeurs. Une façon de faire consiste à passer en revue les grands domaines de la vie (famille, amis, santé, travail, citoyenneté, spiritualité…) en se demandant qui et quoi est important pour moi dans chaque domaine et quelles sont les grandes qualités que j’aimerai incarner, comme, par exemple, l’altruisme, l’attention, la générosité, l’intégrité, la justice, le professionnalisme, le respect de soi, la sincérité…
Et une fois que l’on a identifié ses propres valeurs ?
Dr Bourgognon : Alors l’idée est de se demander : « comment puis-je continuer d’avancer – du mieux possible, dans cette réalité-là – en direction de mes valeurs ? ». Comme une boussole nous indique la direction à suivre, les valeurs définissent les grands axes qui orientent nos vies. Elles ne doivent pas être confondues avec des objectifs. Ceux-ci ont une finalité mesurable – ce sont des buts à atteindre. Par exemple, « perdre 5 kilos » est objectif, alors que « manger sainement » est une valeur. Il est toujours possible de réaliser ne serait-ce qu’un seul petit pas, dans le moment présent et dans la bonne direction. Ainsi, les valeurs sont bien plus puissantes que les objectifs, car elles sont toujours disponibles. Ce n’est pas le cas des objectifs, dont certains par ailleurs ne pourront être atteints.
Prenons une métaphore maritime. Personne ne contrôle les variations de la météo. Les bons marins apprennent à la lire attentivement, à respecter son pouvoir et à orienter leurs voiles pour continuer d’avancer, du mieux possible, dans la bonne direction. Dans notre vie en général, et professionnelle en particulier, on a tout intérêt à être dans une logique de navigation, parce que l’on n’a pas toujours le vent dans le dos.
Comment mettre en pratique cette approche ?
Dr Bourgognon : Il est important de ne pas chercher à éviter l’inévitable ni à résoudre l’insoluble, car on ne peut que faillir. Cela se solde généralement par des boucles de ruminations et d’inquiétudes qui consomment inutilement notre énergie. Quand on est pris dans la tourmente, en situation d’urgence, la bonne question à se poser est « Que puis-je faire d’utile dans cette réalité-là ? », « Où puis-je mettre utilement mon énergie pour avancer dans la bonne direction ? » En gardant à l’esprit qu’une part de ce qui se joue m’échappe totalement.
Dans la situation actuelle, la première chose à faire est de respecter les mesures d’hygiène et les règles de confinement, et de se demander que l’on peut faire d’utile (pour mes proches, mon travail, mes amis, mes voisins…).
Tout en sachant que, parfois, dans certains domaines de notre vie, le mieux que nous pourrons faire sera de ne pas aggraver nos difficultés avec nos propres réactions. Parfois, le plus utile est de ne pas bouger, car on sait qu’il n’y a rien de mieux à faire. Mais dans ce cas, le fait de ne pas bouger devient un choix et cela change tout : je fais le choix de ne pas bouger car, dans la réalité du moment, il n’y a rien de mieux à faire que cela, et tout autre option conduirait à aggraver ma situation.
Que conseiller à un médecin libéral très inquiet de ne plus voir de patients ?
Dr Bourgognon : Dans le monde médical, on se met tous, par la force des choses, à la téléconsultation, à la télémédecine. Comme en temps de guerre, la crise accélère de façon spectaculaire certains mouvements, change nos pratiques. Ici, cela consiste à accepter, se dire « OK, je ne peux plus travailler comme je le faisais avant la crise, alors comment faire avec ? ». Peut-être que certains vont s’intéresser à des outils informatiques qu’ils ne connaissaient pas et vont finalement faire des découvertes…En psychiatrie, par exemple, on arrive à proposer des interventions psychothérapiques à distance, alors que cela ne semblait pas si évident au départ.
On peut aussi utiliser le temps imparti pour avancer dans les autres grands domaines de notre vie : transmettre à ses enfants, appeler ses proches, échanger avec un ami, s’occuper de son bien-être, de certains projets en suspens, lire le livre qui nous attend depuis longtemps…
Que nous apprend cette crise sur nous-même ?
Dr Bourgognon : La crise que nous vivons a provoqué quelque chose que nous pensions totalement impossible : elle a mis notre monde à l’arrêt.
Alors que notre société, hier encore, fonçait à vive allure vers ce qu’on pressentait… c’est-à-dire sa chute, son effondrement, sans qu’on sache bien quelle forme cela allait prendre – entre désordre climatique, catastrophes écologiques, dilapidation des ressources… – nous voilà tous à l’arrêt. Hier encore, cela était totalement impensable. Nous parlions d’accélération constante, d’emballement du monde, de surenchère irréversible… Nous avions l’impression d’être enfermés dans une voiture lancée à toute vitesse, sans personne au volant et qui ne cessait d’accélérer en attendant le crash.
Ce que nous n’étions probablement pas capables de faire par nous-même nous est imposé de façon radicale et dramatique par les événements.
Puisque nous sommes à l’arrêt, adoptons la démarche de l’ACT et commençons par observer. Observer que nous avions perdu de vue l’essentiel… Que nous avions confondu la productivité et le confort avec l’accomplissement et le bonheur. Et que changer est nécessaire.
Qu’est-ce que cette crise peut apporter de positif ?
Dr Bourgognon : La crise que nous traversons est un moment unique pour nous interroger sur ce qui compte vraiment dans notre vie. Alors profitons-en pour le faire. Et commençons déjà par le faire à titre individuel, pour ensuite opérer des changements de façon collective.
C’est l’occasion de se recentrer sur nos valeurs fondamentales, de les recontacter, de les clarifier, de les identifier clairement…Peut-être n’a-t-on pas besoin d’autant de biens, mais de plus d’entraide, d’altruisme, de présence… Moins de biens, plus de bien.
Revenir au monde d’avant serait une folie. Car comme le dit très justement Carl Gustav Jung : « Ceux qui n'apprennent rien des faits désagréables de leurs vies, forcent la conscience cosmique à les reproduire autant de fois que nécessaire, pour apprendre ce qu'enseigne le drame de ce qui est arrivé. Ce que tu nies te soumet. Ce que tu acceptes te transforme. »

Praticien à l’Institut de Cancérologie de Lorraine (ICL), le Dr François Bourgognon est instructeur et formateur en méditation de pleine conscience. Il est également le directeur l’Institut Mindful France (Institut de Formation aux Thérapies basées sur la Méditation). Il est l’auteur de l’ouvrage « Ne laissez pas votre vie se terminer avant même de l’avoir commencée » qui propose une mise en lumière de la thérapie d’acceptation et d’engagement, et de la pleine conscience.
First Éditions, 2019, 192 p, 14,95 € / Pocket, 2020, 192 p., 6,95 €
Crédit photo : Ralph Benoit
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Citer cet article: Comment la thérapie d’acceptation et d’engagement peut-elle aider à traverser la crise? Par le Dr Bourgognon - Medscape - 24 avr 2020.
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