COVID-19: sommes-nous prêts pour un dépistage massif de la population ?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

16 avril 2020

Strasbourg, France — Y aura-t-il réellement un dépistage massif de la population pour accompagner le déconfinement progressif qui s’engagera le 11 mai ? Les tests sont-ils suffisamment fiables? Les laboratoires sont-ils prêts pour une montée en puissance des tests PCR?

Dans son allocution du 13 avril, le Président de la République a annoncé : « Nous n'allons pas tester toutes les Françaises et tous les Français, ça n'aurait aucun sens. Mais toute personne ayant un symptôme doit pouvoir être testée. Les personnes ayant le virus pourront ainsi être mises en quarantaine, prises en charge ».

L’utilisation à large échelle des tests PCR pour dépister les personnes malades semble donc les rails.

En revanche, alors que le ministre de la Santé, Olivier Véran a récemment annoncé la commande de cinq millions de tests sérologiques dont l’objet est d’évaluer la part de la population immunisée contre le virus, le chef de l’Etat n’a pas apporté de précision sur leur utilisation.

En attendant que les stratégies s’éclaircissent, sur le terrain, au CHU de Strasbourg, le laboratoire de virologie s’est placé en première ligne en vue d’une généralisation des dépistages. Après une phase d’évaluation des tests rapides arrivés sur le marché, il va participer, à partir du 15 avril, à une campagne d’analyse du taux d’immunisation de la population hospitalière. Le centre hospitalier se prépare également, comme dix autres CHU de France, à la mise en place d’un système de dépistage par test PCR à large échelle, s’appuyant sur des centres de prélèvement, qui vont ouvrir dans la ville de Strasbourg. L’objectif est de pouvoir atteindre au niveau national, d’ici la fin du mois, les 50 000 tests PCR quotidiens promis par le ministère de la santé.

Pr Samira Fafi-Kremer

Nous avons interrogé la responsable du service du laboratoire de virologie du CHU de Strasbourg, le Pr Samira Fafi-Kremer, pour en savoir plus sur ces deux approches complémentaires qui devraient aider à définir les stratégies à venir. L’occasion également d’évoquer la perspective redoutée d’une nouvelle vague de contamination après le confinement.

Medscape édition française : La ville de Strasbourg est en première ligne pour préparer le dépistage massif de la population qui accompagnera la phase de déconfinement. Quelle stratégie est envisagée ?

Pr Fafi-Kremer: Il est encore difficile pour le moment de définir avec précision la stratégie à mettre en place pour ce dépistage à grande échelle. Faut-il se baser sur la PCR ou sur la sérologie? Probablement les deux. Avec les tests PCR, nous pourrons identifier les personnes positives au SARS-CoV2 pour les isoler, tandis que les tests sérologiques permettront de repérer les personnes déjà infectées, ayant développé des anticorps et a priori protégées contre le virus.

Il a été avancé que cette stratégie de dépistage et la fin de confinement vont dépendre du taux d’immunisation de la population. Avons-nous déjà une estimation du niveau d’immunisation contre le virus en France ?

Pr Fafi-Kremer: Des évaluations ont déjà été menées en France, notamment dans l’Oise, l’une des premières zones touchées. Pour le moment, les estimations font craindre un taux d’immunisation faible, de l’ordre de 10 à 20%. Si c’est le cas, il faudra probablement aller vers un déconfinement progressif, qui sera forcément plus compliqué à mettre en œuvre.

 
Pour le moment, les estimations font craindre un taux d’immunisation faible, de l’ordre de 10 à 20%.
 

Au CHU de Strasbourg, nous lançons une étude pour déterminer la séroprévalence de l’infection par le SARS-CoV2 au sein du personnel hospitalier. Des tests sérologiques ont déjà été effectués auprès de 200 personnes pour vérifier si elles ont été en contact avec le virus. Cette phase préliminaire réalisée la semaine dernière en collaboration avec l’Institut Pasteur avait pour objectif de valider la fiabilité des tests sérologiques.

A partir du 15 avril, il est prévu de dépister 1 500 soignants supplémentaires pour avoir un échantillon représentatif de la population hospitalière. Par la suite, cette phase de dépistage pourra être élargie à d’autres populations cibles.

Peut-on d’ailleurs être assuré que les personnes immunisées ne sont plus contaminantes?

Pr Fafi-Kremer: Il faut, en effet, rappeler que la présence d’anticorps permet de dire que la personne a eu un contact avec le virus et est très probablement protégée contre une réinfection. En revanche, elle ne permet pas d’affirmer que le virus a disparu surtout si le test est réalisé trop tôt. On considère qu’un délai de 15 jours minimum est nécessaire après l’apparition des premiers symptômes pour considérer qu’une personne n’est plus contagieuse. Reste la question des personnes asymptomatiques qui peuvent également disséminer le virus. D’où l’importance de continuer à respecter les mesures barrières de base, notamment après le déconfinement. 

L’usage des tests sérologiques, qui apparait donc fondamental dans la stratégie qui se dessine, se heurte toutefois à la question de la fiabilité des tests rapides apparus sur le marché? Qu’en est-il aujourd’hui?

Pr Fafi-Kremer: Ces tests qui permettent d’avoir un résultat en 10 à 15 minutes sont toujours en cours d’évaluation. On a désormais plus d’une trentaine de distributeurs qui se disputent le marché. Tous mettent en avant le marquage CE obtenu pour leur test, mais cela ne reflète pas leur fiabilité.

Les tests sérologiques que nous avons évalués au laboratoire affichent une sensibilité de près de 80% dans un délai de 15 jours après exposition au virus. On peut espérer une amélioration de la sensibilité avec un délai plus long. Il est, dans tous les cas, fondamental de continuer de s’assurer de la validité de ces dispositifs avant une utilisation à grande échelle.

Pour le moment, même si les commandes ont été passées auprès des industriels, nous ne sommes pas encore en capacité de mener un dépistage massif sur toute la population. Des difficultés d’approvisionnement en antigène viral depuis la Chine, unique fournisseur, sont rapportées. Il semble difficile d’avoir suffisamment de tests de dépistage rapide avant mai.

On parle aussi d’une implication des laboratoires de villes pour effectuer des tests sérologiques dans le cadre d’un dépistage à grande échelle. Ont-ils une capacité suffisante?

Pr Fafi-Kremer: C’est probablement l’association des laboratoires de ville et des laboratoires de CHU qui permettra d’assurer la meilleure réponse en termes de capacité dans le dépistage sérologique massif.

 
C’est probablement l’association des laboratoires de ville et des laboratoires de CHU qui permettra d’assurer la meilleure réponse en termes de capacité dans le dépistage sérologique massif.
 

A côté des tests rapides, il y a les tests sérologiques de type ELISA qui sont utilisés en laboratoire et qui demandent plus de temps. En contrepartie, l’analyse qui s’effectue à 37°C est menée dans des conditions optimales, permettant d’avoir une meilleure sensibilité, en comparaison avec les tests rapides.

Depuis quelques semaines, les laboratoires s’équipent d’automates capables de réaliser plusieurs dépistages par heure. Mais, là encore, Les fournisseurs européens ont du retard dans la fabrication, ils ne peuvent pas augmenter leur production du jour au lendemain. Les laboratoires se retrouvent donc encore confrontés à un manque de réactifs, qui ne permet pas encore une montée en puissance.

En parallèle, il est prévu de poursuivre les dépistages par PCR pour détecter l’infection par le virus. Comment vont être généralisés ces tests ?

Pr Fafi-Kremer: Au CHU de Strasbourg, nous disposons d’automates capables de réaliser 750 à 900 analyses PCR par jour. Dans le cadre de la stratégie de dépistage massif, nous avons reçu un nouvel équipement qui permet d’effectuer entre 2 000 et 2 500 analyses par jour. D’ici la fin du mois d’avril, tous les CHU devraient s’équiper de ces plateformes à haut débit. 

 
D’ici la fin du mois d’avril, tous les CHU devraient s’équiper de ces plateformes à haut débit.
 

Grâce à cette machine, nous pourrons réaliser un dépistage à plus large échelle pour identifier cette fois les personnes infectées pour les isoler et dépister également tous ceux avec qui elles ont été en contact. Pour cela, il est prévu d’ouvrir plusieurs centres de prélèvements dans la ville de Strasbourg. Les lieux ne sont pas encore précisés. Les individus présentant des symptômes suspects seront invités à s’y rendre pour être dépistés.

Les centres, qui seront chargés d’enregistrer les personnes, seront connectés au CHU. Les résultats de l’analyse pourront être directement envoyés à la personne sur son smartphone par le biais d’une application, qui devrait aussi permettre d’identifier les individus avec qui elle a été en contact. Il reste à savoir si ce dispositif sera accepté par la population.

Est-ce qu’une stratégie se profile déjà pour limiter le risque d’avoir un rebond de l’infection après la fin du confinement?

Pr Fafi-Kremer: Il est effectivement très probable qu’une nouvelle vague d’infection apparaisse, surtout si la population n’est pas assez immunisée. Il apparait évident que les mesures de prévention devront être maintenues. Il est aussi fort probable que le dépistage d’une partie de la population soit renouvelé à l’automne, voire l’année prochaine.

Il faudra aussi vérifier si les anticorps se maintiennent et assurent une protection sur le long terme. L’étude menée actuellement au CHU de Strasbourg prévoit un suivi pendant un an des soignants présentant une séroconversion pour évaluer l’évolution du taux d’anticorps. Pour stopper la circulation du virus, on estime qu’il faut un taux d’immunisation de la population de 60%.

 
Pour stopper la circulation du virus, on estime qu’il faut un taux d’immunisation de la population de 60%.
 

On peut toutefois espérer que la hausse des températures qui s’annonce permette d’espacer un peu plus les infections. Ce type de virus est en théorie sensible à la chaleur. Espérons également que le virus soit stable. Etant donné son fort pouvoir infectieux, on peut imaginer qu’il a peu d’intérêt à muter.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....